mardi 2 décembre 2008
LA HAINE DES JUIFS EN EGYPTE...
AMR BARGISI
L'Occident doit mettre en quarantaine ceux qui prônent la haine des Juifs en Égypte
par Amr Bargisi
pour Wall Street Journal,
Titre original : Egypt's Jew Haters Deserve Ostracism in the West
Traduction: Objectif-info
Rédaction d'Objectif-info:
Le constat d'Amr Bargisi est judicieux. Le flot d'antisémitisme égyptien qui s'est déversé au moment de la crise financière ne pouvait pas se draper dans le cache-sexe habituel de l'antisionisme, de la férocité d'Israël, et de la douleur des Palestiniens. Point du tout d'Israël et point de Palestiniens dans cette affaire. L'antisémitisme caractérisé, celui des "Protocoles " s'est exprimé sans fard. Par contre, le remède proposé par la journaliste risque bien de ne rien changer. Un supplément de diagnostic est nécessaire. Il faudrait prendre en compte deux paramètres: d'un coté cet antisémitisme a une fonction dans la société égyptienne et dans les sociétés arabes en général. Il permet de détourner les antagonismes extrêmement violents nés de la misère, de l'exploitation, de la corruption, et de l'incurie générale, comme souvent en terre arabe, sur un ennemi imaginaire, Israël et les juifs. Il y a d'autre part à la base de cette maladie, la longue influence du nazisme sur le monde arabe avant la seconde guerre mondiale mais surtout après-guerre, avec la bénédiction commune des nationalistes et des intégristes. L'antisémitisme n'est sans doute que la manifestation de cette double calamité arabe. L'Occident se grandirait s'il érigeait une barrière contre cette lèpre; encore faudrait-il aussi dénazifier les Arabes et appuyer les forces de la modernité, premières cibles de la rage islamique au pouvoir.
Beaucoup de choses montrent que ce préjugé n'a rien à voir avec Israël
Le Caire, Égypte :
"Mais nous sommes nous-mêmes des Sémites !" C'est ce que tout journaliste égyptien bien élevé rétorquera probablement à l'accusation que l'antisémitisme sévit dans les médias égyptiens. Mais il est rare de trouver un pays où les Juifs sont autant accusés des plaies qui sévissent dans le monde, depuis les pesticides cancérigènes jusqu'à la guerre en Irak.
Ce qui est encore plus navrant, c'est que la plupart de ces griefs sont le fait d'Égyptiens qui se définissent eux-mêmes comme libéraux, comme le groupe favorable à la démocratie et opposés à islamisme, groupe sur lequel repose en principe l'espoir d'un avenir plus tolérant pour le pays.
La plus récente péripétie date du 2 octobre, quand la Ligue contre la Diffamation (Anti-Defamation League) a publié un communiqué sur "la vague soudaine de messages antisémites sur les sites Internet consacrés à la finance." Un journaliste égyptien a eu connaissance de ce communiqué à travers le journal israélien "Maariv". C'est ainsi que le nouvel hebdomadaire égyptien "libéral" Al-Youm As-Sabi écrivait en première page le jour suivant : "Les Juifs sont les principaux suspects dans la crise financière." L'article intitulé "Pourquoi les protestations contre les Juifs deviennent de plus en plus assourdissantes aux États-unis," était publié à côté de la photo d'un écran figurant le cours des actions.
Ce n'est pas le seul exemple où l'intelligentsia "libérale" égyptienne met en cause les Juifs à propos de la crise financière. Le 11 octobre Abbas at-Tarabili, le rédacteur en chef du quotidien Al-Wafd, organe de presse du parti politique libéral du même nom au pouvoir en Égypte, publia un éditorial où il prétendait donner la preuve que les Juifs manipulaient le marché des actions comme ils l'avaient fait pour le prix de l'or vers la fin des années 70.
"Les juifs ont joué un jeu écoeurant," écrivit-il. "Il est vrai que les pays occidentaux, les États-unis en tête, ont beaucoup perdu, mais tout est tombé dans les poches des hommes d'affaires juifs qui contrôlent les marchés des actions du monde entier."
Deux semaines plus tard, Al-Masry Al-Youm, le plus grand journal indépendant d'Égypte, universellement considéré comme la seule tribune sérieuse du pays pour le libéralisme, a publié un éditorial intitulé sans détour "La conspiration juive." L'auteur de la chronique, Khairi Ramadan, qui co-anime aussi l'une des émissions les plus populaires du pays, demandait à ses lecteurs de ne pas négliger ce qui se dit sur l'Internet "au sujet d'une conspiration juive à la fin du mandat de Bush, pour mettre à leur botte le prochain président."
"L'information disponible," écrivait M. Ramadan, montre que "les Juifs ont retiré 400 milliards de dollars de la banque Lehman Brothers deux semaines avant elle ne fasse faillite," ajoutant que la faillite de la banque était dans la logique des événements du 11 septembre"quand des milliers de Juifs ne sont pas rendus à leur travail au World Trade Center."
Ces exemples sont particulièrement significatifs parce qu'ils n'ont rien à voir avec Israël ou le sionisme. Ils prouvent la fausseté de l'idée selon laquelle ce n'est pas la haine des Juifs qui motive les arabes dans le monde mais leur contentieux avec Israël, idée popularisée par d'éminents universitaires comme John Mearsheimer et Stephen Walt, auteurs du best seller de l'année dernière "Le lobby pro-israélien".
Mais ces exemples soulèvent également la question grave de l'avenir du libéralisme dans le monde arabe. Pourquoi prendre la peine d'écouter ce discours en matière économique, beaucoup moins affirmé en ce qui concerne la politique, la démocratie et les droits de l'homme, s'il ne fait que propager des théories haineuses de la conspiration ?
Il y a une autre question : au cours des huit dernières années, les États-unis ont investi des moyens énormes pour introduire la démocratie au Moyen-Orient. Mais on ne saura pas vraiment si ce projet a réussi tant que les alliés naturels de l'Amérique dans la région demeureront si profondément irrationnels et intolérants.
Que peut-on faire ? Voici une modeste suggestion. L'État égyptien et les journaux du pays ont l'habitude d'accuser de la lèpre tout auteur qui exprime une vague sympathie pour Israël. Peut-être les institutions occidentales devraient-elles adopter une pratique similaire et refuser d'inviter à leurs mondanités tout directeur de publication qui permet à son journal de se transformer en plateforme de haine antisémite. C'est seulement en les battant froid que l'on obligera ces amateurs de soirées à jouer une autre partition.
Mme Amr Bargisi est journaliste en poste au Caire
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