dimanche 22 février 2009
La connexion saoudienne dans les attentats de Mumbaï et ses implications stratégiques pour Israël
LOGO DU GROUPE TERRORISTE " Lashkar-e-Taïba "
Col. (res.) Jonathan Fighel - trad : Marc Brzustowski
On a lié les attentats de Mumbaï au Lashkar-e-Taïba et, plus généralement, aux groupes terroristes islamiques du Cachemire. Cependant, ce serait une erreur de percevoir le Lashkar-e-Taïba comme une organisation uniquement locale concentrée sur un agenda localisé. (http://www.jcpa.org/)
L’Arabie Saoudite a énormément contribué à faire du Lashkar-e-Taïba ce à quoi il ressemble, à la façon dont il pense, ses motivations, son idéologie, ses modes de financement. L’Arabie Saoudite se présente comme la protectrice et le fer de lance de la défense des Musulmans à travers le monde contre ce que ceux-ci définissent comme l’agression culturelle occidentale.
Les Saoudiens sont très impliqués dans le recrutement, le financement et les fondements idéologiques visant à embrigader les minorités musulmanes et à utiliser les organismes charitables musulmans comme instrument de mise en oeuvre de ces politiques. La méthodologie saoudienne consiste à tirer partie des crises humanitaires pour mettre le pied dans la porte. Qui pourrait s’élever contre le fait de porter assistance à la veuve et à l’orphelin et de construire des écoles et des cliniques ? Une partie de cet argent est, bien entendu, investi dans le soutien au terrorisme – en direction des familles des bombes humaines.
La notion de Jihad Global a également pénétré Gaza et existe sous le parapluie du Hamas, qui permet une renaissance des organisations du Jihad Global, ici, telles que le Jaish al-Islam et d’autres. Ce phénomène radicalise encore la société gazaouïe qui l’est déjà à l’origine.
Le Hamas pourrait bien donner son accord pour une Hudna (trêve) de 50 années, cela ne conduira à aucune reconnaissance d’Israël ni à une cessation des hostilités contre lui. Si le Hamas était réellement prêt à agir de façon pragmatique, il n’y aurait tout simplement plus de Hamas tout court. De plus, les factions déçues au sein du Hamas feraient scission et rejoindraient les organisations du Djihad Global déjà présentes à Gaza.
La similarité des modes opératoires entre l’attaque de Mumbaï, en novembre 2008 et celle de l’Hôtel Savoy à Tel Aviv en 1978 était frappante. A cette époque, une organisation palestinienne basée hors des frontières d’Israël, depuis son sanctuaire au Liban, avait, de la même façon, suivi un entraînement intensif spécial durant des mois. Disposant d’un haut niveau de renseignement de première main, plusieurs groupes d’assaut totalement dédiés avaient, chacun, attaqué des cibles de haute valeur stratégique.
Les attaques de Mumbaï n’avaient rien d’un attentat-suicide conventionnel. Depuis 1998, les attentats-suicide ont été la marque de fabrique d’Al Qaeda comme étant le mode significatif du Jihad sous la forme du sacrifice et de l’appel au martyre. Mais les attaques de Mumbaï ne ressemblent en rien à celles de Londres le 7 juillet, ni aux attentats de Madrid ni à aucun autre attentat du style d’Al Qaeda.
Qu’est-ce que le Lashkar-e-Taïba ?
On a lié les attentats de Mumbaï au Lashkar-e-Taïba et, plus généralement, aux groupes islamiques radicaux du Cachemire. Cependant, ce serait une grave erreur de ne percevoir le Lashkar-e-Taïba comme une organisation uniquement locale n’ayant qu’un agenda localisé.
La création et l’épanouissement du Lashkar-e-Taïba n’aurait pas été possible sans qu’il soit soutenu par la convergence de trois éléments majeurs. Le premier correspond à l’idéologie du Jihad global. Le second repose sur le financement et le soutien de la part de sources extérieures. Et le troisième, c’est l’existence d’une base territoriale qui lui permet de mener ses activités et de disposer de camps d’entraînement.
Qu’est-ce donc que le Lashkar-e-Taïba et pourquoi est-il aussi impliqué au Moyen-Orient ? Le Lashkar-e-Taïba collecte des fonds auprès des Pakistanais et des Cachemiris, aussi bien que dans la communauté pakistanaise installée dans le Golfe Persique, au Royaume-Uni et ailleurs. Son site web apparaît sous le nom de Jamaat ud Dawa et le groupe entretient des liens avec des groupes religieux et militants tout autour du monde. Le site du Jamaat ud Dawa affiche un lien direct vers le site web du Hamas.
