lundi 29 septembre 2008

LE KEFFIEH, UN FOULARD PAS SI ACCESSOIRE


LE TORCHON ANTISEMITE

Les temps sont révolus où le keffieh fleurissait exclusivement sur la tête de Yasser Arafat et sur celle de ses sympathisants : il orne désormais le cou de David Beckham et de Colin Farrell, on le trouve dans toutes les boutiques, sur les pages de tous les magazines de mode.

Les mannequins de Balenciaga l’ont même fait défiler orné de pendentifs scintillants !

Ce morceau d’étoffe de la taille d’une nappe, jusqu’ici apanage exclusif des sympathisants et militants « pro-palestiniens », suscite aujourd'hui la polémique.

L’histoire

A l’origine, le keffieh (la kûfîya ou hattah) est une coiffe traditionnelle portée par la plupart des bédouins et, dans certaines régions, par des paysans arabes. Un simple tissu qui protège du soleil, du froid, du vent du désert, du sable…

C'est alors la marque d'une population simple, rurale, alors même que, dans l’empire ottoman du début du XXe siècle, d'autres classes sociales se distinguent par le port du turban ou du fez ou, en ville, restent le plus souvent tête nue.

La carrière politique du keffieh débute le 24 août 1938. Ce jour-là, tous les Arabes de Palestine sont sommés, par voie d'affiches, de porter le keffieh, y compris dans les villes.

Pourquoi, et dans quel contexte ?

Durant les années 1930, l’immigration juive en Palestine connaît une forte hausse, notamment à la suite des persécutions antisémites en Allemagne et à la fermeture des frontières des pays européens devant les réfugiés du Reich.

Latent depuis quelques dizaines d’années, le conflit entre les communautés arabes de Palestine et les immigrants juifs — qui a déjà éclaté de manière sanglante en 1929 — s’amplifie à partir de 1936 dans le cadre d’un mouvement de rébellion armée dirigée contre la puissance mandataire britannique qui gouverne la Palestine.

Cette « révolte », loin d'être issue spontanément d’une utopie révolutionnaire, est clairement attisée par les élites arabes, par l’aristocratie et les leaders cléricaux, le cheik et le mufti, unis dans un élan nationaliste.

L’« insurrection », matée par les Britanniques en 1936, reprend lors de l'été 1937 avec une violence accrue : l'idée d'un Etat juif en « terre sainte » est inacceptable pour les musulmans nationalistes rassemblés autour du grand mufti de Jérusalem.

A partir de 1937, ces derniers s'organisent en bandes armées, commettent des attentats contre les institutions britanniques et se livrent à des « raids » contre les villages juifs. Le keffieh est désormais un signe de reconnaissance entre ces bandes.

C'est alors qu’en août 1938, les cadres de ce mouvement insurrectionnel imposent depuis leur quartier général à Damas, par voie d’affiches, le port du keffieh pour « manifester la solidarité totale de la population avec le djihâd ». Leur but est avant tout militaire : permettre aux combattants nationalistes de se fondre dans la foule après être passés à l’action.

Le choix du couvre-chef paysan n’est pas anodin : il fixe la définition de l'identité palestinienne en termes conservateurs, traditionalistes, et marque la différence avec le point de vue d'intellectuels arabes qui visent à une libération nationale plus émancipatrice.

Port du keffieh et port du voile…

En août 1938, une seconde mesure est imposée, par les mêmes, dans des conditions similaires : désormais les femmes arabes, musulmanes comme chrétiennes, sont sommées de porter le voile, y compris dans les villes où des Palestiniennes avaient commencé à apparaître la tête et le visage nus.

L’ordre est immédiatement respecté dans les villes : pour exemple, 20.000 « foulards palestiniens » sont vendus à Jérusalem dans la semaine qui suit l’affichage faisant obligation du port du keffieh, et trois fois plus dans les provinces.

La marée de keffiehs qui déferle sur les villes conquises par les nationalistes veut donner à voir un élan de solidarité nationale, un effacement des différences entre les classes, une unité du peuple… Mais les réfractaires, qui ont tenté de conserver leur couvre-chef traditionnel, sont violemment pris à partie : on parle alors, en anglais, de « fez-bashing », « tarbush-smashing ».

Les premières victimes du keffieh sont donc des Arabes palestiniens.

Ainsi le port du keffieh et du voile a-t-il été imposé, sous la contrainte, par un mouvement non seulement anti-juif et profondément réactionnaire, mais également tenté par un rapprochement avec les nazis.

La presse nationaliste arabe salue l’arrivée de Hitler au pouvoir en 1933, le grand mufti Hadj Amin el-Husseini appelle à suivre l’exemple du national-socialisme, avant de rejoindre Berlin, en 1941, et de se mettre jusqu’en 1944 au service du parti nazi dont le projet génocidaire devait s’étendre à la Palestine après en avoir fini avec les Juifs d’Europe.

Après la Seconde Guerre mondiale, le keffieh demeure le signe de reconnaissance du mouvement national palestinien.

Il apparaît en Europe à partir de 1967, introduit par les tenants d'une gauche pro-palestinienne et tiers-mondiste.

Mais aujourd’hui, en Allemagne notamment, le keffieh a de plus en plus d’adeptes néonazis, comme en témoigne le titre de ce tract rédigé par des opposants : « As-tu froid ou as-tu quelque chose contre les Juifs ? ».

Un titre provocateur, peut-être simplificateur, mais qui fait bien référence à l'origine de cette coiffe, devenue symbole national et imposée par la force.

Si la valeur esthétique du keffieh, dont l’aspect varie, suivant sa couleur, entre torchon de cuisine, tablier de boucher et serpillière multicolore, peut relever du goût de chacun, sa portée politique n’est pas aussi libre d’interprétation.

Symbole de la Résistance contre l'oppression pour les uns, torchon antisémite pour les autres, ce morceau d'étoffe n'a, en tout cas, rien d'anodin.

Toute personne qui arbore aujourd'hui cet accessoire désormais « à la mode » doit avoir conscience, non seulement, de son caractère d’emblème de la « cause palestinienne », mais aussi des conditions dans lesquelles il l’est devenu.

Gudrun Lender

Sources :

Krämer Gudrun, Geschichte Palästinas, Von der osmanischen Eroberung bis zur Gründung des Staates Israël, Munich, C. H. Beck, 2003.

Laurens Henry, La question de Palestine, tome 2, 1922-1947, Une mission sacrée de civilisation, Paris, Fayard, 2002.

Mallmann Klaus-Michael, Cüppers Martin, Halbmond und Hakenkreuz, Das Dritte Reich, die Araber und Palästina, Darmstadt, Wissenschaftliche Buchgesellschaft, 2007.

Schreiber Friedrich, Kampf um Palästina, Eine 3000jährige Geschichte der Gewalt, Munich, Langen Müller, 1992.

Swedenburg Ted, Memories of Revolt, The 1936-1939 Rebellion and the Palestinian National Past, Fayetteville, University of Arkansas Press, 2003.

samedi 27 septembre 2008

Jérusalem, ville trois fois sainte (3e partie): l’islam et Jérusalem (al-Quds al-Sharif)


Le Méhauté
Nous avons déjà mis en ligne la Première et la Deuxième Parties de cette instructive enquête [*], dont il faut savoir gré à l'auteur et au site "Un écho d'Israël". Notons qu'un orientaliste israélien a exprimé des vues beaucoup plus critiques sur l'intérêt musulman pour Jérusalem [**].
(Menahem Macina)


[*] Première Partie - Deuxième Partie.
[**] Voir Nadav Shragaï, "Au commencement était Al-Aqsa".



Dernière des trois religions monothéistes, l’islam s’implante au Proche-Orient et en Eretz Israël avec la venue des armées arabes, sous le commandement d’Omar Ibn al-Khattab, en 637 de notre ère.

Á l’avènement de l’islam, les musulmans appellent d’abord Jérusalem Beit al-Maqdis (Maison du Temple), Beit al-Quds (Maison Sainte) et Ilyâ’, nom dérivé d’Aélia Capitolina de l’époque romaine. Elle eut aussi d’autres appellations, dont al-Madina, al-Moqaddasa (la Ville Sainte), ou, comme la nommaient les écrivains et les voyageurs arabes du Moyen-Âge, al-Quds al-Sharif (la Sainte et la Noble).


Comment, dans la conscience et dans la pensée musulmanes, Jérusalem est-elle devenue le troisième lieu saint de la religion mahométane ?

Nous pouvons noter que la présence des communautés juives et chrétiennes dans les pays d’Arabie a sans nul doute influencé le prophète Mahomet. De ces communautés monothéistes, il puisa une partie importante de son message. Certaines traditions juives et chrétiennes, y compris les traditions bibliques, se retrouvent dans le Coran, ce qui nous fait penser que plusieurs des grandes idées du Prophète furent inspirées par le legs tant juif que chrétien, comme la notion du monothéisme, le jugement dernier, etc.

Pour les musulmans, la sainteté de Jérusalem est partie intégrante de cet héritage juif et chrétien, et, de fait, la première direction vers laquelle le Prophète se tournait pour la prière (qibla), n’était pas La Mecque, mais Jérusalem : « Les insensés parmi les hommes demanderont : Pourquoi change-t-il la qibla ? Réponds-leur : L’Orient et l’Occident appartiennent au Seigneur ; il conduit ceux qu’il veut dans le droit chemin » (Coran, sourate 2. 136). Cependant, vu le refus des Juifs de collaborer avec Mahomet et de recevoir ses révélations, le Prophète se détourna de Jérusalem et fit de la Kaaba de La Mecque l’unique lieu d’adoration d’Allah. Un hadith (recueil des actes et des paroles du Prophète) interprète cette démarche de Mahomet : « Le Prophète a eu le choix de se tourner dans la direction qu’il désirait. Il choisit la Maison Sainte à Jérusalem, pour satisfaire le peuple du Livre. Ce fut sa qibla durant 16 mois [...] jusqu’à ce qu’Allah le fasse se retourner vers la Maison (c’est à dire la Kaaba de La Mecque). » (Tabari, Commentaire, 923, Hadith.)

Si les noms de Médine et de La Mecque sont couramment mentionnés dans le Coran, le nom de Jérusalem n’apparaît dans aucune sourate. En revanche, cette ville est mentionnée plus de mille fois dans la Bible ! Ceux qui possèdent une version française du Coran peuvent noter que le nom arabe, « al-Aqsa » (l’Éloignée), est traduit ou interprété par « Jérusalem ». Mahomet ne fit aucun cas de Jérusalem après avoir choisi La Mecque, car aucune preuve historique n’atteste sa présence à Jérusalem.

Un événement important dans l’histoire de l’islam fut la prise de Jérusalem - ville sainte par excellence de l’Empire byzantin - par le calife Omar. Avant les conquêtes de l’islam, quand le prophète Mahomet gouvernait de Médine, Jérusalem, étant en dehors de l’orbite musulmane, n’avait pour cette nouvelle religion aucune importance politique ou religieuse. Mais, dès sa conquête par Omar, elle entra dans le dar al-Islam (territoire de l’islam) : « Depuis la conquête de Jérusalem par le calife Umar (qu’Allah l’agrée), elle a acquis un caractère purement islamique. La terre foncière est devenue la terre d’investigation charitable islamique et de confiance (Waqf) au fil des générations musulmanes, qui ne peut être cédée, vendue ni hypothéquée. Al-Mawardi a rapporté : "Une terre que les musulmans conquièrent par la force devient dar islam (territoire islamique) et ce, même si des musulmans vivent sur cette terre, ou si des polythéistes ont eu la permission d’y retourner, parce qu’elle est la propriété des musulmans. Elle ne peut pas être cédée aux infidèles ; ainsi, elle ne peut pas redevenir encore dar harb (une demeure de guerre)". » (Dr Abd al-fattah El Awaisi, « Les moyens pour garder le statut de Jérusalem », Journal of Islamic Jerusalem Studies, VI, N°2, 1981.)

Á ce moment-là, les lieux saints chrétiens de Jérusalem apparurent comme un défi aux yeux des musulmans. Les Juifs, quant à eux, reçurent le droit d’habiter dans la cité (droit refusé depuis la prise de la ville par l’empereur Hadrien).

