lundi 22 décembre 2008
Intelligence avec l'ennemi : le procès Brasillach
Brasillach l'idole de Lepen ?
Alice KAPLAN
Peut-on exécuter un artiste parce qu'il pense mal ? L'écrivain est-il responsable de ses écrits ? Les mots peuvent-ils tuer ? Telles sont quelques-unes des questions soulevées par Alice KAPLAN dans son remarquable étude du procès Brasillach.
L'ouvrage est particulièrement didactique : rédigé en anglais pour un public américain peu au fait de l'histoire de France, le livre présente de façon claire les évènements historiques des années 30 et 40 ainsi que les protagonistes de "l'affaire Brasillach". Les livres de recherche historique publiés en France se veulent souvent trop érudits et finissent par être incompréhensibles sans recours à une encyclopédie. Rien de tel dans Intelligence avec l'ennemi.
Le livre n'est pas une biographie de Robert Brasillach : seul le premier chapitre brosse un rapide portrait du célèbre polémiste et écrivain fasciste. On ne peut pas conseiller cet ouvrage à ceux qui souhaitent simplement savoir qui était Robert Brasillach, ceux qui aimeraient comprendre comment un brillant normalien a pu sombrer dans l'idéologie nazie (ses écrits antisémites sont une lecture insupportable). On serait déçu par l'ouvrage d'Alice KAPLAN ; mieux vaut lire une biographie. Intelligence avec l'ennemi reste un travail de recherche historique qui s'adresse comme tel d'abord aux historiens et aux spécialistes de la seconde guerre mondiale. L'auteur ne s'intéresse qu'au procès Brasillach, qui jusqu'alors n'avait jamais fait l'objet d'un véritable travail de recherche.
Pour son récit, Alice KAPLAN adopte une structure simple, à la fois chronologique (la guerre, la libération, la prison, le procès, la pétition, l'exécution) et thématique (présentation du procureur, de l'avocat, des jurés…). En quatorze courts chapitres on juge le glissement de Robert Brasillach vers un fascisme acharné : d'abord brillant critique littéraire entré à l'Action Française, son attirance pour le fascisme, sa germanophilie et sa passion pour Adolf Hitler le propulsent rédacteur en chef de Je suis partout (1938-1940 puis 1941-1943), journal antisémite appelant de ses vœux une Europe fasciste. Alors même que ses critiques littéraires sans concession et ses romans lui attiraient un public nombreux et souvent jeune, il fourvoyait sa plume dans les sordides éditoriaux de Je suis partout, réclamant la déportation massive des juifs, l'exécution des ministres du Front Populaire ou la dénonciation des "terroristes" résistants.
C'est cette confusion des genres qui ne lui sera pas pardonnée lors de son procès en 1945. Robert Brasillach avait trop de talent, mal employé.
L'auteur montre la grande complication du procès Brasillach : Tribunal faisant justice au nom du Gouvernement Provisoire (« Peut-on réclamer le définitif [la mort] au nom du provisoire ? »), Tribunal où siègent un juge et un procureur qui siégeaient déjà sous le gouvernement de Vichy, jurés choisis parmi les résistants et non parmi le peuple (s'agit-il de justice ou de la revanche du camps des vertueux ?), procès qui oppose deux amis, le procureur Marcel Reboul et l'avocat de la défense Jacques Isorni…
Robert Brasillach est condamné à mort et exécuté en 1945 malgré la mobilisation de nombreux écrivains (Mauriac, pourtant toujours éreinté par les critiques acerbes de Brasillach, a été un des plus fervents partisans de la grâce présidentielle, bel exemple de pardon chrétien).
Brasillach méritait-il d'être condamné à mort ? Sans aucun doute. Aurait-il dû être gracié par le général de Gaulle ? Sûrement, car on ne tue pas impunément un poète ni un écrivain, même lorsqu'ils pensent mal. Mais il fallait un exemple, la crédibilité du Gouvernement Provisoire était en jeu…