vendredi 12 septembre 2008

ANTISEMITISME MUSULMAN (2)

22 Revue d’histoire de la Shoah

Les relations islamo-juives dans l’histoire :pas toujours « idylliques »Juifs et musulmans ont coexisté sans discontinuer depuis l’émergence de l’islam, au VIIe siècle de l’ère chrétienne. À certaines périodes, une relative tolérance régnait, qui permit aux Juifs d’effectuer des percées sur le plan intellectuel, de bénéficier de la prospérité économique, voire, occasionnellement,d’exercer une certaine influence politique sous le régime islamique 1.
Cependant – et ce fait est en général peu connu –, leur existence, du Maroc à l’Iran, fut jalonnée par la misère, l’humiliation et la violence 2.
Ces malheurs,notamment aux XIe et XIIe siècles, incitèrent même Maimonide, le plus grand philosophe juif du Moyen Âge, à évoquer avec amertume la « nation d’Ismaël, qui nous persécute cruellement et imagine les moyens de nous nuire et de nous avilir»3.
Certes, « l’Âge d’or » des Juifs séfarades, qui coïncida avec l’un des grands moments de la civilisation islamique médiévale, ne fut pas exempt de jalousie et d’hostilité musulmanes devant l’influence exercée par les Juifs et leur succès socioéconomique 4.
À l’époque prémoderne, le statut juridique des Juifs et des chrétiens vivant sous domination islamique était fondamentalement celui des dhimmis (« populations protégées »), et leurs religions étaient officiellement reconnues par les autorités. En contrepartie d’une capitation
(jizya),ils pouvaient librement pratiquer leur religion, bénéficier d’une certaine sécurité personnelle et gérer leurs propres organisations communautaires.

Mais la protection octroyée aux « peuples du Livre »(ahl al-kitab)était étroitement liée à leur soumission ; la « tolérance » dont ils bénéficiaient s’insérait dans un cadre social discriminatoire et invalidant qui soulignait en permanence la supériorité des musulmans sur les Juifs et les chrétiens.
1. Bernard Lewis,The Jews of Islam, Princeton, Princeton University Press, 1984, p. 1-
66. Mark R. Cohen, « Islam and the Jews: Myth, Counter-Myth, History »,Jerusalem Quaterly
, n° 33, 1986 ; p. 125-137, il est question de la vision à la fois idyllique et
larmoyante des relations judéo-musulmanes à travers les siècles.
2. Bat Yeor,The Dhimmi: Jews and Christians under Islam, Rutherford, N. J., Fairleigh-
Dickinson University Press, 1985. Il s’agit d’une étude pionnière importante sur le sujet. La
traduction en français est éditée par Berg International, Paris, 1994.
3. Voir Norman A. Stillman,The Jews of Arab Lands: A History and Source Book
,Jewish Publication Society, Philadelphie, 1979, p. 233-246 pour la traduction anglaise du
texte de Maimonide. La citation se trouve p. 241.
4.Ibid., p. 214-216. Avraham Grossman, « The Economic and Social Background of
Hostile Attitudes to Jews in the Ninth and Tenth Century Muslim Caliphate », in Shmouel
Almog,Anti-Semitism through the Ages, Oxford, Butterworth-Heinemann, 1988, p. 171-187. Voir S. D. Goitein,Jews and Arabs: Their Contacts through the Ages, 3e édition, New York, Schocken, 1974, p. 125-211 pour une vision plus positive.

L’antisémitisme musulman : un danger très actuel 23

Ainsi, les Juifs n’étaient pas autorisés à porter des armes, ne pouvaient pas monter à cheval, étaient astreints au port d’un vêtement distinctif (la rouelle jaune provient de Bagdad et non de l’Europe médiévale) et n’avaient pas le droit d’édifier de nouveaux lieux de culte
1. Leur statut de dhimmi,élaboré par des juristes musulmans dès le début de l’islam et qui perdurajusqu’au début du XXe siècle, a été succinctement résumé comme suit :
Les dhimmis étaient souvent considérés comme impurs et devaient être séparés de la communauté musulmane. Il leur était interdit de pénétrer dans les villes saintes musulmanes, dans les mosquées, les bains publics, ainsi que dans certaines rues. Leurs turbans – lorsqu’ils avaient le droit d’en porter –, leurs costumes, ceintures, chaussures, l’aspect extérieur de leurs femmes et de leurs domestiques devaient être différents de ceux des musulmans afin de les distinguer et de pouvoir les humilier ; car les dhimmis ne pouvaient jamais oublier qu’ils étaient des êtres inférieurs 2.
Il est vrai que la législation discriminatoire ne fut pas toujours appliquée dans toute sa rigueur par les dirigeants musulmans lorsqu’elle entrait en conflit avec leurs propres intérêts politiques et économiques. Mais presque toute autorité ou influence manifeste exercée par les dhimmis risquait de susciter la colère des foules musulmanes et des revendications enflammées de la part des réformateurs religieux pour les remettre à leur place. Toute déviation des normes juridiques et sociales musulmanes fondées sur l’humiliation des Juifs et des chrétiens pouvait apparaître comme une infraction au pacte d’Omar (ensemble de décrets édictés au VIIIe siècle par le calife Omar Ier et réglementant le statut de dhimmi). Juifs et chrétiens encouraient la mort au moindre signe d’« arrogance » ou de « morgue » 3.
Dans des pays plus isolés comme le Maroc, l’Iran et le Yémen où les Juifs souffrirent tout particulièrement d’avilissement, de mépris et d’insécurité, les restrictions imposées au dhimmi étaient appliquées dans toute leur rigueur. Les émeutes musulmanes et les assassinats de Juifs furent plus fréquents dans ces pays périphériques, même au début du XXe siècle 4.

1. Sur ces aspects humiliants de la condition du dhimmi, voir Lewis, Jews of Islam,op. cit., p. 34 sq. Bat Yeor, Dhimmi, op. cit., p. 51-77.
2. Bat Yeor, Oriental Jewry and the Dhimmi Image in Contemporary Nationalism,Genève, Avenir-WOJAC, 1979, p. 3.
3. Jane S. Gerber, « Antisemitism and the Muslim World », in D. Berger, History and Hate: The Dimension of Anti-Semitism, Philadelphie, Jewish Publication Society, 1986, p. 84.
4. Sur la lamentable oppression des Juifs marocains d’après les relations de voyageurs étrangers depuis la fin du XVIIe siècle, voir Stillman, « Antisemitism in the Contemporary Arab
World », art. cit., p. 303-304, 306-317, 367-373. Voir également David Littman, « Jews under
Muslim Rule in the Late Nineteenth Century », Wiener Library Bulletin, n° 27, 1975, p. 65-76.

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Pillages, mises à sac et meurtres de Juifs sans défense se produisirent également
dans d’autres pays d’Afrique du Nord à intervalles assez réguliers au
cours du XIXe siècle. Il en alla de même pour la calomnie de « crime rituel »
qui trouve son origine dans l’Empire ottoman musulman parmi les chrétiens
orthodoxes grecs, débouchant sur des pogroms à Smyrne (1872) et deux ans
plus tard à Constantinople.

