42 Revue d’histoire de la Shoah
guerre israéliens bombardèrent le Liban, comme on pouvait s’y attendre,
Al-Watan titra : « Au Liban, Israël se comporte comme les nazis 1. »
Il n’a pas non plus été très surprenant de découvrir qu’au tournant du
millénaire, en dépit du traité de paix signé en 1979 avec l’État juif, l’israélophobie
et l’antisémitisme étaient également présents dans les médias
égyptiens. Des comparaisons établies entre Israël et les nazis, le négationnisme
et des accusations médiévales de crime rituel apparaissent régulièrement
dans la presse gouvernementale (y compris dans les principaux
quotidiens Al-Ahram et Al-Gomhuria, ainsi que le magazine populaire
October) aussi bien que dans les journaux d’opposition de gauche, nassériens
et intégristes. Pire encore, des dessins humoristiques défigurent constamment
les Juifs.
Ils sont presque toujours sales, dotés d’un nez crochu,
avares, vindicatifs, intrigants et cruels 2. Ces stéréotypes visuels et verbaux
extrêmement hostiles dans un pays encore considéré comme le centre du
monde arabe – qui plus est dont les journaux, magazines et livres contribuent
à former une opinion publique dans la région – sont à la fois dangereux
et alarmants.
Mensonges antisémites : des empoisonneurs
aux corrupteurs d’enfants
Les exemples de mensonges antisémites sont véritablement innombrables
et invariablement scandaleux. Israël est ainsi accusé à plusieurs
reprises par des sources d’information égyptiennes (et jordaniennes) de
distribuer des chewing-gums et des bonbons contenant une substance
destinée à corrompre sexuellement les femmes et à tuer les enfants. Dans
une série d’articles, Al-Ahram, le principal quotidien gouvernemental en
Égypte, expose avec force détails comment les Juifs utilisent le sang des
1. Al-Watan (quotidien qatari semi-indépendant), 21 février 2000. Cette documentation
a été réunie en partie par l’Anti-Defamation League. Voir le dossier d’information de l’ADL
de mars 2000 intitulé « Anti-Semitism and Demonization of Israel », janvier-février 2000.
2. Anti-Semitic images in the Egyptian Media, New York, Anti-Defamation League,
2001. Sur l’extraordinaire fréquence des attitudes antijuives dans l’ensemble de l’éventail
politique en Égypte, voir Rivka Yadlin, An Arrogant Oppressive Spirit: Anti-Zionism as
Anti-Judaism in Egypt, Oxford/New York, Pergamon, 1989. R. Yadlin démontre l’amalgame
des Juifs et des sionistes dans les écrits égyptiens contemporains. « Les traits abominables
exprimés dans le comportement d’Israël sont perçus comme inhérents à l’être juif.
Ils sont hérités au sein de la communauté juive et sont ainsi partagés par tout Israël ainsi que
par les autres Juifs », ibid., p. 105. Le sionisme, dans son sens le plus profond, est considéré
comme « l’essence du judaïsme ».
L’antisémitisme musulman : un danger très actuel 43
Gentils pour fabriquer des pains azymes à Pâque. Écrivant dans Al-Akhbar,
un intellectuel égyptien explique que le Talmud (présenté comme le
deuxième livre saint des Juifs) « établit que les pains azymes du jour du
Grand Pardon [sic] doivent être pétris “avec du sang” de non-Juifs, de
préférence avec du sang d’adolescents après qu’ils aient été violés 1 ».
C’était un thème favori du défunt roi d’Arabie Saoudite Faysal qui non
seulement insistait sur le fait que les Juifs se livraient au meurtre rituel
d’enfants, mais affirmait que cela prouvait « l’intensité de leur haine et de
leur malveillance à l’égard des non-Juifs 2 ». À la veille du nouveau millénaire,
l’hebdomadaire des écrivains arabes à Damas remit au goût du jour
l’accusation de crime de sang par la trouvaille littéraire suivante :
Le pain azyme [de Pâque] est imprégné du sang des Irakiens, descendants
des Babyloniens, des Libanais, descendants des Sidoniens et des
Palestiniens, descendants des Cananéens. Ce pain azyme est pétri par
l’armement et les missiles de haine américains visant les Arabes aussi bien
musulmans que chrétiens 3.
Le premier jour du troisième millénaire chrétien, l’hebdomadaire syrien
intensifia encore ses attaques israélophobes contre les « tristement célèbres
accords de Camp David » et les « sordides méthodes sataniques employées
[par l’entité sioniste…] pour détruire la structure de la société
égyptienne ». Ces méthodes « sionistes » comprenaient la diffusion du sida
parmi les jeunes Arabes par l’envoi « de jolies prostituées juives séropositives
en Égypte et la distribution de chewing-gum stimulant la
concupiscence 4 ». Cette absurde calomnie – abondamment diffusée parmi
les Égyptiens et les Palestiniens – a sans doute constitué un argument de
plus pour les Syriens opposés à toute « normalisation » avec Israël.