La Connexion saoudienne
Depuis le début des années 1990, l’Arabie Saoudite a énormément contribué à ce à quoi ressemble aujourd’hui le Lashkar-e-Taïba, à ses courants de pensée, sa motivation, son idéologie et son financement. Les journaux saoudiens, à l’époque, publiaient régulièrement des appels au Jihad afin de soutenir tous les combats musulmans dans le monde. Le Cachemire était perçu comme une région où se déroulait le Jihad, aussi sollicitait-on des donations pour les Musulmans qui y vivent. On disait qu’Allah bénissait les guerriers soutenus par ce Jihad financier.
En août 1999, le journal saoudien Al-Jazeera rapportait lors d’une conférence de presse dirigée par l’Assemblée Mondiale de la Jeunesse Musulmane (WAMY), une œuvre caritative supervisée par le Gouvernement. Le Secrétaire Général du groupe, Maneh-al-Johani, congratulait le rôle joué par l’Arabie Saoudite qui portait assistance aux Musulmans à travers le monde, et tout spécialement au Cachemire. Johani avait alors établi le parallèle entre le problème du Cachemire, la situation au Kosovo et en Palestine, et appelé les Musulmans à aider le peuple cachemiri.
L’Islam radical Wahhabite, Salafiste saoudien perçoit le monde en zones de confrontation, avec des régions consacrées au Jihad, là où des minorités musulmanes luttent politiquement et sur le plan religieux contre d’autres forces. La lutte peut avoir lieu contre Israël, la Serbie, l’Inde ou les Philippines. L’Arabie Saoudite se présente comme le protecteur et le fer de lance de la défense des Musulmans à travers le monde, contre ce que l’ancienne autorité religieuse suprême d’Arabie Saoudite, l’ancien Cheikh Abdul Aziz Ibn Baz (Ben Baz) définissait comme « l’agression de la culture occidentale ».
Ceci est l’idéologie qui sous-tend toute la politique saoudienne. Les Saoudiens sont très impliqués dans le recrutement, l’endoctrinement idéologique à ces minorités musulmanes, et elle se sert des œuvres caritatives musulmanes comme son outil pour instaurer cette politique. En septembre 2000, le journal Al-Jazeera rapporta une autre conférence de presse du Secrétaire général du WAMY, Johani, qui exposait le rôle de l’Arabie Saoudite dans l’aide fournie au Cachemire et appelait les pays islamiques jouer un rôle effectif dans le sauvetage des Musulmans du Cachemire. Johani décrivait alors le Jihad du peuple cachemiri et annonçait qu’il avait subi des milliers de pertes humaines. « Le peuple du Cachemire veut préserver sa spécificité musulmane et nous devons l’y aider », concluait-il.
Depuis la fin de la guerre en Afghanistan en 1989, la contribution saoudienne pour renforcer le phénomène du Jihad global à travers le monde s’est répandue comme des champignons, aussi bien en Tchétchénie, aux Philippines, au Kosovo, ou dans les territoires palestiniens. Cependant, à cette heure, l’Arabie Saoudite n’est pas tenue pour comptable de tout cela.
La méthodologie saoudienne est de tirer partie de toute crise humanitaire pour « mettre un pied dans la porte”. Qui, en effet, pourrait s’élever contre le souci d’assister la veuve et l’orphelin, de bâtir des écoles et des cliniques ? Une telle méthodologie a ainsi pu être dupliquée à travers le monde entier. Si la logistique directe consistant à armer les groupes reste problématique pour l’Arabie Saoudite, elle utilise alors « les œuvres caritatives », qui sont en fait des organisations se servant du réseau social appelé Dawa pour propager son idéologie au sein des mosquées, les services cliniques et les Madrassas, pour influer sur les esprits et recruter des volontaires s’engageant dans l’idéologie de style wahhabite. Une part de l’argent est, bien sûr, acheminée pour soutenir le terrorisme –les familles des bombes humaines.
Il est désormais évident que ce qu’on appelle les organisations non-gouvernementales de bienfaisance sont étroitement gérées par le gouvernement saoudien. Les Saoudiens ont compris qu’ils étaient sous la pression de l’Occident, lorsqu’ils se sont montrés très désireux de sacrifier l’œuvre de bienfaisance Al-Haramain. Elle fut bannie et démantelée, alors que d’autres ne le furent pas, comme l’Organisation de Secours Islamique (OSI). Les œuvres de bienfaisance saoudiennes se contentent de changer de nom et, on doit le déplorer, on ne fait jamais rien de concret contre elles. Il n’y a pas de campagne d’envergure pour démanteler toutes ces associations.