Des accusations de crime rituel sont attestées antérieurement à Beyrouth (1824), Antioche (1826), Hama (1829) et, surtout, de façon tristement célèbre, à Damas (1840). La calomnie, qui rencontra une large audience auprès des catholiques européens, fut soutenue par le consul français en personne 1.
Cette accusation médiévale de crime rituel (les Juifs étant accusés d’assassiner des enfants chrétiens afin d’utiliser leur sang dans la préparation des pains azymes de Pâques) était, en fait, totalement étrangère à la foi et à la tradition islamiques. À l’instar d’un certain nombre d’autres thèmes antisémites classiques en Europe, le fantasme du crime rituel fut à l’origine introduit dans le monde musulman par des chrétiens autochtones (orthodoxes grecs, catholiques, maronites, etc.), qui se montrèrent de façon générale à l’avant-garde dans la nouvelle idéologie qu’était le nationalisme arabe laïque au début du XXe siècle 2.
En dépit de la servitude et de la discrimination inhérentes au statut de dhimmi à l’époque prémoderne, les Juifs sous l’islam se trouvaient cependant dans une position relativement meilleure que celle de leurs coreligionnaires en pays chrétien. Par exemple, ils ne portaient pas sur le front, comme une marque de Caïn, la réprobation théologique d’assassins du Christ. Les musulmans du Moyen Âge, plus sûrs d’eux, ne ressentaient pas la même obligation que leurs homologues chrétiens de réfuter le judaïsme en tant que religion, de s’engager dans d’interminables polémiques sur sa validité ou de remplacer l’« ancienne Alliance » par un « nouvel Israël en esprit ». À leurs yeux, le christianisme était, pour des raisons évidentes, un défi théologique,

1. Jacob Barnai, « Blood Libels’ in the Ottoman Empire of the Fifteenth to the Nineteenth
Centuries », in Almog, Antisemitism, op. cit., p. 289 sq. Jacob Landau, « Les accusations de
crime rituel et les persécutions des Juifs dans l’Égypte du XIXe siècle », en hébreu, Sefunot
n° 5, 1961, p. 417-460. Sur l’affaire du crime rituel à Damas, en 1840, voir Stillman,
« Antisemitism in the Contemporary Arab World », op. cit., p. 393-402, et l’analyse
détaillée de Jonathan Frankel, The Damascus Affair, Cambridge, Cambridge University
Press, 1997.
2. Hava Lazarus-Yafeh, « Jews and Christians in Medieval Muslim Thought », in Robert
S. Wistrich, Demonizing the Other: Antisemitism, Racism and Xenophobia, Amsterdam,
Harwood Academic Publishers, 1999, p. 108-117. Voir également Mark R. Cohen, Under
Crescent and Cross: The Jews in the Middle Ages, Princeton, Princeton University Press,
1994.

L’antisémitisme musulman : un danger très actuel 25

politique et militaire bien plus sérieux que le judaïsme et semblait également plus étranger 1.
En comparaison, les Juifs constituaient à peine unemenace pour les musulmans et pouvaient même éventuellement devenir des alliés. En outre, le statut de dhimmi sous la loi musulmane – contrairement au cas de la chrétienté médiévale – ne confinait pas les Juifs dans des ghettos, ne les cantonnait pas à l’usure et ne les empêchait pas d’acquérir des terres et d’exercer divers métiers. La discrimination dont ils souffraient sous l’islam était qualitativement bien plus clémente que l’exclusion et la démonisation dont ils étaient l’objet dans la chrétienté médiévale 2.
Néanmoins, l’image coranique du Juif, qui s’est actuellement considérablement dégradée et radicalisée dans les écrits islamiques contemporains, était loin d’être inoffensive. Le Coran contient certains passages particulièrement choquants dans lesquels Mahomet stigmatise les Juifs comme des ennemis de l’islam et les décrit animés d’un esprit malveillant et rebelle 3.
On trouve également des versets qui évoquent leur humiliation et leur misère justifiées, « encourant la colère divine » à cause de leur désobéissance. Ils devaient être humiliés « parce qu’ils n’avaient pas cru aux signes de Dieu et avaient tué les prophètes injustement » (sourate 2, versets 61/58). Selon un autre verset (sourate 5, versets 78/82), « les incroyants
parmi les Enfants d’Israël » furent maudits par David et par Jésus. À titre de châtiment pour avoir ignoré les signes de Dieu et les miracles accomplis par les prophètes, ils furent transformés en singes et en pourceaux ou en idolâtres (sourate 5, versets 60/65).

Le Coran insiste particulièrement sur le fait que les Juifs rejetèrent Mahomet (bien que, selon des sources musulmanes, ils le reconnurent comme un prophète) – par pure jalousie envers les Arabes et par ressentiment parce qu’il n’était pas juif. De tels actes sont aujourd’hui présentés comme caractéristiques de la nature sournoise, perfide et intrigante des Juifs telle que la décrit le texte coranique. Pour des traits aussi négatifs, ils étaient voués à

1. Stillman, « Antisemitism in the Contemporary Arab World », op. cit., p. 107, affirme
que les débuts de l’antisémitisme dans le monde arabe sont dus aux efforts déployés par la
minorité chrétienne partiellement émancipée pour se protéger de la « concurrence
économique » d’une autre minorité moins assimilée, les Juifs. Voir cependant Bat Yeor,
Juifs et Chrétiens sous l’islam. Les dhimmis face au défi intégriste, Paris, Berg International,1994, p. 263 sq., qui démontre la haine de soi et l’effet boomerang de la judéophobieet de l’antisionisme chrétiens arabes, avec le travail de sape de la position des dhimmis chrétiensau Moyen-Orient.
2. Wistrich, Antisemitism, op. cit., p. 202-203.
3. Haggai Ben-Shammai, « Jew-Hatred in the Islamic Tradition and the Koranic
Exegesis », in Almog, Antisemitism, op. cit., p. 161-169.

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« l’avilissement dans ce monde-ci » et à un « châtiment magistral » dans l’autre monde 1.
Une série de versets accuse les Juifs de « mensonges » (sourate 3, verset 71), d’altérations (sourate 4, verset 46), de lâcheté, d’avidité et de « corruption des textes sacrés » 2.
Cette dernière accusation renvoie à une croyance bien ancrée selon laquelle les révélations des Ancien et Nouveau Testaments étaient authentiques, mais auraient été par la suite déformées
par leurs indignes gardiens (Juifs et chrétiens). Le texte biblique devait donc être remplacé par le Coran, la parole littérale de Dieu transmise à son prophète Mahomet par l’intermédiaire de l’ange Gabriel
3.
Cette version musulmane substitutionniste considère Mahomet comme le dernier prophète, celui qui a reçu l’ultime et complète révélation de Dieu sous la forme de l’islam. Le principal stéréotype antijuif entretenu par le Coran demeure l’accusation selon laquelle les Juifs ont obstinément et délibérément rejeté la vérité d’Allah 4.
En outre, d’après le texte sacré, ils ont toujours persécuté ses prophètes, notamment Mahomet qui dut par la suite expulser deux grandes tribus juives de Médites et exterminer la troisième, les Qurayza. Le Hadith (la tradition orale) va beaucoup plus loin et affirme que les Juifs, conformément à leur nature perfide, ont délibérément causé la mortdouloureuse de Mahomet en l’empoisonnant. De plus, les Juifs malveillants et conspirateurs doivent être blâmés pour les luttes sectaires qui perturbèrent l’islam à ses débuts, pour les hérésies et les déviances qui minèrent ou mirent en péril l’unité de l’umma (la nation musulmane) 5.
Ce thème a été repris et développé par les intégristes modernes qui, pour leur guerre contre les Juifs contemporains, puisent leur inspiration dans la luttemenée contre eux par leur Prophète dans l’Arabie du VIIe siècle. L’archétype solidement ancré d’une « menace juive » ou d’un défi posé dès la naissance de l’islam a pris une forme de plus en plus véhémente et militante

