par Annick Azerhad
Le 19 février 2009, le Conseil d’Etat a reconnu la responsabilité de la France dans la déportation des Juifs vers l’Allemagne sous l’occupation. Si l’on peut être satisfait de l’avis rendu - quand bien même il reste tardif -, une précaution oratoire, énoncée a cette occasion, nécessite quelques commentaires et une mise au point.
Pour empêcher toute nouvelle demande d’indemnisation, il est rappelé que "l’ensemble des préjudices" auraient été "réparés", autant qu’il était possible, depuis 1945.
La crainte de voir, parmi les victimes de la Shoah, une foule de gens perçus comme des quémandeurs, est un peu surprenante, mais dans un contexte ou de nombreuses "communautés" trouvent dans l’histoire un prétexte à leurs problèmes actuels d’intégration, on peut comprendre ce besoin de se prémunir contre d’éventuelles réclamations.
Il importe de rappeler que seuls les survivants de la déportation ont été indemnisés et que le cas des enfants cachés, orphelins de parents déportés, n’a été pris en compte qu’en 2000. Les personnes concernées avaient déjà plus de soixante ans. Nombre d’entre elles sont mortes depuis.
Peut-on dire que les sommes versées ont pu "réparer" – tardivement de surcroît - des vies marquées au fer rouge par la terreur et le traumatisme générés par une traque incessante et la nécessité impérative de se cacher ? Des victimes se sont suicidées en constituant leur dossier, tant le fait de revivre ce trauma leur était insupportable.
Aucune somme, aucune "indemnisation" ne saurait "réparer" une enfance gâchée, la perte d’un père, d’une mère, et le sentiment de culpabilité et d’angoisse transmis inconsciemment de génération en génération.
Ce qui peut être considéré, sur le plan psychanalytique, comme la troisième génération de la Shoah n’a pas fini de porter ce lourd fardeau psychologique, que seules des démarches thérapeutiques individuelles permettront peut-être d’alléger.
La notion de réparation est de ce fait inappropriée.
On laissera de côté les récriminations - qui auraient pourtant été légitimes - de ces enfants cachés, longtemps laissés pour compte : ils n’ont bénéficié d’aucune aide psychologique, ils n’ont pas pu poursuivre leurs études, mais ils ont tout de même tenté de continuer à vivre dans une France qu’ils ont aimée, en dépit de tout.
Il nous paraît important, à ce propos, de signaler qu’à aucun moment, les rescapés, ni, a fortiori, leurs descendants, n’ont eu l’idée d’agresser leurs concitoyens, de brûler des voitures, de prendre à partie des policiers, de vilipender la République et ses représentants. Bien au contraire, ils ont tout fait pour s’intégrer, comme s’ils avaient à cœur de démontrer à quel point les antisémites, de gauche et de droite, ainsi que les adeptes du régime de Vichy, avaient tort. La dignité de ce comportement mérite d’être rappelée dans un contexte de concurrence victimaire, où toute exaction appelle la compassion pour des agresseurs décérébrés et inexcusables.
Il est cependant un engagement que la République se doit de respecter. Elle serait coupable de négliger de le faire : ces horreurs ne doivent jamais recommencer.
Or, le "pogrome médiatique" perpétré en janvier 2009 a l’encontre des Juifs de France, au prétexte d’un conflit entre Israël et le Hamas, prouve qu’il y a de quoi s’inquiéter et que le monstre antisémite ne faisait que sommeiller.
Oser parler de "génocide sans précédent" à propos de centaines de morts à Gaza – que, bien évidemment, nous déplorons - est une forme de négationnisme et une insulte a la mémoire des victimes des vrais génocides. C’est également une insulte à l’intelligence et a tout désir de paix.
Présenter inlassablement dans de nombreux médias, d’une manière obsessionnelle, l’Etat hébreu comme un monstre sanguinaire, désincarné, avide de tuer des civils – notamment des femmes et des enfants – relève du mythe actualisé de la propagande vichyssoise. L’entité abstraite, qu’était devenu le Juif des années 30 et 40, réapparaît sous les traits, tout aussi abstraits, d’un Etat diabolique, affublé, à son échelle, de tous les défauts reprochés au Juif d’hier : l’Etat voleur de terre – quelle méconnaissance de l’histoire ! -, l’Etat tueur d’enfants, propageant la haine et responsable de tous les maux de la terre.