Les camps d’entraînement au Pakistan
Le Lashkar-e-Taïba a créé une infrastructure à l’intérieur du Pakistan qui est directement dédiée aux luttes frontalières du Cachemire et en Inde. Il a mis en place des capacités opérationnelles dans ses camps d’entraînement, grâce aux soins d’instructeurs hautement expérimentés, les vétérans de la guerre afghane. Plusieurs terroristes de renom sont passés par ces camps d’entraînement avant de lancer leurs attaques. Le « shoe bomber », Richard Reid, a été entraîné dans un camp du Lashkar-e-Taïba, ainsi que le fut Dhiren Barot, un sujet britannique et Hindou qui s’était converti à l’Islam, qui fut le cerveau d’une tentative avortée d’attentat au cylindre de gaz, à Londres et qui a également préparé les schémas directeurs des immeubles dans le quartier financier de New-York pour Al Qaeda.
Le Lashkar-e-Taïba est dirigé par Mohammed Saeed, qui joue un rôle-clé dans les activités opérationnelles du groupe, l’organisation des camps d’entraînement, l’idéologie et dans ses activités dans le monde entier. On a parlé de l’arrestation de Saeed au Pakistan en février 2009. Saeed détermine lui-même où les combattants confirmés des camps du Lashkar au Pakistan doivent être envoyés combattre et, en 2005, il a personnellement organisé l’infiltration des miliciens du Lashkar en Iraq. Il se trouvait en Arabie Saoudite à cette époque, en pleine connaissance du Gouvernement saoudien (il est impossible d’entrer en Arabie Saoudite sans autorisation). Il a aussi mis au point l’envoi en Europe d’opérateurs pour le Lashkar en tant que coordinateurs de la recherche de fonds. Ainsi l’Arabie Saoudite fut-elle, une fois encore, un relais actif pour l’envoi de moudjahidines hautement entraînés dans la guerre contre les Américains en Irak. Cela démontre la nature global du Lashkar-e-Taïba. Ce n’est pas simplement une organisation provinciale, mais bien l’une qui soit dotée d’une approche globale (du terrorisme international).
Haji Mohammed Ashraf est le directeur financier du Lashkar depuis 2003, étendant les tentacules de l’organisation et développant ses activités financières. Mahmoud Mohammed Ahmad Ba’aziq, un Saoudien de nationalité, a servi en tant que chef du Lashkar en Arabie Saoudite durant les années 80 et 90, avant Ashraf, et a coordonné l’activité de collecte de fonds avec les associations non-gouvernementales de bienfaisance et des hommes d’affaires en Arabie Saoudite. Le régime saoudien est parfaitement averti des flux d’argent en direction du Lashkar en Arabie Saoudite et de ses activités à travers le monde.
On a également rapporté l’arrestation du chef des opérations du Lashkar, Zakir Rehman Lakvi dans un raid sur un camp d’entraînement au Pakistan. Il a été l’un des cerveaux des attaques de Mumbaï et se trouvait en contact téléphonique permanent avec les kamikazes. Lakvi était très impliqué dans les opérations militaires en Tchétchénie, Bosnie et Irak.
Le Lashkar n’aurait jamais évolué jusqu’au niveau qu’il a atteint sans l’assistance de l’Arabie Saoudite. Abdul Aziz Barbaros est un Saoudien essentiel dans l’aide à l’édification du Lashkar en tant qu’organisation à ce point efficace et hautement entraînée. Barbaros dont le véritable nom est Abdul Ahman el-Dosfari, a combattu avec Al Qaeda en Afghanistan. Il a été parmi les membres fondateurs du Lashkar au Cachemire, après la fin de la guerre afghane. Il a aussi séjourné en Bosnie pour y assister les brigades de Moudjahidines de la mouvance d’Al-Qaeda. Durant les années 80 et 90, Barbaros a servi en tant que lien vital entre le Lashkar, les financiers saoudiens riches et pieux et les fanatiques pakistanais et musulmans autour du monde.