1. Wistrich, Antisemitism, op. cit., p. 200.
2. Ben-Shammai, « Jew-hatred », art. cit., p. 164-166. Voir Gerber, « Anti-Semitism and
the Muslim World », p. 78-79.
3. G. Vajda, « Juifs et musulmans selon le hadith », Journal historique, n° 229, 1937,
p. 57-129. Voir Lazarus-Yafeh, « Jews and Christians », art. cit., p. 113, à propos de l’argument musulman de Tahrif, l’accusation musulmane selon laquelle les Juifs comme les chrétiens ont falsifié leurs propres textes saints.
4. Le Coran déclare expressément (sourate 5, 85) que « l’hostilité la plus forte contre
ceux qui croient provient des Juifs et des idolâtres ».
5. Ronald L. Nettler, « Islamic Archetypes of the Jews: Then and Now », in Robert S.
Wistrich, Anti-Zionism and Anti-Semitism in the Contemporary World, New York, New
York University Press, 1990, p. 78-83.

L’antisémitisme musulman : un danger très actuel 27

depuis 1948, et notamment dans la lutte contre Israël et le monde juif d’aujourd’hui.
Par exemple, l’idée que les Juifs sont d’« arrogants falsificateurs », tramant sans relâche de nouveaux complots et de nouvelles conspirations pour semer la discorde et créer des conflits et des divisions au sein de la communauté musulmane est considérée comme allant de soi et correspondant tout à fait à l’enseignement coranique. Seule une adhésion opiniâtre aux vraies valeurs de l’islam, est-il constamment répété, peut protéger les musulmans contre la terrible menace que représente l’infiltration impérialiste judéo-sioniste et occidentale, un péril prétendument prévu par les textes sacrés coraniques. Tel est le message principal de Notre lutte contre les Juifs de Sayyid Qutb, un essai majeur, rédigé au milieu des années 1950
par le principal idéologue musulman égyptien de l’époque, et qui inspira par la suite une grande part de la doctrine intégriste contemporaine. Pour Qutb, les Juifs et le sionisme incarnent un point nodal de la crise de la civilisation islamique, amplifiée encore par les craintes et la faiblesse des musulmans face à la modernité laïque, à la permissivité sexuelle et à la faculté de propagation de la culture de masse américaine.

À l’émancipation juive de la domination musulmane (perçue comme le résultat de l’intrusion colonialiste occidentale croissante dans le monde islamique) avait succédé quelque chose de bien plus inquiétant – la création d’un État juif au coeur même du monde arabo-musulman. Selon Qutb et ses adeptes, le fait que les Arabes ne soient pas parvenus à prévenir ce « désastre » montrait l’ampleur du délabrement culturel et présageait un éventuel effondrement de l’islam après plusieurs siècles de déclin 1.
Dans ce scénario résolument pessimiste, les Juifs servaient principalement de catalyseurs de la crise culturelle, mais les « musulmans non pratiquants » ou « incroyants » (kuffâr) et les dirigeants arabes nationalistes laïques représentaient une cinquième colonne tout aussi dangereuse, affaiblissant la résistance du monde musulman à Israël et à l’Occident.
Pour les intégristes musulmans, les Juifs en sont venus à représenter un « ennemi éternel » de l’islam, depuis leurs « fourbes » intrigues contre le Prophète dans l’Arabie du VIIe siècle jusqu’à la lutte actuelle, puisqu’ils se sont toujours employés – est-il invoqué – à détruire la foi musulmane. Selon Qutb, ce sont les Juifs qui, précisément à cette fin, inventèrent les
doctrines modernes du « matérialisme athéiste » (communisme, psycha-


1. Ronald L. Nettler, Past Trials and Present Tribulations: A Muslim Fundamentalist’s View of the Jews, Oxford, Butterworth-Heinemann, 1987, p. 19-58. L’essai de Qutb fut réimprimé par le gouvernement d’Arabie Saoudite.

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nalyse et sociologie) ; ils sont également à l’origine de la « destruction de la famille et de l’effondrement des relations sacrées dans la société
1 ».
Les enseignements de Marx, Freud et Durkheim sont des exemples classiques du rôle subversif joué par les Juifs dans le sabotage de la foi et l’introduction d’une « immoralité»universelle au coeur même du Dar al-islam. C’est la disposition naturellement malveillante des Juifs, leur misanthropie,leur haine constante des musulmans (attestée par le Coran) qui ont induit de telles actions, mais leurs complots finiront par échouer dès lors que les croyants seront retournés aux sources de leur inébranlable foi.
Les théories du complot : les Protocoles et l’accusation de crime rituel version islamique
La judéophobie islamique de Qutb, comme celle de ses disciples intégristes,s’est fondue relativement aisément aux thèmes bien plus modernes de l’antisémitisme raciste d’inspiration politique du XXe siècle issu des sources occidentales. La plus importante de ces importations européennes fut Les Protocoles des Sages de Sion qui fournissent une théorie complète du complot dans l’histoire, théorie d’après laquelle des Juifs sataniques oeuvrent sans relâche à la domination mondiale. Le communisme, la francmaçonnerie,le sionisme et l’État d’Israël sont tous considérés comme des instruments de ce plan diabolique du judaïsme. La fascination qu’il exerce sur les musulmans crédules n’a cessé de s’intensifier à chaque nouvelle défaite devant Israël
2.
La théorie antisémite du complot constitue ainsi un élément extrêmement important de la charte palestinienne adoptée par le Hamas en 1988, dont l’article 32 stipule : Car les intrigues des sionistes sont sans fin et, après la Palestine, ils convoitent de s’étendre du Nil à
l’Euphrate. Ce n’est que lorsqu’ils aurontentièrement absorbé la région sur laquelle ils auront mis la main qu’ilsenvisageront une nouvelle expansion, etc. Leur plan est exposé dans les Protocoles des Sages de Sion et leur actuelle [conduite] est la meilleure
preuve de ce qui vient d’être exposé
3.

1. Ibid., p. 55.
2. Pierre-André Taguieff, Les Protocoles des Sages de Sion. Faux et usages d’un faux,
vol. I, Paris, Berg International, 1992, p. 284-314.
3. Voir Raphael Israeli, Fundamentalist Islam and Israel: Essays in Interpretation, New
York, University Press of America, 1993, p. 155.