Après sa victoire sur les chrétiens de Jérusalem il semble que le calife ait érigé une maison de prières près du rocher sacré « Sakhra » sur l’emplacement de l’ancien Temple juif que les chrétiens avaient délibérément abandonné et souillé. Cinquante ans plus tard, en 691, le calife Omeyyade Abd el-Malik Ibn Marwan construisit le sanctuaire appelé le Dôme du Rocher, et Jérusalem prit le nom de Beit al-Maqdis, dérivé du terme juif désignant le Temple (Beit ha-Miqdash). Walid, son fils, construisit, à l’extrémité sud de l’esplanade du Temple (Haram), la mosquée dénommée al-Aqsa.

C’est apparemment à cette période de l’histoire que le premier verset de la sourate 17 (intitulée : Le Voyage nocturne), fut interprété par les musulmans et les historiens comme faisant référence à la montée de Mahomet à Jérusalem : « Louange à celui qui a transporté, pendant la nuit, son serviteur du temple sacré (al masjid al-Haram) au temple éloigné (al masjid al-Aqsa), dont nous avons béni l’enceinte, pour lui faire voir nos merveilles. Allah entend et voit tout ». Dès cette période, l’identification du mont du Temple de Jérusalem avec « le temple éloigné » de la sourate 17, devint totale et définitive. Les Omeyyades voulurent donner rétroactivement une importance à Jérusalem dans la vie de Mahomet et faire de cette ville un élément central de l’islam.

Selon l’interprétation arabe de la première époque islamique, le prophète Mahomet avait été transporté miraculeusement de La Mecque à Jérusalem, au cours de son ascension céleste, le « mi’radj ». Il y est fait allusion dans les sourates 81. 23 et 53. 13 : « Il l’avait déjà vu (l’ange Gabriel) dans une autre descente ». Par la suite, les circonstances de ce voyage nocturne « l’isra » ont été embellies de tout un florilège de légendes, d’imaginations, d’interprétations, dont la miraculeuse monture blanche et ailée du Prophète, al-Buraq, et de nombreux autres détails, plus mythiques que réels. Le sens de cette histoire ou légende est qu’il n’y a pas de vol direct La Mecque-Ciel ; il faut prendre la correspondance à Jérusalem ! Par cette interprétation et par cette fusion de l’isra et du mi’radj, l’islam s’est rattaché à la tradition juive et chrétienne de la sainteté de Jérusalem. Dans le courant orthodoxe de la tradition islamique, la légende de l’ascension céleste de Mahomet, y compris la translation nocturne vers Jérusalem, doit être interprétée littéralement (cf. l’article de Zwi R. J. Werblowsky : Jérusalem dans la conscience juive, chrétienne et musulmane).

Par ailleurs, il semble que ce verset se réfère à une ascension extatique, c’est-à-dire une vision, vers un sanctuaire céleste. La notion de sanctuaire céleste, répandue dans la tradition juive et chrétienne, est parfois associée à la Jérusalem céleste, et cette sourate 17 pourrait y faire référence.

« Quelque temps avant l’Hégire, le 27ème jour de Rajab, en 620, le Prophète Mouhammad vécut ce que l’on devait appeler par la suite Le Voyage Nocturne (Al Isra) et l’Ascension (Al Mi’radj). Le début de la Sourate 17 (Al Isra, Le Voyage Nocturne, ou Bani Israïl, les Enfants d’Israël) fait référence à cet événement en ces termes : Selon feu Cheikh Hamza Boubaker, « il s’agit du voyage céleste du Prophète, sur lequel la concision coranique contraste avec la proxilité de la tradition, de la théologie et de la mystique. Voyage qui soulève un ensemble complexe de problèmes délicats, malgré l’abondante littérature élaborée par les musulmans d’hier et les orientalistes occidentaux de nos jours. » (voir : Moussa Allem, 12-10-2001 - www.oumma.net/Dimanche-14 octobre-Le-Voyage).

Une autre interprétation des experts en politique, était que la dynastie des Omeyyades de Damas cherchait à contrebalancer l’influence du calife rebelle de La Mecque, Ibn Zubayr. Des études plus récentes des chercheurs de l’Université Hébraïque de Jérusalem, ont abandonné cette interprétation. La tendance actuelle est d’admettre la version des anciennes sources musulmanes selon lesquelles les motifs réels étaient essentiellement d’ordre religieux (S. D. Goitein, Studies in Islamic History and Institutions, Leiden, 1966, pp. 135-148). Jérusalem avait commencé à prendre une place de plus en plus importante dans la dévotion musulmane. S’il existait un élément de compétition, ce n’était pas tant avec Ibn Zubayr et La Mecque, qu’avec les églises chrétiennes de Jérusalem, et surtout l’imposant dôme de la Résurrection, « l’Anastasis » du Saint-Sépulcre. Ceci est la version de l’illustre historien et géographe arabe du Xe siècle, al-Mukaddasi. Il n’y a pas de raison légitime, pensent les historiens modernes, de rejeter le témoignage de cet habitant de Jérusalem, proche du conflit des différentes religions qui la revendiquent.

Des hadith louant la sainteté de Jérusalem établirent des liens entre l’islam et le caractère sacré de Jérusalem. La sainteté de la ville commença à fasciner les masses musulmanes et un nombre croissant de croyances cosmologiques, eschatologiques et légendaires, ainsi que des pratiques rituelles se sont rattachées à son nom : « Le sanctuaire de marbre de Jérusalem est la troisième maison d’Allah, et les docteurs de la religion admettent qu’une prière offerte à Jérusalem équivaut à 25 000 prières offertes où que ce soit ; comme à Médine, une prière équivaut à 50 000, cependant une prière offerte à La Mecque équivaut à 100 000 prières. » (Nasir I. Khursau, Voyageur, 1047)

Sous les Abbassides de Bagdad, les Fatimides égyptiens, les Seldjoukides turcs (entre 750-1099) et jusqu’à la venue des croisés, Jérusalem régressa, tant dans son importance politique que religieuse. La ville est rarement mentionnée dans les sources arabes, et al-Mukaddasi se plaint du manque de théologiens et de penseurs musulmans. Le Perse Al-Ghazali (théologien, penseur, philosophe et mystique musulman) y fit un court séjour vers 1096, vivant en ermite.

Après la conquête de la ville par les croisés, en 1099, une nouvelle littérature arabe fait son apparition: les Fadha’ji al-Quds, qui louent Jérusalem et ses vertus. Ce genre littéraire n’est pas une simple propagande musulmane en vue de la reconquête de Jérusalem, mais une marque de piété religieuse. Les chercheurs ont même prouvé que ces Fadha’ji sont antérieures aux Croisades. (E. Sivan, « The Beginnigs of the Fadha’ji Al-Quds Literature », in Israel Oriental Studies, 1, 1971, pp. 263-271).

Voici quelques dictons arabes sur Jérusalem : « La ville fait partie d’une des quatre villes du Paradis, les trois autres étant La Mecque, Médine, et Damas » ; « Le bonheur est comme de manger une banane à l’ombre du Dôme du Rocher » (Ibn Asakir, historien, citant un hadith du XIIe siècle) ; « Celui qui vient à Jérusalem est pardonné de tous ses péchés par Allah, et quand il la quitte il est propre et pur comme un nouveau né » ; « Celui qui jeûne un jour à Jérusalem est délivré du feu de l’enfer » ; « Allah a établi son trône de jugement à Jérusalem, et là il inaugurera la résurrection des morts et le jugement dernier ». (Hadith de plusieurs périodes, cité dans le livre de M. Avi-Yonah, A History of the Holy Land, 1969).

La ville, reprise par Saladin (1187), passe ensuite aux mains des Mamelouks égyptiens, puis elle est relevée par le sultan Soliman II le Magnifique. La ville connaît un lent déclin et perd toute importance politique et religieuse pour l’islam. Á noter qu’elle ne fut jamais capitale d’un royaume ou d’un État musulmans ou arabes !

Depuis la fin du XIXe siècle, avec la montée du sionisme moderne nous assistons à un intérêt renouvelé pour la ville de la part des dirigeants arabes. C’est le grand mufti de Jérusalem (1920-30), le hadjdj Amin al-Husseini (instigateur des révoltes arabes de 1929, 1936-1939), qui, le premier, proclama que le Mur des Lamentations (Mur Occidental) est saint pour l’islam, Mahomet y ayant attaché sa jument ailée, al-Buraq ! Suite à la Guerre des Six jours (1967) et la réunification de Jérusalem par l’État hébreu, la ville est au cœur de la propagande politique et religieuse du monde arabe. Arafat déclara : « Jusqu’ici, aucune des fouilles qui ont été menées n’à pu prouver où se trouvait le Temple […] Soyons clairs : le Mur des Lamentations n’est pas un lieu saint pour les Juifs, il fait partie intégrante de la mosquée al-Aqsa. Nous l’appelons al-Buraq, le nom du cheval avec lequel Mahomet est monté au ciel en partant de Jérusalem. »

Le grand mufti actuel de Jérusalem, cheikh Ikrima Sabri, a, dans une interview accordée à Die Welt (17-01-2001) ["Cheikh Ikrima Sabri: "pas la moindre pierre qui rappelle l'histoire juive". Note d'upjf.org], refusé de reconnaître aux Juifs tout lien avec les lieux saints de Jérusalem (extraits) :
- Question : « la mosquée al-Aqsa a donné son nom à la nouvelle Intifada. Selon une déclaration du Grand rabbinat, faite le 4 janvier, la loi judaïque interdit « de céder la souveraineté sur le Mont du Temple, directement ou indirectement, à des étrangers », et cela parce que ce lieu est le plus saint pour le peuple juif. Quatre jours plus tard, vous avez, une fois encore, déclaré que l’endroit est absolument musulman. Une contradiction insoluble ? »
- Le cheikh Sabri : « Il n’y a pas le moindre signe d’une précédente existence du Temple juif à cet endroit. Il n’y a dans toute la ville, aucune pierre qui rappelle l’histoire juive. Par contre, notre droit est évident. Ce lieu nous appartient depuis 1500 ans […]. Quant aux Juifs, ils ne savent même pas où le Temple se trouvait exactement. C’est pourquoi nous ne leur reconnaissons aucun droit, ni sous la terre ni au-dessus. »
- Question : « […] le Mur des Lamentations fait partie du Temple juif [...] »
- Le cheikh Sabri : « Vous ne pouvez pas nous piéger de cette manière. Il n’y a pas une seule pierre dans le Mur des Lamentations qui ait un quelconque lien avec l’histoire juive. Ni du point de vue religieux ni sous l’angle historique, les Juifs n’ont aucune revendication justifiée à faire valoir quant à ce mur […] ».

Le cheikh Ibrahim Madhi a, quant à lui, fait la déclaration suivante dans un prêche diffusé en direct, depuis la mosquée Idjlin de Gaza, et retransmis par la télévision palestinienne, le 18 janvier 2002 : « […] Nous ne nous contenterons pas d’un État palestinien avec Jérusalem pour capitale. La cité sainte deviendra la capitale du califat islamique que nous aurons proclamé. » (en fait le califat islamique a été aboli en 1924 par Moustafa Kemal Atatürk).

« L’islam nous fournit ainsi l’exemple le plus frappant de la manière dont une ville sainte peut acquérir son caractère sacré sur la base de ce qui n’est, pour un observateur de l’extérieur tout du moins, qu’une légende superposée à une tradition antérieure de la sainteté du lieu, alors que, dans la tradition chrétienne, des faits historiques (la vie et la mort de Jésus) ont créé des faits religieux (la résurrection et l’ascension) et que les deux catégories se sont conjuguées pour attribuer à des lieux le caractère de "lieu saint". Le cas de l’islam est systématiquement opposé : les croyances et la dévotion populaire ont créé des faits religieux, et ceux-ci, à leur tour, ont crée des faits historiques […] En tout cas, pour l’islam, qui ne distingue pas le religieux du séculier à la manière chrétienne, les implications des faits religieux font légitimement partie intégrante de la sphère politique. Ceci reste vrai même quand la dimension religieuse est manipulée abusivement au bénéfice d’intérêts purement politiques. » (Werblowsky, Z. ; op. cit. p. 6).