Faut-il rappeler que faute d’images liées à l’absence de journalistes étrangers a Gaza, ce sont les chiffres et les images du Hamas qui ont été diffusés en France et en Europe, ne parlons pas de la chaîne d’Al Jezira. Il eût été bienvenu de préciser les sources des "informations" données comme des vérités intangibles aux Français. L’accréditation de la propagande du Hamas, ennemi de l’Etat hébreu, a de quoi laisser songeur….
Au stade du mythe, la réflexion n’est plus de mise : des Français ont-ils eu l’idée de s’interroger sur ce qu’auraient fait leurs dirigeants si Marseille ou Lille n’avaient cessé d’être bombardées durant 8 ans, et s’ils avaient vus les habitants de ces villes contraints de se terrer trois ou quatre fois par jour dans des abris ?
Pis encore, le déni de la réalité des agressions antisémites a de quoi laisser perplexe. 217 sont recensées à ce jour. N’a-t-on pas retenu les leçons de l’histoire ? Personne n’ignore que c’est, entre autres, la banalisation de la figure négative du Juif et des agressions dont il était victime, qui a ouvert la porte au pire.
Il est ahurissant de constater que des précautions oratoires sont systématiquement prises pour qualifier une exaction perpétrée à l’encontre d’un Juif. L’emploi du conditionnel, le doute instillé sur la nature antisémite de l’acte, l’évocation de "règlements de comptes", sont une étrange constante. A croire que tout Juif agressé aurait quelque chose à se reprocher. La présomption d’innocence, curieusement, n’existe pas pour ces victimes.
Le plus dangereux est la nouvelle mode lancée dans la manière de qualifier les agresseurs et les agressés : il s’agirait "d’affrontements intercommunautaires". Soyons sérieux. Lorsque deux juifs sortent d’un restaurant cacher et se font agresser par une vingtaine de jeunes délinquants, lorsque trois jeunes porteurs d’une kippa se font rouer de coups sous le regard d’autres passants nullement inquiétés, de quoi s’agit-il ?
A-t-on vu des jeunes musulmans se faire agresser au sortir d’une mosquée ? Quels sont les chiffres des agressions qui auraient été perpétrées par des Juifs à l’encontre de jeunes d’origine arabo-musulmane ? Une agression a eu lieu, certes, à la sortie d’un grand lycée parisien, à l’encontre de trois d’entre eux. Une de trop, bien entendu. Mais quelles sont les autres ? Cet acte, évidemment condamnable, a été fortement médiatisé et a d’ailleurs immédiatement été accrédité comme une agression raciste. Point de doute émis subrepticement, cette fois. Point de "règlement de comptes" entre jeunes évoqué. La différence de traitement de l’information est a tout le moins… intéressante.
Nous sommes loin des longues tergiversations qui ont perduré à propos de l’assassinat d’Ilan Halimi, kidnappé et torturé parce que Juif. La nature antisémite de l’acte était pourtant indéniable pour celui qui savait fait preuve de discernement. Le chef du "gang des barbares" (sic) le reconnaît lui-même aujourd’hui. Après l’avoir nié, dans un premier temps, pour favoriser sa défense, il qualifie ses geôliers et les membres de la justice de "sionistes" et de "Juifs" ! Le mythe est bel et bien actif !
Cette cécité médiatique - pour ne parler que d’elle -, ne contribue-elle pas indirectement à l’augmentation des agressions ? Aveuglés par la haine et les préjugés véhiculés, les agresseurs ne voient plus, dans l’Autre, qu’un être désincarné symbolisant le mal absolu. C’est ainsi qu’un jeune homme de vingt-quatre ans est atteint d’une lésion au cerveau et risque de perdre un œil, après avoir reçu quatre coups de couteau : il était porteur d’un médaillon permettant de l’identifier comme juif.
Il n’y a pas d’affrontements "intercommunautaires". Il y a une haine anti-juive qui se donne libre cours. Le déni de la réalité de ces agressions fait partie de la stratégie des antisémites. Ceux qui le cautionnent se rendent complices des auteurs des exactions : ils les encouragent par leur attitude.
La République française n’est pas constituée de "communautés" : cette notion est d’ailleurs contraire à son essence. Elle est composée de citoyens, d’individus uniques qui ont des droits et des devoirs.
Aucun prétexte ne saurait être accepté pour cautionner, justifier des actes inqualifiables. Ceux qui choisissent un autre discours instrumentalisent des conflits qui n’ont rien à voir avec les problèmes de notre société et se font les complices de monstruosités à venir.
Annick Azerhad
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