L’antisémitisme musulman : un danger très actuel 29

Les Juifs sont ouvertement accusés par le Hamas (« Mouvement de la résistance islamique ») de contrôler la richesse du monde et les médias, d’être à l’origine des révolutions française et russe, ainsi que des deux guerres mondiales, dans le but de promouvoir cyniquement les objectifs sionistes. Ils sont également accusés d’avoir créé des organisations clandestines
(le Rotary et le Lions Club, la franc-maçonnerie, etc.) à des fins d’espionnage et de subversion
1. Les Juifs, est-il affirmé, ont délibérément supprimé le califat islamique et ont ensuite créé la Société des nations dans les années 1920, « afin de régner sur le monde 2 ».
Selon les intégristes musulmans palestiniens, « aucune des guerres qui se sont déroulées dans le monde n’est exempte de l’empreinte juive 3 ».
Le mot « hamas » signifie littéralement : piété et ferveur dans la voie d’Allah. Le mouvement – version palestinienne issue de ce qui fut à l’origine les Frères musulmans égyptiens – a constamment associé une farouche judéophobie islamique à la rhétorique antisémite occidentale 4.
Dans ses tracts, d’une grande violence, il ne fait pratiquement aucune distinction entre sionistes et Juifs. De façon caractéristique, la littérature du Hamas évoque la conquête de Khaibar par Mahomet en 628 de l’ère chrétienne – une oasis de la péninsule d’Arabie où les Juifs « traîtres » furent éliminés par le Prophète – comme source d’inspiration pour le combat
actuellement mené pour détruire Israël. Une idéologie tout aussi radicale inspire le Hezbollah (le « parti de Dieu »), mouvement chiite libanais qui a commencé à occuper le devant de la scène après sa lutte contre l’incursion israélienne au Liban, en 1982. Son refus total de l’existence d’Israël et sa perception du judaïsme comme l’ennemi le plus ancien et le plus acharné de l’islam doivent beaucoup aux prêches « antisionistes » de l’ayatollah Khomeyni et à la relation symbiotique qu’entretient le mouvement avec la République islamique d’Iran.

Conformément à sa source d’inspiration doctrinale, le Hezbollah s’oppose au nationalisme, à l’impérialisme et à l’« arrogance » occidentale, en soulignant particulièrement l’importance de l’objectif stratégique que constitue la libération de la Palestine et de Jérusalem. À l’instar du Hamas et d’autres groupements intégristes, il décrit Israël comme un fantoche occidental installé au Moyen-Orient afin de permettre à l’impérialisme de poursuivre sa domination et son exploitation des ressources régionales arabes. Israël

1. Ibid., p. 148. Article 22 de la charte du Hamas.
2. Ibid.
3. Ibid.
4. Esther Webman, Anti-Semitic Motifs in the Ideology of Hizballah and Hamas, Tel-
Aviv, Tel Aviv University, 1994, p. 17-22.

30 Revue d’histoire de la Shoah

est invariablement considéré comme la source de tout mal et de toute violence dans la région ainsi que comme le principal obstacle à l’unité islamique.Il doit donc disparaître totalement
1.
Le récent départ israélien du Liban n’est qu’un prélude à cet anéantissement futur du grand « ennemi usurpateur » de l’islam fréquemment décrit par le Hezbollah (comme d’ailleurs dans la propagande iranienne) comme un « cancer » et un poison dont souffre le monde entier.
Au cours des années 1990, le principal dignitaire religieux du Hezbollah, le cheikh Hussein Fadlallah, n’a cessé de souligner qu’Israël n’était pas seulement un État juif au sens propre du terme. Il est l’expression première du caractère « juif » corrompu, traître et agressif. Les Juifs sont en fait « l’ennemi du genre humain tout entier », congénitalement « racistes », condescendants envers les autres peuples, et implacablement attelés à la domination mondiale. À la fin des années 1980, dans une interview, Fadlallah avait déjà exprimé une attitude amplement intégriste, évoquant des ambitions juives illimitées :
Les Juifs veulent être une superpuissance mondiale. Ce milieu raciste des Juifs veut se venger contre le monde entier de leur histoire de persécution et d’humiliation. Dans ce contexte, les Juifs agissent dans l’idée que leurs intérêts priment sur les intérêts du monde entier 2.
La philosophie du Hezbollah, prônant avec constance la guerre totale et sans compromis contre Israël, le sionisme et les Juifs, repose incontestablement sur un virulent substrat antisémite lié à sa perspective générale panislamique et révolutionnaire. Son venin spécifique a également sa source dans les traditionnelles attitudes chiites iraniennes envers les Juifs, considérés comme des infidèles impurs et corrompus. Ce thème, qui a envahi les conceptions de
l’ayatollah Khomeyni, influence toujours les dirigeants iraniens actuels
3.
Tout comme le Hamas et le Djihad islamique, le Hezbollah s’acharne à diaboliser l’ennemi juif et sioniste, se livrant avec enthousiasme à la violence, aux attentats suicides, au « martyre » et au terrorisme, vus comme les seuls moyens de « libérer » la Palestine, de détruire Israël et de vaincre l’Occident 4.

1. Ibid., p. 8-9.
2. Middle East Insight, mars-avril 1988, p. 10.
3. David Menashri, « The Jews of Iran: Between the Shah and Khomeini », in Sander Gilman and Steven T. Katz, Anti-Semitism in Times of Crisis, New York, New York University Press, 1991, p. 353-371.
4. Raphael Israeli, « Islamikaze and Their Significance », Terrorism and Political Violence, 9 ; 3, automne 1997, p. 96-121, met en relief le caractère planifié, prémédité des « suicides » organisés par les terroristes musulmans, entreprises destinées à infliger le maximum de dommages à l’« abominable » ennemi sioniste.

L’antisémitisme musulman : un danger très actuel 31

Tout est subordonné à l’impératif suprême du djihad – la guerre sainte qui doit être menée jusqu’à la mort contre l’infidèle – jusqu’à ce que tous les pays islamiques soient libérés et qu’un véritable État islamique soit rétabli
1.
À leur habitude, les médias occidentaux montrent une extrême réticence à établir un lien entre la guerre terroriste menée actuellement contre Israël et l’Occident, et ses racines idéologiques dans l’islam ou les sources et la signification du djihad. Ils répugnent également à lier le terrorisme aux obsessions antijuives qui animent actuellement plusieurs millions de musulmans 2.
Aussi étonnant que cela puisse paraître, on a accordé peu d’attention à l’impressionnante profusion, à l’énergie et à la violence de l’antisémitisme musulman contemporain, du Caire et de Gaza à Damas, Bagdad, Téhéran et Lahore. Le défilé apparemment sans fin de grotesques mensonges arabes et musulmans à l’encontre des Juifs et de l’État juif semble avoir à peine
effleuré la conscience occidentale. Ces mensonges sont tout au plus perçus comme un épiphénomène de la tempête d’antiaméricanisme déchaîné ou comme une forme d’« opposition politique » aux actions israéliennes. Même l’affirmation répétée à foison par les Arabes selon laquelle la Shoah est une invention des sionistes et des Juifs (argument qui attire davantage l’attention des médias européens lorsqu’il est le fait de néonazis ou d’individus d’extrême droite) ne suscite qu’une réaction des plus anodines en Occident
3.
Et les divagations antisémites de l’actuel ministre syrien de la Défense, Mustafa Tlass (en poste depuis 1972 !) qui, depuis des années, entretient avec constance l’accusation médiévale selon laquelle les Juifs boivent le sang d’enfants non juifs, n’ont pas davantage suscité l’intérêt. Dans la préface de son livre désormais « classique », Le Pain azyme de Sion, édité pour la première fois en 1983, Tlass écrit :
Le Juif peut vous tuer et prendre votre sang pour fabriquer son pain sioniste. S’ouvre ici devant nous une page plus répugnante que le crime lui-même : les croyances religieuses des Juifs et les perversions qu’elles contiennent, qui s’inspirent d’une sombre haine pour le genre humain tout entier et pour toutes les religions 4.

1. Ibid., p. 110-111.
2. Raphael Israeli, The Terrorist Masquerade, Shaarei Tikva, Israël, Ariel Center for
Policy Research, 2001.
3. Voir Holocaust Denial in the Middle East: The Latest Anti-Israel Propaganda Theme,
New York, Anti-Defamation League, 2001.
4. Cité par Raphael Israeli, Arab and Islamic Antisemitism, Shaarei Tikva, Israël, Ariel
Center for Policy Research, 2000, p. 18.