« Ibrahim Hooper, du Conseil des relations américano-islamiques (Council on American-Islamic Relations, CAIR), situé à Washington, explique un anachronisme : "L’attachement des musulmans à Jérusalem ne débute pas avec le prophète Mahomet, il commence avec les prophètes Abraham, David, Salomon et Jésus, qui furent tous des prophètes de l’islam." En d’autres termes, les principaux personnages du judaïsme et du christianisme étaient en réalité des proto-musulmans. Cette théorie est à l’origine des affirmations de l’homme de la rue palestinien, pour qui "Jérusalem était arabe dès le jour de la création". » (Daniel Pipes, "Les revendications des Musulmans sur Jérusalem", Middle East Quarterly ; septembre 2001 ; adaptation française : Alain Jean-Mairet).

Jérusalem serait-elle la pierre d’achoppement des nations, comme l’avait annoncé le prophète Zacharie ? :

"Voici que je ferai de Jérusalem une coupe d’étourdissement pour tous les peuples d’alentour, et aussi pour Juda dans le siège de Jérusalem. En ce jour-là, je ferai de Jérusalem une pierre pesante pour tous les peuples ; et tous ceux qui la soulèveront seront meurtris ; et toutes les nations de la terre s’assembleront contre elle [...] » (Za 12. 2-9).

Loïc Le Méhauté

© Un écho d'Israël

Connaissance du pays : Jérusalem, ville trois fois sainte ! (2)

(2ème partie)
Loïc Le Méhauté
Un texte destiné à des chrétiens et écrit par un chrétien, mais qui ne manque pas d’intérêt pour les Juifs, en ce qu’il aide à comprendre les motivations de l’engouement chrétien pour Jérusalem. Rappelons que la publication "Un écho d’Israël" et son site, sont gérés bénévolement par des chrétiens, dont le loyalisme envers l’Etat d’Israël, même s’il ne constitue pas une inféodation, n’est plus à démontrer. Rappelons également que le Père Michel Remaud, dont nos internautes connaissent bien les articles mis en ligne sur ce site, est le conseiller scientifique et théologique de "Un écho d’Israël".
(Menahem Macina).


Extrait de "Un écho d’Israël" 42 – juillet août 2008.


Un peu d’histoire


Deux fois détruite par les légions romaines dirigées par Titus (en l’an 70), et par l’empereur Hadrien (132-135), Jérusalem fut relevée de ses cendres par les nouveaux envahisseurs qui la nommèrent Colonia Aelia Capitolina : ville dédiée à l’empereur Hadrien et à Jupiter Capitolin de Rome ! Etait-ce là l’accomplissement d’une prophétie de Jésus : "Ils tomberont sous le tranchant de l’épée, ils seront emmenés captifs parmi les nations et Jérusalem sera foulée aux pieds par les nations, jusqu’à ce que les temps des nations soient accomplis" (Lc 21. 24) ? Les envahisseurs romains interdirent aux Juifs de séjourner à Jérusalem et, pour effacer toute trace de ce peuple sur sa terre ancestrale, ils baptisèrent le pays d’Israël Palaestina, dérivé du nom du territoire qu’occupaient des peuplades indo-européennes sur le littoral méditerranéen entre Gaza et le mont Carmel.

Les empereurs chrétiens de Byzance rétablirent le nom de la ville et l’appelèrent Hagia Polis Yerusalem (Sainte ville de Jérusalem), tout en gardant le nom de Palestine pour désigner le pays. Visitant la ville au IVe siècle, Hélène (255-328) mère de l’empereur Constantin, prétend avoir identifié les sites du Saint-Sépulcre et du Golgotha. La tradition chrétienne lui attribue également la découverte de la Sainte Croix.

La ville fut prise par les Perses de Chosroès II (roi sassanide d’Iran) en 614. Reprise par les Byzantins en 629, elle est conquise par les armées arabes sous la conduite du deuxième calife, Omar ibn al-Khattab (Al-Faruq), en 638, après un siège de deux ans. Le gouverneur de Damas, Abd Al-Malik (687-691), érige le Dôme du Rocher et son fils Al-Walid construit la mosquée Al-Aqsa (vers 705-715). Le calife abbasside de Bagdad, Harun al-Rashid (786-809), garantit à Charlemagne la protection des lieux saints, ce qui permet le développement des pèlerinages.

En 1009, le calife fatimide du Caire, Al-Hakim fait détruire l’Anastasis, l’église du Saint-Sépulcre construite sous Constantin. Plusieurs chefs musulmans, tour à tour, attaquent et conquièrent Jérusalem. Les Turcs Seldjoukides contrôlent la ville à partir de 1071, et les Fatimides la prennent en 1098, juste un an avant qu’elle ne tombe aux mains des Croisés.

À partir du XIe siècle, les chrétiens lancent une série de croisades pour libérer la ville et avoir accès à leurs lieux saints. La première croisade, prêchée par Urbain II à Clermont-Ferrand en 1095, aboutit à la prise de Jérusalem le 15 juillet 1099, entraînant le massacre de sa population musulmane et juive. Jérusalem devient la capitale du Royaume latin (ou Royaume franc) de Jérusalem (1099-1187 et 1229-1244).

Prise par le Kurde Saladin (Salah al-Din), en 1187, après la défaite des croisés aux Cornes de Hattin, en Galilée, elle devient l’objet de négociations entre le nouveau maître et Richard Cœur de Lion, qui obtiendra, en 1192, une paix garantissant aux pèlerins chrétiens l’accès à Jérusalem. Elle restera cependant sous autorité musulmane. En 1229, l’empereur Frédéric II, également roi de Jérusalem, obtient le retour de la ville au Royaume franc après des négociations avec l’émir ayyoubide, al-Kâmil. Au cours de la VIIe croisade, organisée par Louis IX, les Mamelouks s’emparent de l’Égypte et de la Syrie. Cette dynastie, issue d’une milice formée d’esclaves affranchis, essentiellement Mongols, de la garde du sultan ayyoubide, prend le pouvoir en 1249. Le Mamelouk Baybars organise la contre-attaque et démantèle les forteresses croisées. Le Royaume latin (franc) cessera d’exister en 1291, à la prise de Saint-Jean-d’Acre.

Jérusalem et la Palestine resteront sous le contrôle des Mamelouks jusqu’à la venue des Turcs ottomans. Le 30 décembre 1516, le sultan Sélim Ier fait son entrée à Jérusalem et la ville passe sous domination ottomane. C’est son fils, Soliman II, dit le Magnifique, qui va doter la ville d’aqueducs et de fontaines. Les portes et les murailles qu’il fit ériger et reconstruire existent encore aujourd’hui. Soliman donna à la vieille cité l’aspect qu’elle a gardé pendant quatre siècles. Après sa mort, le déclin de la ville commence. Les pèlerinages latins se raréfient, mais la communauté grecque orthodoxe, dont les sujets sont ottomans, fortifie sa présence dans les Lieux saints. Il faudra attendre l’arrivée des pionniers juifs et de l’armée britannique pour que la ville retrouve sa splendeur passée. (cf. La porte de Jaffa, ouverture vers l’Ouest, vers l’Europe).


L’ambivalence du monde chrétien

Si pour le peuple d’Israël, Jérusalem était sa capitale et le lieu de la présence de Dieu dans le Temple, pour le monde chrétien, elle ne sera que le lieu où se déroulèrent des instants dramatiques de la vie de Jésus : sa Passion, sa Résurrection, son Ascension. Pendant des siècles, la chrétienté a été confrontée à la dualité de la Jérusalem céleste et de la Jérusalem terrestre.

Mais la chrétienté a dû faire face également au problème de la Jérusalem terrestre, comme l’énonce le professeur Zwi Werblowsky :

« Le Nouveau Testament lui-même manifeste une tendance prononcée à ce que l’on pourrait nommer la "déterritorialisation" du concept de sainteté et une dissolution de ses composantes géographiques. Au centre du concept de sainteté il y a le Christ, et non le Temple et le Saint des Saints. Ce n’est ni la Terre Sainte, ni la Ville Sainte qui constituent le "domaine de la sainteté", mais la nouvelle communauté, le corps du Christ. Cependant, pour les générations suivantes, le pays, en général, et Jérusalem, en particulier, furent considérés comme la scène sur laquelle les événements les plus importants de l’histoire de l’humanité s’étaient déroulés. C’est là que le mystère de l’Incarnation et de la Rédemption avait eu lieu. L’acte divin du salut [...] avait trouvé sa manifestation matérielle en un lieu précis […] La Nativité [...] la Passion [...] la Résurrection [...] l’Ascension [...] la naissance de l’Église [...] tous ces faits se sont produits dans cette ville et sur cette terre... »

(Werblowsky, Z., Jérusalem dans la conscience juive, chrétienne et musulmane).


La terre d’Israël deviendra donc, pour les chrétiens, la Terre Sainte, et Jérusalem, la Ville Sainte. Les empereurs et les impératrices byzantins favorisèrent le développement des pèlerinages en Terre Sainte afin de renforcer leurs pouvoirs religieux, politique et économique. Les pèlerinages à Jérusalem furent d’abord suscités à l’époque de Constantin (306-337), quand Hélène, sa mère, annonça la découverte de la tombe et de la croix de Jésus. Elle fit ériger la basilique du Saint-Sépulcre à l’emplacement présumé de la tombe de Jésus, trouvée après avoir détruit le temple païen d’Hadrien. Par la suite, les chrétiens identifièrent d’autres sites mentionnés dans le Nouveau Testament en relation avec la vie de Jésus et de ses disciples. Ces sites, sanctifiés, virent l’édification d’églises et de lieux de cultes somptueux, qui attirèrent une multitude de pèlerins, comme l’église de la Nativité, de Gethsémani, du mont Sion, etc. Les pèlerins désiraient venir prier sur les lieux attachés au mystère du Salut. Une fascination pour ces lieux saints - ornés de chandeliers d’or et d’argent, recouverts de mosaïques, de fresques et de tentures - s’empara d’une grande partie de la chrétienté. Mais, devant cet engouement pour le pèlerinage, qui devint un phénomène de masse, du IVe au VIIe siècles, des voix se sont élevées émettant des doutes sur la valeur de ce qui leur paraissait une conception tronquée de ce mystère. Certains pères de l’Église s’insurgèrent contre la vénération des "lieux saints", car ils y voyaient une interprétation charnelle des réalités spirituelles. Saint Grégoire de Nysse écrit dans une de ses lettres :

« Dites donc aux frères de s’élever du corps à Dieu, plutôt que de la Cappadoce à la Palestine ».

Et saint Jérôme de préciser :

« Le sanctuaire céleste est ouvert du côté Bretagne pas moins que du côté Jérusalem, car le Royaume de Dieu est en vous. » (Werblowsky, Z., Op. cit., p. 9)

Mais les périodes d’insécurité politique et la peur des épidémies interrompirent ces élans religieux, qui connurent un regain sans précédent à l’époque des Croisades. Le désir de libérer les lieux saints tombés aux mains des Sarrasins [Arabes], la crainte de la mort, l’aspiration au salut éternel, le besoin d’exotisme, d’aventures et de territoires, etc., incitèrent les chrétiens de l’Occident à répondre à l’appel lancé par le pape Urbain II pour la Croisade en Terre Sainte. Certains recherchaient dans le pèlerinage un moyen de faire pénitence, d’autres la rémission des péchés, l’accomplissement d’un vœu, la guérison, etc., voire l’obtention d’une relique, etc.

Malgré cet élan de pèlerinage à l’époque médiévale, pour beaucoup de fidèles, la vraie demeure du chrétien reste la Jérusalem céleste. La Jérusalem terrestre est tout lieu où est vécue une vie chrétienne parfaite, comme le fait entendre saint Bernard, abbé de Clairvaux, dans une de ses lettres à l’évêque de Lincoln, parlant d’un certain Philip, clerc anglais, qui a rejoint l’abbaye de Clairvaux :

« Il est entré dans la Ville Sainte et a choisi son héritage [...] Il n’est plus un spectateur en quête, mais un habitant pieux et un citoyen de Jérusalem, et cette Jérusalem c’est Clairvaux. Elle est la Jérusalem unie à la Jérusalem céleste par la piété, par la vie conforme et par une certaine affinité spirituelle. »

(Bruno Scott James, "Les lettres de saint Bernard de Clervaux", 1953 ; pp. 90-92 ; en anglais).


