samedi 28 février 2009

Le nouvel exode des juifs du Yémen


Persécutés. Ils sont protégés par l’Etat mais subissent le harcèlement des islamistes.

Allongé sur son divan, la joue gonflée par une boule de feuilles de qat, le rabbin jette un oeil par la fenêtre du salon puis se lève. Le ciel s’est assombri. Le rabbin Yahyah Youssef Moussa allume les bougies. Dans le salon, une douzaine d’hommes et d’enfants sont assis, un livre de prières à la main. Le rabbin revient. Des invités jordaniens s’éclipsent. On éteint la télé. Puis, au coeur de Sanaa, capitale du Yémen, s’élève la prière du shabbat.

Il y a encore deux ans, c’est dans sa maison d’Al-Haid, un quartier de Salem, une ville du Nord-Yémen, que Yahyah, âgé seulement de 27 ans, dirigeait la prière. Temps révolu. Début 2007, le rabbin et la soixantaine de juifs yéménites de Salem ont dû fuir leur terre pour trouver refuge près de Saana. « Les problèmes ont commencé en 2004, avec les affrontements entre les rebelles Houthis et l’armée yéménite », explique le rabbin. Les Houthis, une tribu zaïdi, une branche de l’islam chiite, sont opposés au président yéménite, Ali Abdallah Saleh, à qui ils reprochent son alliance avec les Etats-Unis, amis d’Israël. « On a attaqué nos maisons. Nous avons dû éduquer nos enfants à la maison après que certains ont été frappés à l’école », se souvient le rabbin, qui porte la tenue traditionnelle yéménite. Seules ses longues papillotes noires et sa kipa brodée le différencient de ses compatriotes.

Un jour, des hommes masqués ont remis une lettre au rabbin. « Après une surveillance précise des juifs résidant à Al-Haid, il est clair pour nous qu’ils agissent avant tout pour servir le sionisme mondial. » Le message est signé « Yahyah Sa’ad al-Khoudhair, commandant des partisans des Houthis à Salem ». Un ultimatum y est joint : les juifs d’Al-Haid ont dix jours pour plier bagage. Trois jours après, des hommes masqués tambourinent à la porte du rabbin Yahyah. Il fait nuit. Lui et ses coreligionnaires doivent partir sur-le-champ. Un convoi de six voitures quitte, quelques heures plus tard, Salem en direction de Saada, capitale du district du même nom, située à 240 kilomètres au nord de Saana.
Les juifs de Salem restent un mois à Saada, retranchés dans un hôtel, avant d’être évacués par des hélicoptères de l’armée vers la capitale yéménite. Là, ils sont logés dans six appartements d’un complexe résidentiel dont les entrées sont gardées par des hommes en armes.

S’ils se sentent en sécurité à Sanaa, les réfugiés juifs se plaignent de leurs conditions de vie. L’allocation de 25 dollars par jour et par personne que verse le gouvernement ne suffit pas. A Salem, les juifs travaillaient essentiellement dans l’artisanat et dans la ferronnerie. Quand ils ont fui, ils ont perdu leurs outils de travail. Ici, Abdallah, un cousin du rabbin, n’a trouvé qu’un emploi de livreur dans l’épicerie de la résidence. « Avec les pourboires, ça paie assez bien », affirme le jeune homme. Mais pas assez pour qu’il puisse se marier.

Le rabbin dit ne pas savoir pourquoi des années de coexistence avec les musulmans ont pris fin. « En fait, les vieux musulmans du village nous connaissaient très bien, ils connaissaient nos traditions. Ils nous protégeaient même , explique Souleiman. Mais les jeunes, aujourd’hui, ne savent rien . »

La communauté juive yéménite se réduit comme peau de chagrin. S’ils se comptaient encore par dizaines de milliers au début du XXe siècle, il ne reste que quelques centaines de juifs au Yémen.

La grosse vague de départs a eu lieu avec la création d’Israël, en 1948, et l’opération de transfert de juifs yéménites Magic Carpet organisée par le nouvel Etat hébreu. C’est à cette époque que Gaa el-Jawoud (la plaine des juifs), un quartier juif de Sanaa, s’est vidé de ses habitants.

Les réfugiés de Salem ne veulent pas partir. « Nos racines sont yéménites. Nous aimons ce pays. Nous sommes nés ici, nous mourrons ici. » Pourtant, cette semaine, dix juifs yéménites sont arrivés en Israël. Depuis l’offensive israélienne à Gaza, la tension est montée d’un cran. Et leur présence ne sera bientôt plus qu’un souvenir.


-Rédigé par Emilie Sueur-