32 Revue d’histoire de la Shoah

Or, le 8 février 1991, le délégué syrien à la Commission des droits de l’homme de l’ONU à Genève pria tous les représentants présents de lire Tlass pour mieux saisir la nature du « racisme sioniste ». En 1999, le ministre syrien de la Défense répétait encore l’affirmation qu’il avait développée dans Le Pain azyme de Sion, selon laquelle l’affaire de Damas de 1840 se fondait sur le « fait établi » que les Juifs fanatiques commettaient des crimes rituels 1.
Plus tard, la même année, un important magazine littéraire syrien publiait le « chef-d’oeuvre » suivant, qui combine plusieurs éléments de l’antisémitisme arabe contemporain, notamment l’accusation de crime rituel : Les enseignements du Talmud, imprégnés de haine et d’hostilité envers l’humanité, sont enracinés dans l’âme juive. À travers l’histoire, le monde
a connu plus d’un Shylock, plus d’un père Thomas [les Juifs de Damas furent accusés de sa mort en 1840] victime de ces instructions talmudiques et de cette haine […]. Maintenant, le temps du Shylock de New York est venu […]. Le pain azyme d’Israël continuera à être imprégné du sang que le Talmud l’autorise à verser à la gloire de l’armée juive
2.
Cette rhétorique déshumanisante et délirante, qui fait actuellement l’objet d’innombrables variations dans une grande partie de la culture arabe et musulmane, contamine lentement mais sûrement d’autres parties du monde. La mal nommée « Conférence contre le racisme » de Durban, en Afrique du Sud (qui a pris fin quarante-huit heures seulement avant l’attentat terroriste contre le World Trade Center à New York), est un cas tristement célèbre. À Durban, les organisations non gouvernementales (ONG) ont probablement donné naissance au document le plus impudemment antisémite qu’ait produit une assemblée internationale depuis 1945. Menées par les organisations arabes, palestiniennes et musulmanes, elles ont, à plusieurs reprises, accusé Israël de génocide contre le peuple palestinien, de purification ethnique et d’être un « État d’apartheid raciste ». La « catastrophe » palestinienne provoquée par les Israéliens a été qualifiée par le forum des ONG de Durban de « troisième holocauste ». Un paragraphe-
clé condamnant l’antisémitisme a été délibérément écarté des débats, mais en un acte paradoxal du plus pur style orwellien, « les pratiques sionistes contre le sémitisme » ont été hissées au rang de forme majeure de racisme contemporain
3.

1. France-Pays arabes, juillet-août 1999.
2. Al-Usbu al-Adabi, 27 novembre 1999. Article de Jbara al-Barguti, « Shylock of New
York and the Industry of Death », Washington, MEMRI (Middle East Media Research Institute), décembre 1999.
3. Arch Puddington, « The Wages of Durban », Commentary, novembre 2001. Voir également « Le pogrom de Durban », L’Arche, n° 524-525, octobre-novembre 2001, p. 78-87.

L’antisémitisme musulman : un danger très actuel 33

Ce festival d’incitation venimeuse, qui a contribué au départ des Américains,s’est bientôt répandu des salles de conférences dans la rue. Une littérature haineuse distribuée par les ONG arabes n’a pas répugné à représenter les Juifs avec les crocs dégoulinant de sang et coiffés de casques arborant des croix gammées. L’un des exemples les plus saisissants de cette orgie de
haine est probablement une brochure présentée au Centre d’exposition de Durban, montrant un portrait d’Adolf Hitler avec en légende : « Si j’avais gagné la guerre, il n’y aurait plus de… sang palestinien versé
1. »
Le « fascisme islamique » : des parallèles inquiétants à la lumière des événements du 11 Septembre La mention d’Hitler boucle la boucle et ramène à des parallèles évidents entre le nazisme et ce que j’ai appelé ailleurs le « fascisme islamique » – des similitudes qui ont pris un relief particulier après les attentats perpétrés le 11 septembre 2001 contre les tours jumelles 2.
Il y a plus d’un demisiècle,le 18 novembre 1947, Albert Speer, le plus proche confident du
Führer, écrivait dans le journal qu’il tenait à la prison de Spandau le souvenir suivant, qui semble aujourd’hui sinistrement prophétique : Je me souviens d’Hitler, à la chancellerie du Reich, regardant les films montrant Londres en flammes, l’océan de feu au-dessus de Varsovie, les convois explosant, et de la sorte de joie dévorante qui s’emparait de lui, à chaque fois. Mais je ne l’ai jamais vu aussi surexcité que lorsque, dans un délire, il imagina New York en flammes. Il décrivit les gratte-ciels transformés en gigantesques torches, leur effondrement dans le plus grand chaos et le reflet de la ville explosant dans le ciel sombre
3.
En septembre 2001, cette imagerie wagnérienne délirante est devenue réalité. Les terroristes islamiques auteurs des attentats de septembre, comme les nazis et les fascistes soixante ans plus tôt, tiennent un langage de haine inextinguible, non seulement contre l’Amérique et l’Occident,mais également contre Israël et le peuple juif 4.
Ces extrémistes musulmans

1. Voir Response, Rapport du Centre Simon Wiesenthal, automne 2001, 3-6.
2. Robert S. Wistrich, « The New Islamic Fascism », Partisan Review, 69, I, 2002, p. 32-34.
3. Albert Speer, Spandau: The Secret Diaries, New York, Macmilllan, 1976, p. 80.
4. Pour un tableau vivant du mécanisme permanent d’un anti-américanisme malfaisant
dans le monde arabe, voir Fouad Ajami, « The Sentry’s Solitude », Foreign Affairs, 80,
6, novembre-décembre 2001, p. 2-16. Ajami souligne que le terrorisme a assombri la présence américaine au Moyen-Orient dans les années 1990. Il ne traite cependant pas du violent antisémitisme qui précéda et qui fut par la suite exacerbé par la Pax Americana.

34 Revue d’histoire de la Shoah

ont délibérément choisi un culte de la mort et fait du thème du sacrifice et du martyre une chose urgente, fondamentale, pseudo-religieuse, voiremystique 1.
Leur bible peut bien être le Coran et non Mein Kampf ; les structures mentales et la conception du monde sous-jacentes à leurs actions n’en présentent pas moins des analogies frappantes avec le national-socialisme allemand 2.
Les intégristes musulmans – comme les nazis avant et pendant la Shoah – fulminent contre les « puissances anonymes » de la mondialisation et de l’Occident ploutocratique (symbolisé par le World Trade Center et la ville de New York) aussi violemment qu’ils ont combattu les bastions
du communisme soviétique en Afghanistan, il y a plus d’une décennie. À l’instar de leurs prédécesseurs totalitaires, ils affirment (de façon mensongère) parler en faveur des masses frustrées, déshéritées et défavorisées, trahies par les élites dirigeantes arabes et musulmanes, et impitoyablement exploitées par le capitalisme international. Pour les musulmans
extrémistes, le New York « juif » est, tout autant que l’État d’Israël sioniste, l’incarnation du mal satanique, de même que, pour les nazis et autres adeptes fascistes d’avant-guerre, Wall Street représentait le QG del’affreux judaïsme d’affaires cosmopolite
3.
Les théories antisémites du complot, aujourd’hui au coeur des conceptions nationalistes arabes et des théories intégristes musulmanes, associent la finance ploutocratique, la franc-maçonnerie internationale, le laïcisme, le sionisme et le communisme présentés comme de sombres forces occultes menées par la pieuvre géante du judaïsme international, dont le but serait de détruire l’islam et de corrompre l’identité culturelle des croyants musulmans 4.
À plusieurs égards, ce mode de pensée mythique est quasiment identique à celui de l’antisémitisme nazi, bien qu’il ait subi un processus