Contrairement aux églises traditionnelles d’Orient et d’Occident, l’église protestante n’a pas adopté la tendance, presque bimillénaire, au pèlerinage. Cependant, beaucoup de membres de cette église furent parmi les premiers archéologues bibliques et, aujourd’hui, nombreux sont les chrétiens des différentes branches évangéliques issues du protestantisme, qui font un voyage d’étude en Israël, "la Bible à la main" et non en pèlerinage. Notons aussi la formule originale inaugurée par le père Fontaine [un guide catholique de la Terre Sainte. Note d’upjf.org] : « La Bible sur le terrain ». [S’agit-il de la résurgence de l’]ancien dilemme de la Jérusalem terrestre, ou retour aux sources de la foi, tout en s’élevant vers la Jérusalem céleste ?


La Jérusalem céleste dans le Nouveau Testament

Dans la tradition chrétienne, la primauté de la Jérusalem céleste l’emporte par rapport à la tradition juive de la Jérusalem terrestre. Jérusalem, bien que ville sainte, connue pour ses "lieux saints", n’est qu’un reflet de la [conception de la] Jérusalem d’en haut, qui prédomine dans la pensée chrétienne.

Pour les chrétiens, la Jérusalem vers laquelle on dirige sa marche, c’est la Jérusalem céleste :

"Car nous n’avons point ici-bas de cité permanente, mais nous cherchons celle qui est à venir." (Epître aux Hébreux, 13, 14).

Elle est l’archétype de l’Église, son reflet terrestre, qui, dans les écrits pauliniens, est identifiée à la mère :

"Mais la Jérusalem d’en haut est libre, c’est notre mère... " (Epître aux Galates, 4, 26) – "Mais notre cité à nous est dans les cieux, d’où nous attendons aussi comme sauveur le Seigneur Jésus-Christ" (Epître aux Philippiens, 3. 20).

L’auteur de l’Épître aux Hébreux illustre cette Jérusalem céleste, en ces termes :

"Mais vous vous êtes approchés de la montagne de Sion, de la cité du Dieu vivant, la Jérusalem céleste, des myriades qui forment le chœur des anges, de l’assemblée des premiers-nés inscrits dans les cieux, du juge qui est le Dieu de tous, des esprits des justes parvenus à la perfection, de Jésus qui est le médiateur de la nouvelle alliance, et du sang de l’aspersion qui parle mieux que celui d’Abel" (He 12, 22-24).

Dans l’Apocalypse de Jean, point final du Nouveau Testament, est décrite la "Nouvelle Jérusalem" vers laquelle chaque chrétien tend les bras en soupirant Maranatha (expression araméenne signifiant "Notre Seigneur vient", cf. 1ère Epître aux Corinthiens, 16, 22 ; Apocalypse, 22, 20) :

"Puis je vis un nouveau ciel et une nouvelle terre... Et je vis descendre du ciel, d’auprès de Dieu, la ville sainte, la nouvelle Jérusalem, préparée comme une épouse qui s’est parée pour son époux... Et il me montra la ville sainte, Jérusalem... ayant la gloire de Dieu... Son éclat était semblable à celui d’une pierre très précieuse... Je ne vis point de temple dans la ville ; car le seigneur Dieu tout-puissant est son temple, ainsi que l’agneau..." (Ap 21. 1-22).

Le monde chrétien, quelle que soit son influence religieuse et spirituelle, s’est senti attiré, comme par un aimant, vers la Jérusalem terrestre, tout en ayant les yeux levés vers les cieux, d’où viendra la Jérusalem céleste. Un pèlerinage à Jérusalem préfigurerait-il, pour certains, la recherche du bonheur céleste et l’attente d’un monde nouveau ?


Loïc Le Méhauté



Dans un troisième article, on parlera de la place de Jérusalem dans l’islam (Al-Kuds al-Sharifa).



Suggestions de lecture :

Werblowsky, Zwi R. J., Jérusalem dans la conscience juive, chrétienne et musulmane ; Centre d’Information d’Israël ; 3ème éd. 1995, Ahva Press, Jérusalem.

- Dossiers d’Archéologie : Jérusalem 5000 ans d’histoire, nos 165-166, 10/11/1991.

- Prawer, J., « Le Christianisme entre la Jérusalem Céleste et la Jérusalem Terrestre » (en hébreu) dans Jérusalem à travers les âges, pp. 179-192, Jérusalem, 1968.



© Un écho d’Israël

Connaissance du pays : Jérusalem, ville trois fois sainte !


(1ère partie)
Loïc Le Méhauté



Jérusalem, ville trois fois sainte ! Est-ce un mythe ou une réalité, ou les deux à la fois ? Berceau du judaïsme et du christianisme, elle deviendra, au VIIe siècle de notre ère, la troisième ville sainte de l’islam, sous l’influence des Omeyyades de Damas.


Jérusalem dans la pensée et la conscience juives

Dans la Bible, Jérusalem est appelée indifféremment: Cité de David, Sion, Ariel, Cité de Dieu, Cité Fidèle, Ville Sainte, Ville du Grand Roi, Ville de l’Éternel, Ville de Justice, L’Éternel est ici... Elle attend un nom nouveau, que la bouche de l’Éternel déterminera (Is 62, 2).

Humainement parlant, Jérusalem n’avait aucun atout stratégique ou topographique pour devenir une capitale de renommée mondiale. Loin des grands axes routiers qui traversaient le pays de Canaan (voie de la Mer, voie Royale), perchée sur les hauteurs des monts de Judée (à environ 800m d’altitude), aux abords d’un désert et sans approvisionnement suffisant en eau, elle ne pouvait espérer un développement qui pût l’élever au rang des cités anciennes d’Égypte et de Mésopotamie. La tradition prétend que ni Alexandre le Grand, ni Bonaparte n’y firent une halte au cours de leurs campagnes militaires. En dépit de cette position géopolitique peu avantageuse, selon l’eschatologie juive et chrétienne, Jérusalem subsistera sur les hauteurs : "Jérusalem sera élevée et demeurera à sa place" (Za 14, 10) ; de plus, elle verra affluer en son sein les richesses des nations (Is 66, 12). Des prophètes eurent même la vision d’un fleuve coulant du sanctuaire (Ez 47, 1-12 ; Za 14, 8).

Jérusalem - en hébreu, Yerushalaïm -, synonyme de paix, porte encore les cicatrices et les meurtrissures infligées par ses nombreux envahisseurs et conquérants arrogants, qui disaient, dans la journée du carnage : "Rasez, rasez jusqu’à ses fondements" (Ps 137, 7). Elle fut plusieurs fois réduite en cendres au cours des conquêtes successives (plus de vingt) ! Cependant, le prophète Isaïe annonce la paix et la consolation :

"Car, ainsi parle l’Éternel : Voici que je dirigerai vers elle la paix comme un fleuve, et la gloire des nations comme un torrent débordant, et vous serez allaités, vous serez portés sur les bras [...]. Ainsi, moi je vous consolerai ; vous serez consolés à Jérusalem [...]" (Is 66, 12-14).

Il y a un avenir pour cette ville !

Dans l’histoire du peuple hébreu, de l’époque des patriarches à la première période israélite, immédiatement après la conquête de Canaan par Josué, Jérusalem n’est pas le principal centre cultuel. Les centres religieux des Hébreux étaient le mont Garizim, Béthel et Shilo. Jérusalem est mentionnée pour la première fois dans la Bible, sous le nom de Salem, dans le récit de la Genèse relatant la rencontre de Melchisédech et d’Abraham. L’épisode de la ligature d’Isaac est situé au mont Moriah, devenu sous Salomon, le mont du Temple (Gn 22. 2 ; 2 Ch 3, 1).

C’est à l’époque de David (1000 av. notre ère) que Jérusalem est entrée dans l’histoire des Israélites, dans leur conscience historique et religieuse. Cette conscience est formulée principalement dans le livre des Psaumes et les livres prophétiques. Que de fois elle fut dépeinte, par le psalmiste David, comme la ville de l’Éternel :

"Sion ma montagne sainte" (Ps 2, 6) ; "Oui, l’Éternel a choisi Sion, il l’a désirée pour son habitation : c’est mon lieu de repos pour toujours ; j’y habiterai, car je l’ai désirée [...]" (Ps 132, 13, 14).

C’est là, au Temple de Salomon, que les tribus montaient pour louer Dieu et célébrer les trois fêtes de pèlerinage (Pessah, la fête des Premiers fruits et la fête des Cabanes).

Jérusalem et Sion qui sont synonymes, ont fini par désigner non seulement la ville, mais encore le peuple juif. "Fille de Sion" personnifie le peuple et tout le pays d’Israël. La ville, le pays et le peuple ont fusionné en une grande unité : Sion. Sion-Jérusalem, identifiée à la mère éplorée et en deuil, doit retrouver un jour la joie de ses fils réunis en son sein :

"Sion disait : L’Éternel m’a abandonnée, le Seigneur m’a oubliée ! Une femme oublie-t-elle son nourrisson ? [...] Moi je ne t’oublierai pas [...]. Tes fils accourent [...] Tous se rassemblent, ils viennent vers toi." (Is 49, 14-18).

Les prophètes la glorifient et la rejettent, tour à tour, et elle devient le sujet de leurs sarcasmes quand ils dénoncent la corruption et l’impiété qui y règnent :

"Quoi donc ! La cité fidèle est devenue une prostituée ! Elle était remplie de droiture, la justice y régnait, et maintenant ce sont des assassins [...]" (Is 1. 21-31).

D’autres pleurent sur ses ruines et sur le peuple exilé :

"Je voudrais surmonter mon tourment ; mon cœur souffre au-dedans de moi. Voici que les cris plaintifs de la fille de mon peuple viennent d’une terre lointaine : l’Éternel n’est-il plus à Sion ? [...]" (Jr 8, 18-23).


Dans la liturgie et la littérature juives, les sages et les rabbins l’exaltent, eux aussi. Une très ancienne référence talmudique à une Jérusalem céleste, place ces paroles dans la bouche de Dieu :

« Je n’entrerai pas dans la Jérusalem céleste avant d’être entré dans la Jérusalem terrestre » (Ta’anith 5b).

Un Midrash nous dit :

« Vous verrez aussi qu’il y a une Jérusalem d’en haut qui correspond à la Jérusalem d’en bas. Par amour de la Jérusalem terrestre, Dieu s’en est fait une en haut. »

On peut voir, dans ces textes, une idéalisation spirituelle et religieuse de la Ville sainte, de la Nouvelle Jérusalem, la Jérusalem céleste, le trône de l’Éternel :

"Ce ne sera plus le soleil qui te servira de lumière pendant le jour, ni la lune qui t’éclairera de sa lueur ; mais l’Éternel sera ta lumière pour toujours, ton Dieu sera ta splendeur." (Is 60, 19).

Le Talmud de Babylone nous rapporte que

« dix mesures de beauté ont été répandues sur le monde ; neuf ont été prises par Jérusalem et une par le reste du monde [...] » (Kidoushin 49b).


Le choix de Dieu concernant Jérusalem fut d’un prix lourd à payer : sarcasmes des envieux, reproches d’élitisme... La Bible ne dit-elle pas que Jérusalem est au centre des nations (Is 5, 5), le nombril du monde, se demande le Talmud.

« Le pays d’Israël est au centre du monde ; Jérusalem est au centre du pays d’Israël ; le Temple est au centre de Jérusalem. » (Kiddushin, Midrash Tanhuma).

Selon l’évêque français Arculfe (670 apr. J.-C.), elle est le centre de l’univers. Les cartographes l’ont placée au centre du monde ; c’est le cas de la carte dessinée, en 1581, par Heinrich Buenting.

Dans la prière des 18 Bénédictions (Amidah) les Juifs récitent :

« Dieu de miséricorde, reviens vers ta ville, vers Jérusalem, comme tu l’as promis ; reconstruis-la, de nos jours, et demeures-y. Qu’elle soit un monument éternel, et que le trône de David y soit bientôt rétabli ! Sois loué, Éternel, qui réédifiera Jérusalem ! [...]. Sois loué, Éternel, qui établira le séjour de ta gloire à Sion ! »

Á Pessah, les Juifs se congratulent en proclamant « L’an prochain à Jérusalem ! » Pour toutes les fêtes et commémorations juives, Jérusalem est mentionnée, et des prières montent vers Dieu pour qu’il la rétablisse et la rende glorieuse sur toute la terre.