L’Occident a eu par la suite un aperçu bien trop rare du violent sectarisme
antijuif si répandu dans le monde arabe lorsque le jeune Président
syrien Bachar al-Assad, a accueilli le pape Jean-Paul II lors d’une visite
historique effectuée à Damas au début du mois de mai 2001. L’hôte syrien
a fait de son mieux pour amalgamer en une seule phrase le coeur même du
1. Mahmoud al-Said al-Kurdi, Al-Akhbar, 25 mars 2001.
2. Al-Musawwar, 4 août 1972, p. 13.
3. Zbeir Sultan, « The Peace of Zion » in ibid., 1er janvier 2000, MEMRI n° 67, 6 janvier
2000.
4. Ibid. Voir également Al-Ahram, 29 avril 2001, qui rappelle les « révélations » de
Muammar Kadhafi selon lesquelles des infirmières étrangères auraient inoculé le virus du
sida à des enfants libyens. Le gouvernement se fait quotidiennement l’écho d’accusations
émanant de personnes qui affirment que la CIA ou le Mossad israélien sont derrière ce crime.
44 Revue d’histoire de la Shoah
message des judéophobies chrétienne européenne et islamique. Ce fut une
mémorable prouesse de diffamation gratuite :
Ils [les Israéliens et les Juifs] tentent de tuer tous les principes des
religions divines avec la même mentalité qui leur a fait trahir et supplicier
Jésus, et de la même façon qu’ils ont tenté de tromper le prophète
Mahomet 1.
Le venin antijuif qui venait si naturellement aux lèvres d’Assad fait
désormais partie intégrante du programme éducatif de l’Autorité palestinienne.
Dans les manuels scolaires palestiniens d’aujourd’hui, la référence
aux Juifs est infime, si ce n’est pour établir des généralisations péjoratives
leur attribuant des traits de caractère comme la ruse, l’avidité et la barbarie.
Ces manuels insinuent également que les Juifs n’ont jamais respecté les
accords au contraire des musulmans 2. La relation des Juifs à la Terre sainte
est généralement niée ou bien réduite à l’Antiquité et pratiquement ignorée
après l’époque romaine. On ne trouve aucune référence aux lieux saints
juifs ou à un lien quelconque entre les Juifs ou le judaïsme et la ville de
Jérusalem 3. L’hébreu n’est même pas considéré comme une des langues
du pays, et le sionisme n’est mentionné que dans le contexte d’une intrusion,
invasion ou infiltration étrangère. L’État d’Israël ne fait l’objet
d’aucune reconnaissance et son territoire internationalement reconnu n’est
mentionné qu’en termes de « l’intérieur » ou de « terres de 1948 ». Par
définition, l’État juif est présenté comme un usurpateur et un occupant
colonialiste 4. Brutal, inhumain et avide, il est tenu pour seul responsable
de l’effacement de l’identité nationale palestinienne, du démantèlement de
l’économie palestinienne et de l’expropriation des terres, de l’eau et des
villages palestiniens 5.
Dans les manuels scolaires palestiniens, les cartes, sans exception,
ignorent l’existence d’Israël et de ses 5,5 millions d’habitants. La Palestine
qui s’étend du Jourdain à la Méditerranée est présentée comme purement
et exclusivement arabe 6. L’image générale qui se dégage est que les Juifs,
le sionisme et Israël n’ont aucun droit légitime sur la terre arabe et musul-
1. Agence de presse syrienne, 5 mai 2001.
2. Jews, Israel and Peace in Palestinian School Textbooks, 2000-2001 and 2001-2002,
New York, Center for Monitoring the Impact of Peace, 2001, p. 22-25. Document traduit en
français (n.d.t.).
3. Ibid., p. 17. Voir également dans ce numéro l’article de Yohanan Manor (NDLR).
4. Ibid., p. 35.
5. Ibid., p. 28-29 et 34-40.
6. Ibid. p. 42.
L’antisémitisme musulman : un danger très actuel 45
mane appelée Palestine, pas plus que les Juifs n’ont de lien historique avec
Jérusalem. Les lieux saints chrétiens et musulmans sont évoqués, mais on
ne trouve aucun lien entre les Juifs et la cité de David ou le site du temple
de Salomon. Si cette falsification historique ne suffisait pas, on trouve
l’affirmation tout aussi absurde que, historiquement, les Arabes palestiniens
(prétendument descendants des Cananéens) précédèrent les Juifs
dans le pays d’Israël.