1. MEMRI n° 226, 8 juin 2001, cite le dignitaire religieux palestinien de plus haut rang,
le mufti de Jérusalem cheikh Ibrem Sabri : « Nos ennemis [Israël] pensent effrayer notre
peuple. Nous leur disons : autant vous aimez la vie, autant les musulmans aiment la mort et
le martyre. Il y a une grande différence entre celui qui aime l’au-delà et celui qui aime ce
monde-ci. Le musulman aime la mort et [lutte] pour le martyre. »
2. La constante popularité d’Hitler dans le monde arabe est, à cet égard, significative.
Voir Wistrich, Antisemitism, op. cit., p. 247. Pour un exemple récent caractéristique, voir le
chroniqueur Ahmad Ragab, « Thanks to Hitler », dans le journal égyptien subventionné par
le gouvernement, Al-Akhbar, cité par MEMRI n° 208, 20 avril 2001.
3. Voir Wistrich, Hitler’s Apocalypse, op. cit., p. 154-193, et Lewis, Semites and Antisemites,
op. cit., p. 140-163. Lewis souligne que ce furent les dirigeants arabes qui prirent
l’initiative des contacts avec l’Allemagne nazie entre 1933 et 1945.
4. On retrouve ces théories du complot dans l’ouvrage de Sayyid Qutb, l’écrivain égyptien
intégriste musulman exécuté par Nasser en 1966, qui considérait la lutte contre les Juifs
comme une guerre cosmique et essentielle pour l’islam. Voir Nettler, Past Trials and
Present Tribulations, op. cit., p. 44-57.

L’antisémitisme musulman : un danger très actuel 35

d’« islamisation » et utilise des citations des versets du Coran pour justifier de monstrueux attentats terroristes. L’islam fondamentaliste nourrit la même aspiration totalitaire pseudo-messianique à l’hégémonie mondiale que le nazisme allemand et le communisme soviétique. Appelant à l’assaut de la civilisation « judéo-croisée », il exprime une rhétorique génocidaire
latente et parfois manifeste qui fait surgir d’alarmants échos du passé
1.
Chez des groupes islamiques militants comme Al-Qaida, les talibans, le Hamas, le Hezbollah et bien d’autres, l’antisionisme antisémite fait partie intégrante de leur conception du monde nihiliste et totalitaire. Les terroristes du djihad s’adonnent à la violence, déterminés à une confrontation totale avec les infidèles, à une politique ne pouvant déboucher que sur la
victoire ou sur la mort, et ils adoptent une perspective enracinée dans une polarisation manichéenne entre les forces de la lumière et des ténèbres. Les Ben Laden de ce monde ne sont pas seulement animés par l’extrémisme fanatique – par leur aversion pour les « croisés chrétiens », les hérétiques, les dissidents, les Juifs, les femmes, et par leur rejet de l’Amérique et de la modernité occidentale en soi –, ils haïssent la civilisation d’une façon radicalement nihiliste. Il est tout à fait caractéristique de cette conception du monde que les
attentats terroristes perpétrés le 11 septembre 2001 contre les États-Unis aient été accueillis avec tant d’enthousiasme en plusieurs régions du monde musulman, notamment dans les territoires de l’Autorité palestinienne. Par exemple, le mufti de Jérusalem, dans son sermon du vendredi à la mosquée Al-Aqsa, a lancé un appel à la destruction d’Israël, de la Grande-Bretagneet des États-Unis :
Ô Allah, détruis l’Amérique, car elle est dirigée par des Juifs sionistes […]. Allah peindra la Maison-Blanche en noir
2 !
D’autres dignitaires musulmans, comme le cheikh Ibrahim Mahdi, se sont attachés principalement à faire l’éloge des « auteurs d’attentats suicides » en Israël. Dans des propos diffusés à plusieurs reprises par la télévision de l’Autorité palestinienne, Mahdi a encouragé avec enthousiasme les odieux sacrifices d’enfants qu’il a décrits comme des actes de « martyre » contre Israël : Toutes les armes doivent être dirigées contre les Juifs, contre les ennemis
d’Allah, la nation maudite dans le Coran, que le Coran décrit comme des


1. Voir Yediot Aharonot, 28 décembre 2001, p. 10-13, 28-29, pour un débat de grande
envergure auquel l’auteur a participé.
2. Response, automne 2001, p. 9.

36 Revue d’histoire de la Shoah

singes et des porcs […]. Nous les ferons exploser à Hédéra, nous les ferons exploser à Tel-Aviv et à Netanya […]. Nous bénissons tous ceux qui éduquent leurs enfants dans la voie du djihad et du martyre 1.
L’actuelle vague d’attentats suicides, d’israélophobie et de terrorisme musulmans rencontre une résonance extrêmement forte chez la plupart des Palestiniens et chez un grand nombre d’Arabes et de musulmans. L’antisémitisme islamique se répand également à une vitesse vertigineuse parmi les immigrants musulmans et arabes dans les démocraties occidentales. Ces
immigrants transportent déjà avec eux le bagage antisémite de leur pays et de leur culture d’origine, alourdi par l’intense couverture médiatique du conflit du Moyen-Orient. En septembre et octobre 2000, ce phénomène a abouti à une recrudescence alarmante des agressions antisémites de la part de musulmans et d’Arabes contre les communautés juives de la diaspora,
notamment en Europe, avec des incendies de synagogues, des profanations, des attaques
physiques, des lettres piégées et une violence verbaledes plus intimidantes
2.
Ces agressions ont pris les proportions d’une quasiépidémie en France, pays qui compte une forte population musulmane (environ six millions, principalement des immigrants maghrébins) et unecommunauté juive importante mais bien plus réduite – environ 600 000 Juifs 3.
La dangereuse combinaison d’un antisionisme radical (dérivant dangereusement vers
l’antisémitisme dans les médias français de gauche)et de la judéophobie islamiste des immigrants musulmans a sérieusement alarmé les Juifs de France
4.
En Grande-Bretagne également, l’émergence d’un modèle similaire d’antisémitisme musulman
inquiète de plus en plus les Juifs (déjà alarmés par les coups portés à Israël par les médias britanniquesde centre gauche)
5.
Les répercussions antisémites des attentats terroristes puis l’alerte à l’anthrax ont constitué un indice révélateur de l’intensité de la haine des Arabes musulmans envers l’Amérique, Israël et les Juifs. Au début, les Arabes musulmans ont réagi par des célébrations et des manifestations de joie particulièrement véhémentes dans les milieux intégristes, devant

1. Cité par L’Arche, octobre-novembre 2001, p. 66. « Cette guerre se poursuivra, de plus
en plus violente, jusqu’à ce que nous ayons vaincu les Juifs. »
2. Raphael Israeli, « Anti-Semitism Revived: The Impact of the Intifada on Muslim
Immigrant Groups in Western Democracies », Jerusalem Viewpoints n° 455, 1er juin 2001,
publié par le Jerusalem Center for Public Affairs.
3. Voir Actualité juive, n° 733, 17 janvier 2002, p. 6, 9-11, 22-24, 31-32, pour les différents
points de vue – israélien, français et juif français – sur la recrudescence de l’antisémitisme
en France.
4. Emmanuel Navon, « Pardon My French », Jerusalem Post, 29 janvier 2002.
5. David Landau, « Jewish Angst in Albion », Haaretz, 23 janvier 2002.