Yéhouda Halévi, l’éminent médecin et poète juif de l’âge d’or de l’Espagne musulmane, exprima l’ardent désir du retour du peuple juif sur sa terre. Dans son fameux poème, Sion Ha-Lo Tishali [Sion, ne demandes-tu pas..], il pleure le veuvage de Jérusalem :

« Sion ! Ne demanderas-tu pas si tes captifs vivent en paix ; ceux qui désirent ta sécurité, les rescapés de ton peuple [...] ? »

Ce chantre de Jérusalem écrivit dans une complainte : « Mon cœur est en Orient, bien que je vive en Occident. » (voir le chant du mois : Ode à Sion)

Foulée aux pieds des nations, comme l’avait prédit Jésus (Lc 21, 24), qui, en la contemplant, pleura sur elle, car elle n’avait pas reconnu le temps de sa visitation, la ville qui rejeta les prophètes qui lui furent envoyés, est cependant restée l’objet de la compassion de Dieu :

"Car celui qui t’a faite est ton époux : L’Éternel des armées est son nom et ton rédempteur est le Saint d’Israël. [...] Mais avec un amour éternel, j’aurai compassion de toi, dit ton rédempteur, l’Éternel." (Is 54, 5-8)

Les poètes et les artistes l’interprètent, à leur tour, l’appelant ville d’or, de cuivre et de lumière [allusion à la chanson de N. Shemer, Yerushalaim shel zahav. NDLR d’upjf.org]. Leurs métaphores, empreintes de lyrisme, exaltent et idéalisent la cité de Dieu, cité tant de fois ravagée. Jérusalem, grâce à ses constructions en pierres calcaires (conformément à l’ancienne loi britannique), devient or au soleil, argent au clair de lune.

« Celui qui n’a pas vu Jérusalem dans sa splendeur n’a pas vu une belle cité » (Sukka 51b).

Elle est, comme le gouvernement israélien aime à le proclamer :

« Entière et unifiée, capitale d’Israël. » (Loi fondamentale de Jérusalem, 1980).

Que de fois ses enfants ne tentèrent-ils pas de la reconstruire en attendant la venue du Messie libérateur ! Cette ville deviendra

"une coupe d’étourdissement pour tous les peuples d’alentour [...] Une pierre lourde à soulever pour tous les peuples ; tous ceux qui la soulèveront seront gravement meurtris ; et toutes les nations de la terre s’assembleront contre elle." (Za 12, 2, 3).

Cependant, malgré ses infidélités, l’Éternel ne l’a pas rejetée pour toujours : "Ton créateur est ton époux" (Is 54. 5). Un cri sort de la bouche et du cœur du psalmiste, reflétant la compassion de Dieu pour sa Ville : "Si je t’oublie Jérusalem..." (Ps 137, 5). Ce cri n’est-il pas repris par le fiancé aux cours de la cérémonie du mariage ? Les prophètes, sous l’inspiration du Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, nous révèlent que l’Éternel n’a pas oublié Jérusalem :

"Voici, je t’ai gravée sur mes mains ; tes murs sont continuellement devant mes yeux." (Is 49, 16).


Le mouvement moderne du retour des Juifs sur la terre de leurs ancêtres, déclenché à la fin du XIXe siècle, bien que mouvement non religieux, tire son nom de Sion. Le sionisme est une idéologie qui traduit l’aspiration des Juifs du monde entier pour leur patrie historique, Eretz Israel et son ancienne capitale, Jérusalem-Sion. L’hymne national israélien est un reflet de cette aspiration bimillénaire :

« Aussi longtemps qu’en nos cœurs, vibrera l’âme juive, et tournée vers l’Orient, elle aspirera à Sion, notre espoir n’est pas vain, espérance bimillénaire, d’être un peuple libre sur notre terre, le pays de Sion et Jérusalem [...] » (la Hatikva, L’Espérance)

En 1967, le chant Yerushalaim shel Zahav (Jérusalem, ville d’or), composé par Naomi Shemer, remporte le premier prix du Festival de la chanson d’Israël. Le 27 avril dernier, il est proposé comme le meilleur chant des soixante premières années de l’État d’Israël :

« Jérusalem d’or, de bronze et de lumière, pour toutes tes chansons, ne suis-je pas un violon ? Si je t’oublie Jérusalem... toi qui es toute d’or... »

Symbolique ! Non ?

Pour les Juifs du monde entier, Jérusalem est leur identité et ils sont Jérusalem. Leur histoire reste ancrée dans un lieu géographique réel : Eretz Israel, avec Jérusalem pour capitale ! Si le symbole de l’État d’Israël est l’Étoile de David, celui de Jérusalem est le Lion de la tribu de Juda.

Dans la deuxième partie de cet exposé nous aborderons la pensée chrétienne et son attitude ambivalente sur la Cité sainte, ainsi que la relation du monde musulman envers Jérusalem, qu’ils nomment Al-Quds, la Sainte.



Loïc Le Méhauté



© Un écho d’Israël

LE MYTHE DE LA TOLERANCE MUSULMANE EN ANDALOUSIE


Paradigme obligé en ces temps de crispations identitaires où le modèle multiculturel européen vacille sur ses certitudes, la présentation d’une Andalousie fantasmée où auraient cohabité harmonieusement musulmans, juifs et chrétiens, est une pure invention servant à justifier l’islamisation actuelle.

Il y a le mythe, et il y a les faits historiques. Si effectivement, eut lieu une véritable effervescence intellectuelle multiculturelle à Tolède et à Cordoue, l’occupation musulmane de l’Espagne fut émaillée perpétuellement d’exactions, de discriminations dues au statut de dhimmi des conquis, de pillages et de persécutions.

En 796 eut lieu une sévère répression de la révolte des autochtones dans la même ville, 20 000 familles prirent la route de l’exil. En 817 une révolte de convertis forcés à Cordoue provoqua l’ expulsion des habitants. En 850, le prêtre Perfectus est décapité publiquement pour blasphème, ayant voulu débattre des erreurs de l’islam et la même année, le marchand chrétien Johannes de Cordoue est torturé puis emprisonné pour avoir prononcé le nom de Mahomet pendant une vente. En 851, d’Abd el Rahman II de Cordoue promulgue un édit menaçant de mort tous les blasphémateurs envers l’islam et emprisonne tous les chefs de la communauté chrétienne de la cité. L’année d’après a lieu l’ épuration de l’administration de Cordoue de ses éléments chrétiens, ainsi que la destruction des églises datant d’après la conquête arabe. En 900 est prise une mesure radicale : l’interdiction pour les chrétiens de Cordoue de construire de nouvelles églises. En 976, après l’invasion almoravide le Calife Almanzor, organise au pied de la Sierra Nevada une véritable Inquisition officielle, la seconde depuis l’Inquisition judaïque, et expurge toute les bibliothèques du califal , sans en exclure la biblihothèque royale d’Al-Hakam II, essentiellement composée d’ouvrages accumulés par les wisigoths, qui seront brûlés par un gigantesque autodafé. L’histoire tranche avec le préjugé infondé de la tolérance du califat cordouan et de la richesse de son « incroyable bibliothèque royale, riche de 600 000 volumes », héritage en fait de la catholicité wisigothique. Al Mansur continu sur sa lancée obscurantiste, en 981 Zamora est pillée, en 985 c’est Barcelone, puis en 997 le calife détruit la ville de Saint Jacques de Compostelle .

En 1010 débute le massacre de centaines de juifs autour de Cordoue qui se prolongera trois ans. L’année 1066 est marquée par le massacre de milliers de juifs à Grenade. En 1102, la population chrétienne de Valence dut fuir vers l’Espagne du Nord récemment reconquise pour échapper aux persécutions. En 1125, les chrétiens de Grenade profitèrent de la retraite des troupes d’Alphonse d’Aragond rentrant chez elles après un raid en Andalousie, pour trouver refuge dans le nord chrétien. En 1146, ce fut un autre exode massif, celui des chrétiens de Séville, fuyant l’ invasion de l’Espagne par les Almohades, berbères islamisés extrémistes, provoquant expulsion des juifs ou conversions forcées. Les Almohades en 1184, imposent des signes distinctifs aux chrétiens et aux juifs en Espagne, et en 1270 a lieu la ségrégation généralisée des juifs en Andalousie. Hormis cela, oui, on peut trouver des périodes de calme relatifs qui permirent une cohabitation apaisée’à condition de se soumettre à la pax islamica.


source: http://www.cyber-partner.com/spip.php?article227

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Mythique Andalousie

Les relations entre musulmans et les autres gens du Livre (juifs et chrétiens) d'Al-Andalus relèvent davantage d'une cohabitation plus ou moins pacifique que d'un multiconfessionalisme assumé.

Chercher à situer dans l'histoire d'Al-Andalus - l'Andalousie -, partie de la péninsule Ibérique sous domination musulmane, un moment particulier de convivencia, d'esprit ouvert à un « multiconfessionnalisme », relève du mythe. Plus exactement, il révèle ce que l'historien Geary dans La Mémoire et l'oubli à la fin du premier millénaire (Aubier, 1996) appelle une manipulation des « fantômes de la mémoire » créés par des générations d'« historiens » au service d'une cause qui touche leur propre époque. A ce titre, deux postures sont possibles : l'un d'elles peut être résumée par ces propos du grand arabisant Jacques Berque (Andalousies dans Les Arabes, Actes Sud, 1981) : « J'appelle à des Andalousies toujours recommencées, dont nous portons en nous à la fois les décombres amoncelés et l'inlassable espérance », conduisant à se dire : « Peu importait donc la réalité historique de l'Andalousie, pourvu qu'elle fournît la matière d'un projet d'avenir. »

L'autre posture est celle de l'historien « classique » qui tente de remettre en place les événements et les concepts dans leur chronologie, en répétant que la signification que l'on donne aujourd'hui au mot « tolérance » n'aurait aucun sens pour un clerc catalan ou asturien du Xe siècle ou castillan au XIIe siècle, ou bien pour un juriste de Cordoue à la même époque. Cette position est plus ardue, car elle demande des explications qui rendent moins réceptives des restitutions qui ne correspondent pas à ce que nos contemporains veulent entendre, comme le thème du paradis perdu, sorte de référence absolue qui rassure l'esprit en un temps d'un affrontement particulièrement fort, « sacro-sainte Andalousie, écrivait Jean Daniel, où, pendant une soixantaine d'années [avait] régné ce phénomène merveilleux et bouleversant qu'on a appelé l'esprit de Cordoue » (Le Nouvel Observateur, octobre 1994). Toutefois, ce procédé est plus utile à ceux qui veulent trouver des repères sérieux dans un passé qui apparaît comme le moment le plus intense de la confrontation entre islam et chrétienté, car il correspond à une réalité humaine possible. Si l'on adopte cette position, à la question : Al-Andalus, creuset multiconfessionnel ? la réponse est négative.

Les lettrés du Moyen Age sont gens de croyance et de droit. Ils nous ont laissé des écrits étayés par ces principes. Au contraire, la réalité du terrain est beaucoup plus difficile à saisir, par l'absence d'archives que ne compense pas l'abondance de la production littéraire. Sur le plan des principes, la réponse semble simple : le multiconfessionnalisme - islam, judaïsme, christianisme - n'existe que par défaut. Si l'on préfère, il est toléré faute de mieux et pour un temps limité, celui qui correspond à ce qui reste comme temps de vie terrestre avant l'échéance apocalyptique. La légitimité des conquérants arabes et musulmans repose sur le respect et la propagation de la charia, dont les souverains sont les garants. Seul l'islam est vérité, les autres religions, erreurs : le judaïsme et le christianisme sont des prophéties d'un même Dieu que celui de l'islam, dévoyées par leurs adeptes. Les paroles coraniques permettent à Mahomet de créer un cadre de cohabitation entre les musulmans et les « protégés » (dhimmî), qui donnent aux juifs, chrétiens et, un peu plus tard, zoroastriens, la possibilité de vivre avec les musulmans, mais selon des conditions qui les placent en situation d'infériorité dans une société soumise à la loi de l'islam par la conquête.

