lundi 16 février 2009

La nature du danger que représente l’Iran



(À Stefan Winter) —
Le 15 janvier, sur ce site du journal Le Soleil, M. Winter a critiqué l’incident des speedboats iraniens face à la marine américaine que j’ai rapporté. Or, j’avais bien précisé que cette provocation iranienne, et c’en est une, représentait « une indication que l’Iran n’allait pas rendre les choses faciles à Washington » ! En d’autres termes, il est connu que dans les relations internationales, un bras de fer entre deux protagonistes peut se refléter souvent par des provocations ayant, entre autres, la forme d’une pseudo confrontation telle que opérée par ces bateaux iraniens.

L’Iran face au monde arabe

Lorsque je parle de danger iranien et de l’axe en gestation, c’est principalement du rôle que l’Iran tente de jouer dans la région du Golfe et le monde arabe du Machrek en particulier à travers les minorités/majorités chiites dans ces pays, dépassant le seul cadre de « coopération » irano-libanaise, pour englober l’ensemble des populations chiites dans ces pays.

Ce ne sont pas les incidents qui manquent ! D’ailleurs, à lire les éditoriaux des journaux arabes de la région et à écouter les émissions d’affaires publiques des chaînes arabes, un observateur peut se rendre compte que les dirigeants arabes sont plus qu’inquiets de la politique de Téhéran dans leurs pays. Je peux vous référer à une multitude d’articles de journalistes arabes dont l’éditorial de Tariq Alhomayed, rédacteur en chef du quotidien moyen-oriental (saoudien), « Al-Sharq Al-Awsat », qui, en date du 15 novembre 2007, estimait déjà que « (…) Les alliés et collaborateurs de Téhéran déchiraient la capitale libanaise (…). En même temps, Téhéran occupe le cœur de l’Irak et les périphéries (…) Téhéran est (…) responsable de la division du rang palestinien (…) ».

La subtilité du langage « politique » du rapport du NIE

Deuxièmement, et parlant du dossier nucléaire de l’Iran, une lecture entre les lignes du rapport du National Intelligence Estimate (NIE) nous donne une idée assez claire sur la validité de ce rapport. À bien lire les définitions du lexique présenté dans ce même rapport, l’on se questionne sur la validité des affirmations avancées, car le NIE laisse toujours ouverte la possibilité d’une reprise des activités nucléaires militaires en Iran : « Nous n’avons pas les renseignements suffisants pour juger avec certitude si Téhéran est disposé à maintenir la halte de son programme d’armes nucléaires indéfiniment tandis qu’il pèse ses options, ou s’il fixera ou l’a déjà fait les dates limites ou les critères spécifiques qui l’inciteront à remettre en marche le programme ».

Et si l’on considère le premier point du rapport sur l’Iran qui semble avoir l’appui inconditionnel de nos trois auteurs : « nous évaluons avec certitude élevée que jusqu’à l’automne 2003, les entités militaires iraniennes travaillaient sous la direction de gouvernement pour développer les armes nucléaires », ainsi que le troisième : « nous évaluons avec certitude modérée que Téhéran n’a pas remis en marche son programme d’armes nucléaires en date de la mi-2007, mais nous ne savons pas s’il prévoit actuellement développer les armes nucléaires », tout en prenant en compte la définition des termes telle que précisée dans le lexique du même rapport : « Nous employons des expressions telles que nous jugeons, nous évaluons, et nous estimons (...) ».

Dans tous les cas, les évaluations et les jugements ne sont pas prévus pour impliquer que nous avons « la preuve » qui démontre que quelque chose est un fait ou qui lie définitivement deux articles ou « issues », l’on se retrouve avec un rapport qui nous laisse dans le vague presque total où tout est matière à spéculation ! À cela s’ajoute l’analyse d’Henry Kissinger (« Misreading the Iran Report », Washington Post, le jeudi, 13 décembre 2007, p. A35) qui souligne avec raison la politisation du rapport du NIE pour nuire exprès à l’administration Bush tout en mettant l’emphase sur le stock du matériau fissile tel que mentionné dans le rapport et dont l’accumulation est sans doute assez élevée pour craindre une possibilité réelle pour l’Iran de développer à court termes des ogives non conventionnelles !

Le jeu de l’Iran parmi ceux des « Grands »

Il est clair que la politique étrangère américaine prend en premier ses intérêts dans la région du Moyen-Orient. Nul ne conteste la soif américaine pour le pétrole, ni même sa volonté d’asseoir indéfiniment sa vision sur l’ensemble de la région. Or, les échecs accumulés en Irak ont donné du souffle à ses adversaires et notamment aux pays aux prises avec les pressions internationales sous la direction américaine, tels que l’Iran et la Syrie.

À cela s’ajoute un Poutine plus que jamais soucieux d’asseoir sa propre notoriété sur la région pour redonner à la Russie un siège d’honneur face à une Chine qui de plus en plus se taille une place de choix, tant au niveau économico-commercial que politico-militaire. Le tout sur un fond de branle-bas de combat d’une diplomatie française soucieuse de regagner sa place sur l’échiquier moyen-oriental face à l’échec américain.

Ainsi, la politique d’endiguement que Washington tente de mettre en place rencontre certes, encore, des difficultés avec la multitude d’acteurs internationaux, bien que l’ensemble des pays, que j’ai cités dans mon premier article, ne peuvent qu’acquiescer à une Realpolitik que les circonstances imposeront dans un scénario de guerre régionale, car il y va en premier de leur survie !

La variable iranienne !

Finalement, il est clair qu’Ahmadinejad a un pouvoir limité. Mais, même si c’est le Guide Suprême Ali Khamenei qui souffle le chaud et le froid, il n’en demeure pas moins que Ahmadinejad représente cette même ligne dure des mollahs et peut être considéré à juste titre comme un personnage dangereux, car dans un scénario d’une montée d’une opposition modérée forte en Iran, les mollahs se trouveraient sans doute dans l’obligation d’utiliser la méthode forte de la répression et du durcissement de ton voire même d’une possibilité de déclenchement d’un conflit dont Ahmadinejad sera l’exécuteur en chef.

À défaut, Khamenei peut destituer l’actuel président et le remplacer par un modéré pour donner l’image que l’Iran se modère et calme le jeu avec l’Occident en général et les Américains en particulier. Or, la question demeure celle de savoir si l’Iran persistera avec son programme nucléaire militaire en silence comme il l’a fait depuis un bout de temps… Et comme le dit bien Henry Kissinger : « Est-ce que nous courons le risque de nous trouver avec un adversaire qui, à la fin, est d’accord pour arrêter la production de matière fissile, mais insiste pour maintenir la réserve existante comme menace potentielle ? »

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Alain-Michel Ayache
Le Soleil (Opinions)
Spécialiste du Proche et Moyen-Orient
Département de Science politique, Université du Québec à Montréal