L’antisémitisme musulman : un danger très actuel 37

« l’arrogance, la tyrannie et la vantardise » américaines foulées aux pieds 1.
Le journal des Frères musulmans publié en Égypte a salué avec enthousiasme Oussama Ben Laden comme « un héros au plein sens du terme » et prié instamment pour que, par la suite, ses partisans détruisent « l’Amérique et sa “justice infinie 2”. »
Un autre hebdomadaire égyptien s’est réjoui de ce que « l’Amérique soit en voie d’effondrement, comme tous les empires d’oppression à travers l’histoire 3 ». Comme on pouvait le lire dans Al-Ahram al-Arabi le 4 octobre 2001, l’Amérique goûtait finalement le poison de sa propre oppression implacable et, avec l’effondrement de « la ville de la mondialisation », c’est-à-dire New York, on pouvait
prédire avec certitude « l’enterrement de la théorie de la mondialisation

4 ».
L’hebdomadaire panarabe d’opposition Al-Usbu a précisé sans ambiguïté qu’il ne saurait éprouver de sympathie pour l’Amérique dans l’affliction, et un chroniqueur qui avait observé le brasier à New York a reconnu que ces instants d’« intense enfer incandescent » avaient été « les moments les plus précieux de [s]a vie 5 ».
Un hebdomadaire nassérien exprima une satisfaction non dissimulée pour le fait que « les Américains goûtent enfin l’amertume de la mort 6 ». 7 ».
Pour les Frères musulmans, l’attentat terroriste n’était rien moins qu’un « châtiment divin », en premier lieu parce que les Américains « préféraient les singes [c’est-à-dire les Juifs] aux êtres humains, méprisaient les êtres humains hors des États-Unis et étaient en faveur des homosexuels et de l’usure 8 ».

1. Article d’opinion « To Anthrax » in Al-Risala, 7 novembre 2001, par le chroniqueur
Atallah Abu al-Subh. L’hebdomadaire du Hamas dans lequel est paru cet article a son siège
à Gaza.
2. Ahmad al-Magdoub in Afaq Arabiya, 26 septembre 2001, MEMRI n° 281, 4 octobre 2001.
3. Rédacteur en chef Issam al-Ghazi, Al-Maydan, 24 septembre 2001. Il s’agit d’un hebdomadaire égyptien indépendant, cf. MEMRI n° 281.
4. Cf. MEMRI n° 281.
5. Cf. MEMRI n° 274, 21 septembre 2001. Voir l’article du rédacteur en chef adjoint Magdi Shandi et notamment, le 17 septembre, celui du chroniqueur Muhammad Mustagab.
6. Al-Arabi, 16 septembre 2001. Article du chroniqueur Ahmad Murad.
7. Salim ’Azzouz, Al-Ahrar, 17 septembre 2001.
8. Ammar Shammakh dans le journal égyptien Afaq Arabiya, 19 septembre 2001, cf.MEMRI n° 281.

38 Revue d’histoire de la Shoah

« symboles mythologiques de l’arrogante puissance impérialiste américaine » et le coup porté, pensaient-ils, au nom des musulmans engagés dans les combats en Palestine, en Irak, au Cachemire et dans d’autres points chauds de la planète. Mais, non moins promptement, dans la société musulmane et arabe, la responsabilité des attentats terroristes et de l’utilisation de l’anthrax fut rejetée sur les sionistes, le gouvernement israélien et le Mossad.
Une source sûre cite l’ambassadeur syrien à Téhéran : « Les Israéliens étaient impliqués dans ces incidents et aucun employé juif n’était présent ce jourlà dans le bâtiment du World Trade Center
1. » Selon l’organe gouvernemental syrien Al-Thawra, le Premier ministre israélien, Ariel Sharon, cherchait ainsi à détourner l’attention des plans d’agression qu’il avait dressés contre les Palestiniens 2.
Il aurait suscité cette occasion en or afin de causer le préjudice maximum et de provoquer un schisme profond dans les relations arabo-américaines 3.
Le 13 septembre 2001, dans le journal jordanien Al-Dustour, un article affirmait que l’attentat contre les tours jumelles était en fait « l’acte du grand cerveau juif sioniste qui contrôle l’économie, les médias et la politique du monde » et que le complot diabolique menait rapidement le monde à une catastrophe générale 4.
Dans ce même numéro, un négationniste libano-jordanien mettait les Arabes en garde contre « la marque judéo-sioniste que porte ce terrible événement » ; un autre chroniqueur jordanien mit en relief l’opinion régnante selon laquelle « Israël est le seul […] à tirer un grand profit de
l’abominable et sanglante opération terroriste
5 ».
Pour le cheikh égyptien Mohammad al-Gamei’a, ancien imam du Centre culturel islamique et de la
mosquée de New York, il ne faisait aucun doute que les Juifs étaient derrière les attentats terroristes de septembre : « L’élément juif est tel qu’Allah le décrit […]. Nous savons qu’ils ont toujours rompu les accords, assassiné les prophètes et trahi la foi
6. »
La théorie selon laquelle le Mossad, les services israéliens du renseignement, était l’auteur de l’attentat

1. Tehran Times, 25 octobre 2001. Agence de presse de la République islamique,24 octobre 2001.
2. Al-Thawra, 19 septembre 2001.
3. Amayma Abdel-Latif, Al-Ahram Weekly Online, 27 septembre-3 octobre 2001.
4. Ahmad al-Muslih, in Al-Dustour, 13 septembre 2001, MEMRI n° 270, 20 septembre 2001.
5. MEMRI n° 270. Article de Hayat al Hweiek ‘Atiya et Rakan al-Majali qui ont ajouté que les Juifs, plus que n’importe qui d’autre, « sont capables de dissimuler un acte criminel qu’ils ont perpétré en étant certains que personne ne leur demandera des comptes ».
6. Interview pour le site internet de l’Université Al-Azhar, www.lilatalqadr.com,
MEMRI n° 288, 17 octobre 2001.

L’antisémitisme musulman : un danger très actuel 39

contre les tours jumelles a remporté un succès tout particulier dans le Pakistan musulman. Le général Hamid Gul, ancien chef des services de renseignement du Pakistan, est catégorique :
Je vous le dis, c’était un coup [d’essai], et je ne peux pas dire avec certitude qui était derrière, mais ce sont les Israéliens qui ont créé tant de malheurs dans le monde. Les Israéliens ne veulent voir aucune puissance à Washington à moins qu’elle ne soit soumise à leurs intérêts, et le Président Bush ne s’est pas soumis
1.
À l’appui de la théorie du complot sioniste, le Jihad Times de Lahore et d’autres médias pakistanais ont inlassablement repris la légende selon laquelle les quelque 4 000 Israéliens et Juifs travaillant au World Trade Center avaient reçu une directive secrète du Mossad de ne pas se présenter au travail le 11 septembre. Les attentats auraient été ordonnés par les
« Sages de Sion » en réplique au traitement subi par Israël à la troisième conférence de l’ONU contre le racisme à Durban
2.
De façon assez étonnante, d’après les sondages d’opinion réalisés auprès des Pakistanais en octobre 2001, plus des deux tiers de la population reconnaissaient qu’il était « possible » que les Juifs aient été prévenus de ne pas se rendre au travail le 11 septembre 3.
Un nombre comparable croyaient à l’évidence que le sionisme mondial était à l’origine de l’attentat. Ils étaient convaincus que les Juifs contrôlaient la façon dont les médias avaient traité des événements et avaient imposé la « campagne de calomnies contre les musulmans ».
L’idée que les Juifs d’aujourd’hui exercent une « dictature sur les médias », qu’ils cherchent délibérément à empoisonner les relations entre l’islam et l’Occident, s’est largement répandue dans de nombreux milieux musulmans. Encore plus populaire est l’idée que les Juifs manipulent les médias en général, notamment aux États-Unis
4.
Le Iran Daily a ainsi affirmé que, depuis le 11 Septembre, l’Occident avait été submergé par la
propagande des « milieux sionistes » [qui], sans qu’on puisse les arrêter,
diffusent leur profond mépris de l’islam
5 ».