Donc, en principe, il n'est pas question d'une tolérance plaçant les confessions au même plan, mais d'un « arrangement » permettant de ménager les non-musulmans, très largement majoritaires dans les premiers temps de l'islam, à condition qu'ils reconnaissent la prééminence de la loi coranique. Il n'en va pas autrement en Al-Andalus : les juristes malikites, sous la conduite des émirs omeyyades de Cordoue, imposent ce cadre aux juifs et aux chrétiens.

Au-delà de la norme, saisir une réalité de cette cohabitation est beaucoup plus difficile. Dans l'ensemble, en Al-Andalus comme dans le reste du monde musulman, le gouvernement intervient le moins possible dans la vie des communautés. Seul le refus d'obéissance au pouvoir peut révéler leur existence ; les exemples s'avèrent finalement très rares. Au-delà, la situation des minorités évolue différemment. La communauté juive jouit d'une situation favorable, surtout par rapport à l'époque wisigothique ; le judaïsme vit un renouveau sous la bannière de l'islam, en particulier sur le plan des études religieuses et de la littérature sous toutes ses formes. En revanche, les mozarabes (chrétiens d'Espagne de langue arabe) subissent un déclin numérique progressif, plus marqué que dans les régions orientales ; mais l'absence de données chiffrées ouvre sur des postulats hypothétiques.

Ni l'attitude des autorités, ni la pression fiscale, plus forte sur les dhimmî, ni les événements frontaliers n'expliquent véritablement une situation qui touche l'ensemble des communautés chrétiennes en Islam. Pour Al-Andalus, une thèse récente de Cyrille Aillet sur les mozarabes permet de constater que le déclin qualitatif est postérieur au Xe siècle alors qu'on le faisait commencer un siècle plus tôt. En effet, l'arabisation des lettrés chrétiens les a assimilés à la culture musulmane et la perte du latin n'est pas forcément le résultat d'un déclin culturel ; l'adoption de l'arabe est plutôt un signe de dynamisme, d'adaptation comme en Orient à l'évolution culturelle, permettant une diffusion plus ample de leurs écrits, liturgiques en particulier. C'est au XIe siècle, que les premiers signes de déclin, marqué par une production littéraire plus faible, sont nettement visibles.

Qu'est-ce qui explique ce déclin ? Il tient probablement à une pression sociale de plus en plus forte de la population au fur et à mesure qu'augmente la proportion des musulmans ; la proximité de la frontière joue également : dès la fin du IXe siècle, une émigration des élites, cléricales surtout, renforce le mozarabisme dans le nord, mais affaiblit l'encadrement d'Al-Andalus. La guerre sur les frontières, surtout lorsque le rapport des forces s'inverse en faveur des Etats chrétiens, accentue le scepticisme. A ce moment, on note des déclarations qui marquent une crispation des milieux des hommes de loi. A partir du deuxième quart du XIIe siècle, avec la pression des chrétiens du nord, la situation des mozarabes se dégrade nettement : une expédition du roi Alphonse Ier d'Aragon en 1124, impliquant des communautés mozarabes, provoque une réaction légaliste des juges qui condamnent plusieurs d'entre elles à l'exil au Maroc. La proclamation de la fin de la protection des dhimmî, en 1160 dans l'ensemble de l'Empire almohade (Al-Andalus-Maghreb), accusés d'avoir soutenu les ennemis chrétiens, finit de faire disparaître un mozarabisme déjà moribond, et le geste relève plutôt du symbole.

Ce seraient donc les circonstances qui auraient influencé l'évolution des communautés religieuses minoritaires en Islam et plus particulièrement en Al-Andalus. Leurs élites, lettrés, savants, font partie de l'entourage princier et défendent leurs intérêts. Les chrétiens, devenus minoritaires et moins présents au sommet de la société, sont ballottés au gré des relations entre Etats, d'autant plus à proximité des frontières. La diminution de leur nombre et l'éloignement des chrétiens de la cour, surtout à partir du XIIe siècle, sont probablement des raisons fortes de leur marginalisation.

Si la conversion forcée n'existe pas, ils sont « minoritaires » dès la conquête arabe, selon la loi établie à partir des débuts de l'Islam, même lorsqu'ils sont plus nombreux, car les Etats médiévaux se légitiment au nom d'une religion universaliste et eschatologique, où seuls ceux qui sont dans la voie droite peuvent accéder au salut. Il n'y a donc pas multiconfessionnalisme, mais cohabitation temporaire. Après, l'attitude des autorités et des populations varie selon les circonstances : la période d'expansion en Méditerranée conduit les autorités islamiques, qui ont besoin des protégés, à une attitude de recul par rapport à des règles de différenciation qui apparaissent surtout au XIe siècle et au-delà : port vestimentaire distinctif, défense de toute marque ostentatoire, etc. Cette évolution est également le fruit d'une autre mutation : l'Islam s'inspire des modèles politiques et culturels antiques durant les premiers siècles. Avec la domination numérique et intellectuelle de l'islam, les références externes disparaissent peu à peu de la mémoire collective car ils n'ont plus de sens et l'islam, remarquablement servi par des générations de penseurs, se suffit à lui-même. Cette unité de référence est renforcée par une faible attirance pour les courants extérieurs, suspects d'innovation, donc d'hérésie. En revanche, si la « tolérance » n'est pas un concept médiéval, il est vrai que le statut de « protégés » est une nouveauté par rapport au christianisme qui, du coup, s'en inspirera, par exemple après la prise de Tolède en 1085, pour faire cohabiter les religions, avec le même esprit, loin de notre « tolérance multiconfessionnelle ».

source: C

Au commencement était Al-Aqsa

Nadav Shragaï
Un phénomène auquel on ne prête pas suffisamment d'attention, malgré les graves dangers qu'il recèle : tandis que le négationnisme antijudaïque prospère dans le monde arabe, le monde, en général, et le monde chrétien en particulier, se taisent. Se réveillera-t-on avant qu'il ne soit trop tard?
(Menahem Macina).


Titre complet : "Au commencement, il y avait Al-Aqsa. En définitive, Salomon avait construit un petit lieu de prière à Jérusalem". [1]

Traduction française de l’hébreu : Menahem Macina.

Texte original sur le site hébreu de Haaretz : "Bereshit hayah al Aqsa. Shlomo besakh hakol banah sham heder tefillah qatan"

[On ne saurait tirer tout le bénéfice de cet article sans lire, en parallèle, la dense et remarquable étude des sources, consacrée à ce sujet par le Dr Daniel Pipes, mise en ligne sur ce site, sous le titre "Les revendications des musulmans concernant Jérusalem". (Note de la Rédaction d'upjf.org)]


Une nouvelle recherche documente les dimensions du phénomène de déni systématique qu’opposent les clercs, les historiens et les politiciens musulmans, à l’existence du Temple. Certains d’entre eux affirment que la mosquée [Al-Aqsa] fut construite au temps d’Adam.
Il y a quelques années, paraissait, sur le site Web de la branche nord du Mouvement islamique, en Israël, un article de l’archéologue égyptien, Abed al-Rahim Rihan Barakat, directeur du département des Antiquités de la région de Dahab dans le Sinaï. Il y écrivait que "la légende du Temple juif est le plus grand forfait de falsification historique".Selon Barakat, David et Salomon avaient de petits lieux de prière qui n’avaient rien à voir avec un temple. Il n’est pas le seul de son opinion. Un historien saoudien, du nom de Mohammed Hassan Sharab, prétend qu’en fait, le temple de Salomon fut construit sur l’emplacement où se dresse aujourd’hui la Tour de David. Une fatwa, qui figure sur le site du Waqf [Fonds religieux islamique] de Jérusalem, estime que ni Salomon ni Hérode n’ont bâti le Temple, mais qu’ils ont seulement rénové un édifice antérieur qui existait déjà au temps du premier homme.

Couverture du livre de Mustafa
"Réfutation de la théorie du temple
et comment Jérusalem reviendra
dans le giron de l'Islam". [2]

Autre affirmation, émise par le mufti de Jérusalem, Ikrma Sabri : le Temple a déjà été bâti trois fois et, la troisième fois, il l’a été par Hérode. D’où il appert que le Troisième Temple a déjà été détruit et donc que les traditions juives concernant sa reconstruction future sont sans fondement. Selon une autre version musulmane, qui s’est imposée ces dernières années, le Temple des Juifs se trouvait tout bonnement au Yémen.

Le Dr Yitzhak Reiter, historien, qui publie, ces jours-ci, son ouvrage de recherche, intitulé "De Jérusalem à La Mecque et retour – L’unité musulmane autour de Jérusalem", compile, depuis des années, des milliers de publications, de décisions religieuses, de dires et de proclamations de dignitaires religieux, d’historiens, de personnalités et de politiciens arabes à propos de Jérusalem. Son livre trace, de manière très détaillée, le profil de la grande dénégation : celle de la relation juive à Jérusalem, au mont du Temple et au Temple lui-même, dénégation qui ne fait que s’intensifier depuis la Guerre des Six Jours. Le livre a été publié par les éditions de l’Institut de Jérusalem pour la recherche sur Israël, institution de recherches politiques, créé à l’initiative de Teddy Kolek, en 1978, et qui a publié, depuis lors, des centaines de travaux de recherche dans des domaines afférents à la ville et à son avenir. L’institut est financé en majeure partie par des dons, et ne dépend pas de l’establishment communal ou national. Il publie chaque année un annuaire statistique de Jérusalem, et a préparé l’alternance en vue du nouveau partage de Jérusalem et de ses environs entre Juifs et Palestiniens, avant la Conférence de Camp David, en 2000. Ses membres dirigent quelques travaux en collaboration avec des instituts palestiniens de recherche.


Le Mur musulman

De nombreux chapitres de l’étude de Reiter décrivent la progression parallèle de la sainteté de la mosquée Al-Aqsa et de Al-Quds ['La Sainte', c’est-à-dire Jérusalem]. C’est ainsi, par exemple, qu’ont été remises en vigueur, ces dernières années, des traditions musulmanes antiques, et que la mosquée Al-Aqsa, qui, selon la recherche moderne, a été construite il y a quelque 1 400 ans, est présentée comme remontant à la création du monde, au temps du premier homme, ou à l’époque d’Abraham. Par exemple, Abul Salam al-Abbadi, qui fut ministre des fonds [religieux] de Jordanie, a eu, dans le passé, recours à ces traditions. Le Mufti de l’Autorité Palestinienne, le cheikh Ikrma Sabri, s’y est également référé dans une décision religieuse émise il y a quelques années. Il y attribuait au premier homme la construction de la sainte mosquée de La Mecque et celle de l’enceinte d’Al-Aqsa, tandis qu’il attribuait à Abraham la restauration de la Kaaba, et à Salomon celle de la mosquée Al-Aqsa. De même, l’historien saoudien, Mohammed Hassan Sharab, prétend que la mosquée Al-Aqsa existait déjà avant l’époque de Jésus et celle de Moïse. Selon une autre tradition, citée par une partie des écrivains musulmans contemporains, la construction de Al-Aqsa est attribuée à Abraham. Cette tradition relate qu’Abraham construisit Al-Aqsa 40 ans après qu’il ait édifié la Kaaba avec son fils Ismaël.

Mais, du point de vue juif, les chapitres qui suscitent le plus d’intérêt sont ceux dans lesquels Reiter dévoile des centaines et des milliers de décisions, de publications et de sources révélant quelles proportions a atteintes, dans le monde musulman, le déni de la relation juive à Jérusalem et aux lieux saints. De nos jours, différentes sources islamiques s’efforcent de réfuter la conception juive de la centralité de Jérusalem dans le judaïsme, refusent de reconnaître l’existence du Temple de Jérusalem, prétendent que le Mur occidental n’est pas un reste authentique de la muraille extérieure de soutènement de l’esplanade du Temple, mais la muraille occidentale de l’esplanade de Al-Aqsa, un emplacement que les musulmans identifient aujourd’hui avec Al-Buraq, la bête de somme fabuleuse du prophète Mohammed, que l’on affirme avoir été attachée à la muraille par le prophète.

