dimanche 1 mars 2009

« Nous ne sommes pas à l’abri d’une dérive »



L’INVITÉ DU DIMANCHE : RICHARD PRASQUIER
par Philippe Baverel et Dominique de Montvalon


Président du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif), Richard Prasquier devrait recevoir demain soir, en présence de leaders politiques de gauche comme de droite, Nicolas Sarkozy et François Fillon au dîner annuel du Crif.

Craignez-vous, à la faveur de la crise économique, une poussée des populismes et des extrémismes ?
Richard Prasquier. Clairement, oui. Les risques sont grands que la crise, aujourd’hui économique, devienne demain sociale et politique, avec la montée des populismes et de la tentation protectionniste. Par rapport à la crise de 1929, une différence capitale saute aux yeux : en 2009, les gouvernements des 27 pays de l’Union européenne sont démocratiques et ont tous manifesté leur rejet de l’antisémitisme. Pour autant, nous ne sommes pas à l’abri d’une dérive car, parmi les populations, la recherche du bouc émissaire est une réaction quasi instinctive.

Y a-t-il aujourd’hui en France une montée de l’antisémitisme ?
D’une part, nous avons constaté dans notre pays en 2008 une stabilisation sans diminution des actes antisémites. D’autre part, nous observons la persistance dans certains milieux d’un très fort sentiment antijuif qui se manifeste par un comportement au quotidien très chargé en stéréotypes. Plus grave : à partir de ce terreau antisémite, sont apparues en janvier 2009, avec l’opération israélienne à Gaza, de nombreuses et très graves manifestations antijuives. A Toulouse, une camionnette en feu a été lancée contre une synagogue. A Metz, 200 personnes se sont précipitées contre une synagogue. L’animateur Arthur a dû annuler plusieurs de ses spectacles. « Il est juif, donc c’est un soutien à Israël, donc il n’a pas le droit de s’exprimer » : voilà ce qu’on a entendu. C’est inacceptable. La guerre des mots bat son plein. Sur combien de sites Internet a-t-on pu lire, par exemple, que les Israéliens auraient perpétré à Gaza un « génocide » ? Ce qui sous-entend que les « sionistes » qui les soutiennent sont complices de ce génocide ! Il faut dire et répéter ce qui est évident : il y a eu à Gaza des victimes civiles de l’opération israélienne et le Crif a été le premier, dans ses communiqués, à s’incliner devant elles mais le terme de génocide est un monstrueux mensonge. Il est utilisé par certaines organisations qui ont pignon sur rue, qui devraient jouer un rôle de modérateur et qui mettent au contraire de l’huile sur le feu.

Vous visez qui ?
L’UOIF (Union des organisations islamiques de France) s’est, de ce point de vue, distinguée.

L’intervention israélienne à Gaza a donné lieu en France à beaucoup de manifestations…
Je ne remets évidemment pas en cause le droit de manifester. Mais lorsqu’on entend des manifestants crier « Mort aux juifs ! » ou brandir des banderoles assimilant croix gammée et étoile de David, réfléchissez à ce que cela signifie pour un juif. Et quelle terrible surprise d’observer en France, sans que la police intervienne ou puisse intervenir, dans des défilés contrôlés par les éléments islamistes les plus durs et brandissant des banderoles de ce type, la présence de certains politiques que cela ne semble pas déranger…

Qui ?
Besancenot, Marie-George Buffet, beaucoup de Verts… Sur le plan moral, cela me choque. Sur le plan intellectuel, cela m’interpelle : quel est le lien entre un internationaliste antireligieux et un islamiste radical ? Je me réjouis que le PS ait su éviter le piège. Car il ne faut pas se leurrer : l’objectif des islamistes, au travers de ces cortèges, était de légitimer le Hamas, mouvement « illégitimable » parce que son projet est un projet de guerre sainte à l’échelle du monde. Cette confusion entretenue entre le souci légitime de la population de Gaza et la défense du Hamas est gravissime car les Palestiniens sont les premières victimes du Hamas. Cela rendra les négociations de paix encore plus difficiles.

L’an dernier, au dîner du Crif, Nicolas Sarkozy avait proposé de « confier à chaque élève de CM 2 la mémoire d’un enfant français victime de la Shoah ». Regrettez-vous que cette idée n’ait finalement pas été retenue ?
Cette idée a soulevé une controverse. La commission Waysbord-Loing a proposé à la place de relier chaque classe à un épisode de la persécution des juifs en France. C’est une proposition très consensuelle à laquelle je souscris. Sur le fond, on a, à juste titre, beaucoup réfléchi au risque que nous ferions courir à nos enfants en leur imposant cette liaison mémorielle individuelle. Puisqu’on parle d’enfants, parle-t-on assez de leurs camarades du même âge qui sont soumis dans certains pays à un endoctrinement à la violence et à la haine d’une tout autre gravité ?

Mgr Williamson, l’évêque d’extrême droite dont le credo négationniste a fait scandale, vient de demander « pardon » à tous ceux que ses propos auraient blessés…
Ce « pardon » laborieux à l’Eglise et aux familles des victimes de « l’injustice nazie » est un non-événement. On attendra longtemps avant qu’il renie ses déclarations négationnistes. Ce qui me préoccupe dans cette affaire, c’est de m’être rendu compte que, pour les membres de la commission chargée des négociations en vue de la levée de l’excommunication, ces déclarations n’ont pas été considérées comme particulièrement graves. Or la négation du génocide est un énorme mensonge, une manifestation particulièrement abjecte d’antisémitisme, un crime contre la morale.

Vous voulez dire que, lorsque Mgr Williamson a été réintégré dans l’Eglise, ceux qui ont poussé le pape à cela connaissaient parfaitement ses convictions ?
Oui. Au Vatican, on ne pouvait pas ne pas connaître les prises de positions anciennes et répétées de Williamson. Cela dit, le dialogue judéo-catholique continuera, et ce n’est pas Williamson qui le brisera. Le pape a dit que la négation de la Shoah est inconcevable. Il a réaffirmé sa solidarité avec les juifs. Et il a demandé aux intégristes d’accepter le concile Vatican II, marqué notamment par la reconnaissance de la filiation entre judaïsme et chrétienté.

Le projet de béatification du pape Pie XII dont le silence pendant la Seconde Guerre mondiale continue de provoquer polémiques et malaise ne risque-t-il d’être un sujet de conflit ?
Si l’Eglise prenait la responsabilité de béatifier Pie XII avant que les historiens aient eu accès aux archives complètes du Vatican, elle provoquerait une rupture grave avec le monde juif. Avant et pendant la guerre, alors que l’Eglise avait besoin d’un prophète, Pie XII s’est conduit comme un diplomate, et un mauvais diplomate. Après 1945, alors que le nazisme s’était effondré et qu’il n’y avait plus aucun risque ni pour les prêtres ni pour l’Eglise, jamais il n’a parlé de la Shoah, ce qui suggère que, pour lui, il s’agissait d’un événement d’importance secondaire.

Qu’espérez-vous du voyage de Benoît XVI en Israël en mai ?
J’espère que ce voyage apportera beaucoup d’éclaircissements et d’apaisement, notamment lorsque le pape ira au mémorial de Yad Vashem. Et qu’il se situera dans la ligne du voyage de Jean-Paul II qui a énormément contribué au rapprochement entre juifs et catholiques.

Le Parisien