1. Interview avec Rod Nordland, Newsweek, 14 septembre 2001.
2. « Zionists Could Be Behind Attack on WTC and Pentagon », 14 octobre 2001, sur le
site internet www.islamweb.net/english. Les « faits » traités dans cet article proviennent du
Pakistan, bien que le site soit enregistré au ministère des dotations et des Affaires religieuses du Qatar.
3. Washington Post, 13 octobre 2001. Le site internet www.Paknews.com a commandé ce sondage d’opinion.
4. Arab News.Com, quotidien saoudien en langue arabe, daté du 5 novembre 2001, article de Hassan Tahsin.
5. Iran Daily, 29 octobre 2001.

40 Revue d’histoire de la Shoah

L’Association des journalistes palestiniens a insisté elle aussi sur le fait
que les médias occidentaux étaient entièrement sous la coupe de la finance
internationale et des Juifs sionistes
1.
Le site internet du Service palestinien de l’information est même allé plus loin et a déclaré que les Juifs exerçaient un monopole total sur les actualités aux États-Unis. Une petite minorité a « la possibilité de modeler notre esprit pour l’adapter à leurs propres intérêts
talmudiques [… Ils ont] une influence décisive sur notre système politique [américain] et le quasi-contrôle des esprits et des âmes de nos enfants, dont les attitudes et les idées sont davantage façonnées par la télévision juive et les films juifs que par leurs parents, leurs écoles ou toute autre influence
2 ».
L’Autorité palestinienne, comme les Saoudiens et les Égyptiens, a fulminé lorsque le maire non juif de New York, Rudolph Giuliani, a rejeté l’offre éminemment politique du prince saoudien Al-Walid bin Talal d’apporter une assistance financière à la ville de New York. Non seulement
le prince saoudien lui-même, mais le Président égyptien Hosni Moubarak se sont publiquement plaints de la puissance du lobby juif en Amérique et de son « soutien aveugle » à Israël concernant le terrorisme et les questions s’y rapportant. Al-Hayat al-Jadida s’est joint au choeur et a accusé le maire Giuliani de « haïr les Arabes », tandis qu’un important journal saoudien le traitait de « Juif » qui sacrifiait le bien public et les intérêts américains à
son profit personnel
3.
Les théories anti-israéliennes et antisémites du complot, qui se sont intensifiées dans le monde arabe et musulman depuis le 11 Septembre, ne sont pas nouvelles en elles-mêmes. Mais elles révèlent un mélange éminemment explosif d’anti-occidentalisme, de fanatisme idéologique, de haine à l’état pur et d’irrationalité qui sous-tend une tendance significative de la pensée musulmane contemporaine. Dans l’attitude envers les Juifs en particulier, caractérisée par un langage véhément et l’insistance sur les « solutions radicales », on retrouve d’inquiétantes réminiscences des années 1930 et 1940. On l’a vu, les stéréotypes antisémites sont tout aussi
fréquents en Jordanie et en Égypte, pays qui ont signé des traités de paix avec Israël, qu’en Syrie, dans les territoires de l’Autorité palestinienne, en Arabie Saoudite ou dans d’autres États du Golfe. Les exemples abondent et pourraient être cités à n’en plus finir. En janvier 2000, dans Tishrin, un


1. Agence de presse de la République islamique, 25 octobre 2001.
2. Revue de presse quotidienne palestinienne, 24 septembre 2001.
3. Hadez al-Barghouthi, rédacteur en chef de Al-Hayat al-Jadida, 17 octobre 2001 ;
également le chroniqueur Mahmoud bin Abd al-Ghani Sabbagh dans le journal saoudien Al-
Riyadh, 15 octobre 2001, MEMRI n° 291, 25 octobre 2001.

L’antisémitisme musulman : un danger très actuel 41

quotidien gouvernemental syrien, le rédacteur en chef Mohamed Kheir al-Wadi considérait comme allant de soi l’idée que « le sionisme a créé le mythe de l’Holocauste pour exercer un chantage sur les intellectuels et hommes politiques du monde et les terroriser 1 ».
Un mois plus tard, l’éditorial d’un autre journal syrien contrôlé par le gouvernement, Al-
Thawra, rédigé par Muhammad Ali Bouzha, présentait ceci comme une évidence :
Israël s’est révélé comme une entité imprégnée de racisme, de haine et de terrorisme d’État, qui a même surpassé les nazis par ses actes criminels de meurtre, de destruction et de dévastation, et par son mépris de l’humanité
2.
Parfois également, le négationnisme est amalgamé au mythe selon lequel « le sionisme est du nazisme », comme dans cette réaction de la radio d’État syrienne, fin février 2000, à une sévère mise en garde adressée depuis la tribune de la Knesset par David Lévy, ministre israélien des Affaires étrangères de l’époque, demandant au Liban de maîtriser le Hezbollah. La radio syrienne s’empressa d’accuser Israël de « jouer le rôle des bourreaux nazis qui, selon les sionistes, brûlèrent des Juifs à Auschwitz ». Le 28 février 2000, la télévision d’État libanaise reprit cette propagande syrienne en diffusant une publicité montrant des images des victimes des attaques de Tsahal au Liban juxtaposées à celles de camps de concentration nazis, auxquelles succédaient le commentaire suivant :
« Même haine, même racisme, même criminalité, même histoire
3. »
Dans les États du Golfe également, la déclaration de Lévy a été considérée
comme une preuve que « le sionisme était issu du nazisme
4 ».
Malgré ses efforts pour parvenir à la paix, le Premier ministre israélien Ehud Barak – comme ses prédécesseurs moins conciliants Begin, Shamir et Nétanyahou, ou Ariel Sharon aujourd’hui – s’est vu représenté en uniforme nazi avec une croix gammée en brassard 5 ; lorsque des avions de

1. Voir l’éditorial de Tishrin du 31 janv. 2000.
2. Éditorial d’Al-Thawra du 22 février 2000. Commentaire quotidien à la radio syrienne,
24 février 2000. Voir également Al-Baath, 10 février 2000. « Tous ceux qui ont vu Lévy à
la télévision menacer le Liban se sont rappelé la période nazie. »
3. Séquences de la télévision libanaise du 28 février 2000 juxtaposant le discours de
David Lévy à la Knesset menaçant de « brûler le sol du Liban » (en représailles des attentats
du Hezbollah) et les rassemblements nazis organisés par Hitler.
4. Al-Ittihad (quotidien des Émirats arabes unis), 25 février 2000.
5. Cf. caricature dans l’article de Joël Kotek dans ce numéro.