Reiter a repéré les textes islamiques consacrés à la dénégation de la relation juive à Jérusalem et aux lieux saints, à la foire arabe annuelle du livre, au Caire, et dans des librairies de communautés islamiques d’Europe, d’Amérique et d’Asie. Un grand nombre de textes sont également accessibles sur Internet à ceux qui lisent l’arabe. Ils pénètrent graduellement [dans les esprits] et se transforment en vérité pour un large public de par le monde.

La nouvelle littérature islamique qui polémique avec la littérature juive sur le thème de Jérusalem, formule trois allégations fondamentales :

1.
La présence juive à Jérusalem a été de courte durée (uniquement de 60 à 70 de notre ère), et elle ne justifie pas une souveraineté juive sur la Ville sainte.
2.
Le Temple n’a jamais existé, et le Temple de Salomon, qui n’est rien d’autre qu’une représentation islamique antique, était, tout au plus, un lieu personnel de prière.
3.
Le Mur occidental est un lieu saint musulman, dont la relation, qu’entretiennent avec lui les Juifs, n’a été inventée qu’aux XIXe et XXe siècles, à des fins politiques.



Déformation de rapport

De nombreux décisionnaires religieux musulmans accolent aujourd’hui au mot "al Hekhal" (le Temple) l’expression "Al Mazum", dont la signification littérale est "le soi-disant", ou "le prétendu", pour renforcer leur point de vue selon lequel il s’agit d’une invention juive qui n’a aucune base factuelle. Par exemple, Abed al-Tuwab Mustafa, membre du département des sciences politiques à l’Université du Caire et ancien présentateur du programme religieux à la télévision égyptienne, écrit dans son livre que la croyance des Juifs concernant le Temple n’est qu’une affirmation mensongère, et que la prétendue recherche des Juifs n’est pas une recherche scientifique, mais une simple espèce d’approximation hypothétique.

Selon l’analyse de Mustafa, le Temple était une construction de la dimension d’un appartement spacieux, et il a existé, en fait, beaucoup d’autres lieux de culte, appelés "temples". Il déforme le rapport de la Commission d’enquête britannique concernant le Mur occidental - qui fut constituée à la suite des émeutes de 1929 -, et dit à ses lecteurs que la Commission constata que les affirmations des Juifs, selon lesquelles le Mur occidental est l’un des murs du Temple de Salomon, ne sont pas exactes (le rapport de la Commission affirme le contraire). Mustafa se fonde, entre autres, sur la recherche de l’archéologue, Kathleen Kenyon, qui établit que la ville de Jébus se trouvait hors des murailles du Haram al-Sharif, en direction de la vallée du Cédron. En d’autres termes, s’il y avait là un Temple, il ne se trouvait pas à l’endroit où se dresse aujourd’hui la mosquée Al Aqsa. Ici aussi, il faut signaler que l’archéologue renommée, qui a procédé aux fouilles de la ville de David, sous le règne du souverain Hussein, n’a pas émis de doute, dans ses propos, sur l’existence du Temple.

Une déformation semblable figure sur le site Internet du mouvement islamique du sud en Israël. Mohammed Halayka, se fie, en apparence, aux archéologues israéliens pour affirmer qu’il n’y a pas la moindre trace du Temple juif. Selon lui, les Juifs ont réalisé 65 fouilles archéologiques sur le mont du Temple, depuis 1967. Il cite l’archéologue Eilat Mazar, qui aurait dit : Nous n’avons pas trouvé de Temple, et nous ne savons pas du tout où il se trouve. Mais, dans son livre, justement, Mazar présente des découvertes qui corroborent les sources bibliques concernant le Temple, et elle signale que la raison pour laquelle il n’y a pas de découvertes de vestiges antiques de l’édifice du Temple tient au fait que l’on ne peut faire des fouilles sous l’esplanade de la colline du Temple, lieu où, selon les conjectures, y compris celles des archéologues, était situé le Temple.

Les hauts responsables du Waqf à Jérusalem affirment qu’il est impensable que des fouilles archéologiques soient autorisées dans un lieu saint, et signalent que toutes les fouilles autour du mont du Temple ne permettent pas d’établir l’existence du Temple juif, qui n’est rien d’autre qu’une légende. Ils font référence aux paroles du mufti de Jérusalem, le cheikh Ikrma Sabri, et à celles que prononça son prédécesseur dans ce poste, le défunt mufti, cheikh Saad-E-Din al-Almi, qui, l’un et l’autre, soulignèrent l’antériorité et la prééminence de l’islam par rapport au judaïsme à Jérusalem. Le cheikh Sabri a déjà dit, dans le passé, qu’il n’était "pas possible qu’Allah ait envoyé un lieu de prière aux musulmans et leur ait demandé de le préserver, alors qu’il appartient à une autre communauté religieuse".

Reiter lui-même rapporte qu’avant la publication de sa recherche, il présenta ses découvertes principales à un universitaire palestinien réputé, qui est l’un des signataires de l’initiative Ayalon-Nusseibeh. "Sa réaction fut que le propos rapporté, qu’il émane d’Arafat ou d’universitaires palestiniens, n’est pas accepté par le grand public. Il affirma que personne ne se laisse convaincre par les récits niant le fait que Jérusalem soit sacrée pour les Juifs, émis par Arafat et d’autres. Selon lui, la majorité des rédacteurs de ces textes sont des universitaires opportunistes qui veulent plaire à leurs dirigeants, et le grand public, particulièrement le public cultivé, ne les croit pas."

Reiter n’est pas d’accord avec son ami. Il estime que l’influence de ce vaste corpus de dénégations n’est pas négligeable, et signale que des politiciens et des journalistes de différents Etats arabes se servent d’une part considérable de ces messages pour en faire une partie de leur action politique ou de leurs écrits, et qu’ils en favorisent la diffusion.


Jusqu’en 1967, ils parlaient différemment

Durant des centaines d’années et jusqu’en 1967, l’histoire du Temple juif, les détails de sa construction, des traditions sur son existence, et même des précisions sur la destruction du Premier Temple par Nabuchodonosor, constituaient un motif enraciné et non sujet à la dénégation, dans toutes les composantes de la littérature arabo-musulmane. De surcroît, Reiter signale que des sources arabes classiques identifient le site où se dresse la mosquée Al-Aqsa avec celui où se trouvait le Temple de Salomon. Le géographe et historien hiérosolymite, Al-Muqadasi, et le savant décisionnaire iranien, Al-Mastufi, identifient, l’un et l’autre, la mosquée Al-Aqsa avec le Temple de Salomon. Dans la poésie de Jalaluddin Rumi (XIIIe siècle), la construction de la mosquée de Salomon est définie comme étant celle de "la mosquée Al-Aqsa". Le roc qui est à l’intérieur de l’enceinte est, en général, le critère arabe d’identification du Temple de Salomon et le cœur de l’enceinte de Al-Aqsa. Et Abu Bachar al-Wasti, qui fut prédicateur de la mosquée Al-Aqsa au début du XIe siècle, fournit, dans son livre à la louange de Jérusalem, une variété de traditions diverses qui exposent le passé juif du Temple.

Au XXe siècle même, l’historien palestinien, Araf al-Araf, écrivait (avant 1967) que l’emplacement du Haram al-Sharif est celui du mont Moriah, mentionné dans le Livre de la Genèse, où se trouvait l’aire d’Ornan, le Jébusite, que David acheta pour y édifier le Temple, et que Salomon construisit le Temple en l’an 1007 avant notre ère. Et il ajoutait que les vestiges des édifices qui se trouvent sous la mosquée Al-Aqsa dataient du temps de Salomon. Mais toutes ces choses ont été écrites à l’époque où la Vieille Ville de Jérusalem faisait partie du royaume de Jordanie, et c’est à peine si elles bénéficient d’un écho tant dans les livres arabes d’histoire écrits depuis 1967, que dans le discours [arabe] contemporain.

Nadav Shragaï

© Haaretz


Notes du traducteur

[1] Nadav Shragaï a déjà traité de cette question dans un précédent article du même journal, en date du 11 mai 2004, intitulé "A campaign of denial to disinherit the Jews".

[2] Ce cliché est extrait du livre du Dr Reiter : "De Jérusalem à La Mecque et retour".

vendredi 26 septembre 2008

Velléités d’hégémonie au Moyen-Orient


AHMADINEJAD = HITLER

Albert Soued


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A moins d'un coup d'éclat, les choses évoluent lentement au Moyen Orient. Mais les velléités hégémoniques sont toujours là, sources de tous les maux qui accablent la région.

Nous avons connu, dans les années 60, Gamal Abdel Nasser, qui a essayé avec le Yémen, la Syrie, ou la Libye, de faire renaître la grandeur arabe, mais qui a fait reculer la société égyptienne d'un siècle an arrière. Depuis, le président Moubarak, faute d'avoir les moyens de l'hégémonie, se contente de vouloir se maintenir au pouvoir, ou d'y imposer son fils.

Avec le parti Baath, la Syrie a toujours rêvé d'étendre son influence à travers ce qu'on appelle "le Croissant fertile", de l'Euphrate au Nil. Faute de moyens, elle s'est contentée, pendant le règne des Assad, d'héberger toutes les organisations terroristes de la région, en tirant les ficelles par le crime et la subversion, que ce soit au Liban, à Gaza, ou en Irak.

Emule de la Syrie, Saddam Hussein a eu, lui, les moyens de provoquer plusieurs guerres meurtrières, internes (contre les Kurdes et les shiites) et externes (contre l'Iran et le Koweit), qui ont rendu l'Irak exsangue. Jusqu'au jour où les Etats-Unis ont estimé qu'il était devenu incontrôlable et y ont mis le holà en intervenant localement.

D'autres rêves hégémoniques ont aujourd'hui cours, pacifiques en apparence, mais non moins subversifs.

Depuis la chute du Califat d'Istanboul, après la Première Guerre mondiale, l'Arabie saoudite s'est présentée comme candidate à l'héritage. Les réserves pétrolières lui en ont donné les moyens, et, depuis plus d'un demi-siècle, l'Arabie finance les mosquées et les madrasas du monde entier, exportant une idéologie primaire, celle de l'islam wahhabite pur et dur. Elle a donné naissance à al Qaïda, et des organisations caritatives qui se transforment du jour au lendemain en groupes subversifs ou terroristes (cf. Soudan, Somalie, etc.). Elle finance l'organisation des Frères Musulmans, œuvre de bienfaisance qui se transforme, à l'occasion, en parti politique subversif, ou en groupe terroriste.

A la lisière du Moyen-Orient, deux pays musulmans non arabes étaient contrôlés indirectement par les Etats-Unis, jusqu'au jour où une présidence américaine "faible", l'administration Carter, a lâché le shah d'Iran et laissé une "république" islamiste installer des mollahs et des ayatollahs à la tête du pouvoir. Aujourd'hui, ceux-ci gouvernent, d'une main de fer, une population appauvrie et, en vue de dominer la région, ils menacent le monde entier avec un programme nucléaire offensif. Ils possèdent une quantité suffisante d'uranium enrichi pour fabriquer une première bombe d'ici six à neuf mois.

En Turquie, un gouvernement non laïque assoit progressivement son autorité. Le couple président/premier ministre, Gur/Erdogan, prend, lentement mais sûrement, des mesures qui favorisent l'islamisme dans le pays. Après l'effondrement de l'empire ottoman, le dictateur Ataturk avait réussi à imposer un Etat laïc, tourné résolument vers la modernité et l'Occident, en magnifiant l'ethnicité turque au détriment de l'islam. Elue démocratiquement, la nouvelle équipe suit le mouvement du peuple anatolien qui se réveille à l'islam. Et il est plus aisé de satisfaire des velléités hégémoniques en se tournant vers l'islam qu'en restant simplement turc. Et puis, le Califat n'était-il pas à Istanboul, et ne parle-t-on pas déjà d'une Europe islamique?