Le chef du Hamas à Gaza, Sheikh Yassin, délivrait de façon régulière des discours adressés aux rassemblements des milices du Lashkar-e-Taïba au Cachemire et au Pakistan. Ceci n’est qu’un exemple de l’état d’esprit général et de la solidarité au sein de la mouvance radicale-islamiste. Le Leader du Hamas à Gaza démontrait ainsi qu’il se préoccupait du sort des autres minorités musulmanes à travers le monde, de même qu’elles devaient se soucier de ce qui se passait à Gaza ou en Cisjordanie. Cela n’établit pas nécessairement une connexion directe avec le conflit israélo-palestinien. En Irak, ceci est perçu comme une lutte contre « la Croisade d’occupation » américaine. C’est ainsi que s’illustre la déclaration de Jihad de Ben Laden en 1998, lorsqu’il évoqua le front islamique contre les Croisés et les Juifs. Ainsi tout est lié et ce qui s"est produit à Mumbaï offre une bien plus large perspective.
Le Jihad Global pénètre Gaza
La notion d’Islam global a également pénétré Gaza et, dans une certain mesure, la Bande Occidentale de Cisjordanie. Ce phénomène existe sous le parapluie du Hamas, qui autorise une renaissance des organisations du Jihad global, telles que le Jaysh al-Islam et d’autres. L’émergence de ces groupes est préoccupante parce qu’ils sont énormément inspirés par l’idéologie wahhabite saoudienne du Jihad Global – une stricte interprétation de l’Islam qui est interprétée à travers une activité politique et terroriste. Ce qui importe est la radicalisation d’une société déjà préalablement radicalisée à Gaza.
Le postulat de base correspond au fait que nous avons observé le même type de groupes orientés vers le Jihad global entrer en action à Gaza. Ils ont lancé des attaques, principalement dirigées contre les étrangers, les institutions occidentales comme le YMCA et l’Ecole américaine. Jusqu’à présent, elles n’ont joué qu’un rôle marginal dans les attaques contre des cibles israéliennes.
Le Hamas à Gaza
Je pense que la situation de contrôle de Gaza par le Hamas est irréversible. Selon mes lectures des publications du Hamas en arabe, il est clair qu’il n’y a pas de marche-arrière (dans ce processus), que cela ne peut qu’empirer, pour prendre le contrôle de la Bande Occidentale de Cisjordanie, s’ils deviennent suffisamment puissants. Le Hamas peut bien concéder une Hudna (trêve) pour 50 années, mais il n’y aura pas de reconnaissance d’Israël ou de cessation de la lutte contre lui.
Si le Hamas était réellement prêt à agir pragmatiquement, il ne serait dès lors plus le Hamas. Il serait quelque chose d’autre. Et alors, les factions déçues au sein du Hamas feraient scission et rejoindraient les organisations radicales du Jihad global de Gaza. Ces organisations espèrent fournir une solution de refuge aux radicaux du Hamas qui pensent que toute normalisation ou tout pragmatisme deviendrait vite préjudiciable à la cause du Hamas.
Ce n’est pas uniquement mon hypothèse. Les déclarations des leaders du Hamas, al-Zahar et Syyam ont prévenu que si le Hamas devait perdre son identité véritable, le peuple confierait sa loyauté et ses activités à une organisation islamique plus authentique, et non plus à celle qui serait pragmatique, opportuniste, encline à la Hudna.
Devrions-nous parler au Hamas ? La Communauté internationale est-elle prête à s’asseoir pour discuter avec Al-Qaeda ? Il n’y a là aucune différence. C’est une représentation totalement erronée de dire que le Hamas est comme l’IRA. Il n’y a aucune aile politique détachée de sa branche armée. Il n’y a pas de pragmatiques auxquels s’adresser. A la fin du voyage, ceux qui croient que tenter de parler au Hamas est la bonne façon de conduire les affaires ici au Moyen-Orient sera bon pour une complète désillusion.
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Le Colonel (de réserve) Jonathan Fighel est directeur de recherché à l’Institut International de l’Anti-Terrorisme (ICT). Il est également membre de la Communauté Académique Internationale sur l’Anti-Terrorisme (ICTAC) et apporte ses compétences de consultant et d’expert en tant que témoin pour le Département américain de la Justice sur les procès contre le Hamas, aussi bien que pour des entreprises privées de juristes basées aux Etats-Unis dans les cas de poursuites contre le terrorisme d’Al Qaeda. Son expertise comprend également l’Autorité Palestinienne, les groupes terroristes islamiques (Hamas, Jihad Islamique Palestinien, al-Qaeda), leur financement, les phénomènes de terrorisme palestinien et des bombes humaines. Ce point sur le sujet à Jerusalem est basé sur sa présentation à l’Institut pour les Affaires Contemporaines de Jérusalem, le 9 décembre 2008.