C'est dans ce contexte qu'on assiste aux faits suivants:

* Le laisser-faire de l'Egypte vis-à-vis du Hamas, à Gaza, malgré les accords passés avec Israël. Le Hamas reçoit de plus en plus d'armes offensives et met à profit la trêve pour consolider ses positions, aussi bien à Gaza qu'en Cisjordanie. Il est manipulé à la fois par l'Iran, l'Arabie et l'Egypte.
* Le Hamas a le vent en poupe en Transjordanie, Cisjordanie et à Jérusalem, ce qui explique les pourparlers de la Jordanie avec ce groupe islamiste.
* La concurrence de l'Iran et de la Syrie dans la manipulation de groupes terroristes, tels le Hezbollah et le Hamas, d'où divers "coups fourrés" entre eux, bien que, vu de l'extérieur, ils apparaissent comme des alliés.
* Les Chrétiens étant divisés et affaiblis par l'émigration, le Liban est devenu un enjeu pour des factions soutenues par la Syrie, l'Iran et l'Arabie. La Syrie a envoyé des commandos occuper sept villages au nord de Tripoli et a massé 10 000 hommes à la frontière syro-libanaise, prêts à intervenir en cas d'occupation du nord du Liban par le mouvement "du futur" anti-syrien (Hariri).
* A la tribune de l'Onu, le président iranien, qui a le toupet d'insulter les Etats-Unis et de menacer Israël de destruction, est largement applaudi. Devenant le "nouveau chouchou" des médias américains de gauche, des radios et des émissions de variété, il est également invité aux dîners organisés par des groupes chrétiens qui prétendent promouvoir la paix.
* La Turquie, qui regarde plus en direction du Moyen-Orient plutôt que vers l'Europe, sert d'intermédiaire pour des pourparlers indirects entre la Syrie et Israël.
* Profitant des dissensions locales, la Russie cherche à regagner son influence perdue au Moyen-Orient depuis la chute de l'URSS en 1990. Elle livre du matériel nucléaire à l'Iran et s'oppose à des sanctions contre ce pays ; en outre, elle occupe le port syrien de Tartous, en y amarrant une dizaine de navires de guerre.
* Pour le moment verbale, l'animosité millénaire shiah/sunna prépare des lendemains sombres dans la région, si l'Iran shiite prévaut sur l'Arabie sunnite, ou inversement
* En Israël, la faiblesse, avouée ou feinte, du gouvernement Olmert, depuis 3 ans, a largement contribué au désordre au Moyen-Orient en nourrissant les velléités d'hégémonie de ses voisins.


© Albert Soued

Palestiniens, La stratégie de l'échec



PROCESSION DU HAMAS A GAZA
Michel Gurfinkiel

Sur le blog de l’auteur.

Quinze ans après leur signature, les accords d’Oslo se soldent par un échec absolu. C’était peut-être le but réel des dirigeants palestiniens quand ils les ont négociés et signés.

Les accords, dits « d’Oslo », ont été signés le 13 septembre 1993 sur le perron de la Maison-Blanche, à Washington. Quinze ans ont passé. L’échec est total, absolu.


Ces accords reposaient sur une sorte de troc : Israël obtenait la paix, les Palestiniens, un Etat en Cisjordanie et à Gaza, les deux territoires étant considérés comme une seule entité. C’est du moins ce qu’ont assuré ses concepteurs israéliens, Yitzhak Rabin, Shimon Peres, Yossi Beilin, Ron Pundak, Uri Savir.

Aujourd’hui, non seulement Israël n’a pas la paix, mais sa sécurité est moins bien assurée. Quant aux Palestiniens, ils n’ont toujours pas d’Etat.

On explique généralement cet échec par cinq fautes imputables à Israël et deux fautes imputables aux Palestiniens.

Les fautes israéliennes seraient les suivantes :

1. L’Etat juif ne serait pas allé au bout de sa logique en reconnaissant formellement l’indépendance et la souveraineté d’un Etat palestinien.
2. Israël aurait maintenu son occupation militaire.
3. Il aurait poursuivi une politique de peuplement juif (« colonisation »).
4. Il se serait refusé à tout compromis sur Jérusalem.
5. Il rejetterait le droit au retour en Israël des réfugiés palestiniens de 1948.

Ces accusations peuvent être réfutées à 90 %, voire 99 %. Mais, dans la mesure où l’Etat juif ne souscrit pas totalement à la revendication palestinienne, il apparaît comme coupable. Etant réputé « le plus fort », c’est à lui, et à lui seul, de céder devant « le plus faible ».

Les fautes palestiniennes seraient les suivantes :

1. Yasser Arafat aurait transformé l’Autorité palestinienne en une dictature arabe classique, où le « raïs » (chef) dispose à la fois du pouvoir politique et policier et du pouvoir économique, à travers une gestion de type « patrimonial ». Les injustices provoquées par ce régime, et la dégradation du niveau de vie des populations palestiniennes, auraient favorisé l’émergence d’un mouvement palestinien extrémiste, le Hamas.
2. Ni Yasser Arafat, ni son successeur Mahmoud Abbas, ni a fortiori le mouvement Hamas, n’ont renoncé à la guerre et au terrorisme contre Israël.

On remarquera que ce tableau ne repose pas vraiment sur une symétrie, une logique des « torts partagés » : si on admet la réalité des deux fautes palestiniennes, on doit nécessairement conclure au peu de consistance des cinq fautes israéliennes.

Mais peut-être néglige-t-on, dans un tel débat, une hypothèse beaucoup plus fondamentale, selon laquelle « l’échec » des accords d’Oslo aurait été pour ainsi programmé par les Palestiniens. Arafat et les autres dirigeants palestiniens, y compris Abbas, ont toujours affirmé que leur but ultime était bien la libération intégrale de la Palestine et que les accords d’Oslo, ou la création d’un Etat palestinien en Cisjordanie et à Gaza, ne constituaient que des « étapes » en vue d’y parvenir.

Les partisans israéliens des accords, ainsi que la plupart des diplomates américains ou européens qui ont participé à leur mise en place, ont affecté de ne voir dans ces propos que de la rhétorique, une surenchère verbale provisoire destinée à la fois à calmer la « rue palestinienne » et à mieux négocier. « La libération de toute la Palestine, c’est le rêve des Palestiniens. Ils ont le droit de rêver. Ils savent que le rêve n’est pas la réalité », disait Peres dans les années 1990. Malheureusement, trop de textes, trop de propos, infirment cette interprétation. Dès 1974, le Conseil national palestinien approuvait la création d’un Etat palestinien sur « toute parcelle libérée » de la patrie, sans pour autant renoncer à la libération de l’ensemble de la Palestine. Après 1993, Arafat comparait les accords d’Oslo à l’accord d’Hudaibiya, la trêve que Mahomet [conclut] avec ses ennemis pour consolider son pouvoir, et qu’il trahit ensuite sans vergogne.

Aujourd’hui, cette stratégie prend une nouvelle forme : Abbas et son entourage prennent acte de « l’échec d’Oslo » pour laisser entendre qu’ils pourraient « autodissoudre » l’Autorité palestinienne. Ce qui reviendrait, en théorie, à « rendre » à Israël la gestion de la Cisjordanie, sinon de Gaza. Mais ce qui permettrait aux Palestiniens de reprendre la lutte armée. A une différence près : ils disposeraient désormais des structures édifiées depuis quinze ans en Cisjordanie (et maintenues en dépit de la réoccupation de 2002), ou à Gaza.


© Michel Gurfinkiel

jeudi 25 septembre 2008

ORGEVAL : ISLAM ET LAICITE ?



UNE FEMME VOILEE DEVANT UN DISTRIBUTEUR AUTOMATIQUE DE BILLETS

A lire absolument. Un portrait sans concessions ni faux-semblants politiquement corrects de l’islamisation et de la substitution de population paru dans la presse régionale, c’est suffisamment rare pour être remarqué. C’est votre avenir, celui de vos enfants, que vous allez lire ici. Vous ne pourrez pas dire demain que vous ne saviez pas.


Place de Fermat à Orgeval, la communauté maghrébine a pris possession du quartier et de ses commerces. A tel point que les Français « classiques » s’y sentent mal à l’aise. Le représentant des Algériens attend de la Ville qu’elle restaure une mixité de communautés disparue depuis trop longtemps.

À Orgeval, les Français d’origine maghrébine et leurs commerces sont désormais largement majoritaires. Les Français « classiques » se sentent de plus en plus mal à l’aise.

A Orgeval, la population française de souche ne se sent plus chez elle. « Faut pas y voir du racisme. Cela n’a rien à voir, mais les Maghrébins ont pris possession du quartier, font régner leurs lois et leur culture et nous n’avons plus qu’à nous taire ou à déménager. Moi, j’ai fait une demande pour changer de quartier », explique une locataire de Charles-Roche.

Les jeunes n’ont aucun respect pour nous. Je pense que si j’étais maghrébine, je serais mieux considérée. » À condition de porter le voile. « À Orgeval, une jeune fille qui se balade seule et sans voile est cataloguée comme salope par les jeunes. Les filles n’ont pas le droit de sortir avec un garçon ou alors en cachette. L’intégrisme n’est jamais loin et favorise des comportements d’intolérance », témoigne un ancien employé de la maison de quartier.

Sur un banc de la place de Fermat, un homme d’origine algérienne prend le pâle soleil de septembre. « Je suis arrivé en France à l’âge de 36 ans et j’en ai 86. » Jamais eu envie de retourner au pays où les paysages sont bien plus beaux que ceux des immeubles défraîchis d’Orgeval ? « J’ai perdu l’habitude du soleil. Il fait trop chaud là-bas », lâche le vieil homme dans un grand sourire.

Abdelkader, musulman pratiquant et figure du quartier, sort de la boulangerie. Il réfute tout communautarisme : « Algériens, Marocains, Français, la plupart des gens s’entendent bien et vivent bien ensemble. Le problème, ce sont les jeunes. Les jeunes, ça ne va pas. »

« Avec la vieille génération, on s’entend bien. Jamais aucun problème », raconte une « blanche » du quartier Poincaré, également dans l’attente d’un nouveau logement. « C’est la preuve qu’il n’y a pas de racisme là-dessous de la part des Français. En revanche il nous arrive, nous, de subir du racisme. L’autre jour dans l’escalier, un groupe de Maghrébines descendait, l’une d’elles m’a adressé la parole, je n’ai pas compris ce qu’elle disait et elle m’a traitée de sale Française. »

Surtout, il ne faut pas répliquer car sinon « c’est la voiture qui brûle, l’appartement qui est cambriolé. Ils considèrent que le quartier leur appartient ».

Même la police n’aurait pas voix au chapitre : « Quand elle vient la police, les jeunes du quartier arrivent aussitôt à une centaine. À se demander d’où ils sortent… La police, elle, repart », affirment plusieurs habitants. « Jamais, ils ne feront d’efforts pour s’intégrer. C’est trop tard, on ne peut plus rien faire sinon partir. »

Une affiche est collée sur la porte du coiffeur pour dames. Impossible à comprendre, c’est écrit en langue arabe. « Ça veut dire qu’on fait des coupes pour les cérémonies », explique avec gentillesse la coiffeuse.

Dans les commerces, difficile de trouver du porc, que ce soit dans les boucheries ou encore à la boulangerie, où les pâtés en croûte champardennais sont introuvables. « Les commerçants, ils sont sympas avec tout le monde, français d’origine ou maghrébin d’origine mais s’ils mettent dans leur magasin un rayon pour les Français, ils risquent de perdre les Maghrébins alors ils ne le font pas. C’est comme ça. », explique Mohamed Zaïda, président de l’association des Algériens de la région qui a ses locaux à Orgeval.

La place de Fermat va changer

La stratégie de l’ancienne municipalité pour assurer au moins une mixité commerciale à Orgeval a consisté à racheter les locaux commerciaux pour éviter que tous ceux qui s’installent ne se destinent qu’à la clientèle maghrébine.

L’actuelle municipalité n’a plus qu’à poursuivre la tâche. « Nous allons organiser une réunion pour lister les commerçants et attribuer les fonds dans le but d’offrir de la diversité », explique Éric Quénard, premier adjoint au maire. La Ville a reçu une quinzaine de candidatures de commerçants désireux de s’installer place de Fermat. « Dont un commerce de restauration et un cyber café. » Le challenge pour la Ville est de trouver LE commerce qui attirera forcément toutes les communautés. « L’idéal aurait été d’y installer la Poste mais elle ne semble pas partante. »

Source : L’Union

http://www.bivouac-id.com/2008/09/24/chroniques-de-lislamisation-orgeval-la-ville-a-completement-change-de-visage/