Il n’est donc pas surprenant de découvrir des auteurs musulmans
comme Safi Naz Kallam, abondamment cité dans le journal officiel de
l’Autorité palestinienne, affirmer qu’« il n’y a ni peuple ni pays appelé
Israël », mais seulement des voleurs sionistes indignes de créer une nation
ou d’avoir leur propre langue ou religion ; ou de lire que les Juifs sont
calomniés comme des « Shylock de la terre », affairés à vider les poches
des Palestiniens 1 ; ou d’apprendre qu’un plan d’expansion sioniste de plus
grande ampleur gravé dans la pierre a précédé les Protocoles des Sages de
Sion rédigés par Herzl (sic) en 1897 2. Naturellement, le thème de l’expansion
sioniste est rarement évoqué sans référence aux péchés de racisme, de
colonialisme et de nazisme. Al-Hayat al-Jadida ne manque ainsi jamais de
rappeler à ses lecteurs que « l’entité sioniste raciste s’est livrée quotidiennement
à diverses formes de terrorisme qui sont une répétition de la terreur
nazie 3 ». L’« occupation colonialiste de la Palestine par Israël » est impitoyablement
décrite par le directeur général du service d’information de
l’Autorité palestinienne comme une « offensive talmudique qui déchire les
pages du Coran et offense le premier des prophètes, Mahomet, que la bénédiction
d’Allah l’accompagne, et la sainte Vierge, mère du Christ 4 ».
Ces dernières années, les responsables religieux, les intellectuels et les
écrivains palestiniens n’ont pas hésité à occulter ou à déformer la réalité
historique de la Shoah, tout en accusant le sionisme d’être l’héritier du
nazisme. Un article de Hiri Manzour paru le 13 avril 2002 dans l’organe
officiel palestinien affirme que « le chiffre de six millions de Juifs incinérés
dans les camps nazis d’Auschwitz est mensonger », et que cette mise
en scène a été encouragée par les Juifs dans le cadre de leur « opération de
marketing » international 5. La technique du « gros mensonge » d’abord
1. Al-Hayat al-Jadida, 5 novembre 1997.
2. Ibid., 30 novembre 1997.
3. Ibid., 3 septembre 1997.
4. Ibid., 7 juillet 1997.
5. Ibid., 13 avril 2001. L’article de Hiri Manzour, publié le Jour du souvenir de la Shoah
commémoré en Israël, fut, de manière provocante, intitulé « The Fable of the Holocaust »
pour le rendre le plus offensant possible.
46 Revue d’histoire de la Shoah
mise au point par Hitler et Goebbels ne se limite cependant pas aux sujets
liés à la Shoah. Ainsi, des responsables palestiniens ne répugnent pas à
avancer les allégations les plus bizarres et les plus diffamatoires sur les
« crimes contre l’humanité » israéliens.
Le 17 mars 1997, à la Commission des droits de l’homme de l’ONU à
Genève, Nabil Ramlawi a stupéfait les délégués en déclarant que « les
autorités israéliennes […] avaient inoculé le virus du sida à 300 enfants
palestiniens pendant les années d’Intifada ». Non moins mensongèrement,
le commandant du service de sécurité palestinien à Gaza a accusé Israël
d’encourager « de jeunes Juives russes atteintes du sida à diffuser la
maladie parmi les jeunes Palestiniens 1 ». Abdel Hamid al-Quds, le responsable
de l’approvisionnement dans l’Autorité palestinienne, a même eu
l’effronterie d’informer le quotidien israélien Yediot Aharonot que :
Israël distribue des vivres contenant une substance provoquant le cancer,
des hormones préjudiciables à la virilité, ainsi que des produits
alimentaires avariés[…] afin d’empoisonner la population palestinienne
et de lui nuire 2.
Dans la même veine, Souha Arafat, l’épouse du président de l’Autorité
palestinienne, lors d’une conférence de presse en présence d’Hillary
Clinton (alors femme du président des États-Unis), a accusé Israël
d’empoisonner l’air et l’eau des Palestiniens. Au Forum économique
mondial de Davos, en 2001, Yasser Arafat lui-même a scandalisé son
public en soutenant devant le ministre israélien des Affaires étrangères
Shimon Pérès avec insistance qu’Israël utilisait des armes à l’uranium
appauvri et des gaz neurotoxiques contre les civils palestiniens. De brefs
films de la télévision officielle de l’Autorité palestinienne ont été réalisés
pour montrer de prétendues victimes agitées de convulsions et prises de
vomissements. Dans d’autres cas, l’on voyait des scènes de viol et de
meurtre censés avoir été perpétrés par des soldats israéliens, et « rejouées »
pour les caméras 3. De telles incitations à l’antisémitisme et de telles falsifications
ne devraient pas être minimisées ou réduites à un simple phénomène
annexe de la lutte politique palestinienne contre l’occupation
israélienne, comme le fait actuellement l’opinion publique. Depuis la
dernière Intifada, il est évident que les revendications palestiniennes,
1. Ibid., 15 mai 1997.
2. Yediot Aharonot, 25 juin 1997.
3. Fiamma Nirenstein, « How Suicide Bombers Are Made », Commentary, septembre
2001, p. 53-55.
L’antisémitisme musulman : un danger très actuel 47
arabes et musulmanes contre l’État juif ne pourront être satisfaites par des
concessions territoriales et politiques de la part d’Israël.
Non seulement l’antagonisme est bien plus profond et va bien au-delà
de la question des « implantations », mais il concerne le projet national juif
tout entier, l’existence même d’Israël au Moyen-Orient, le rejet de ce que
le grand philosophe humaniste et moraliste qu’est Saddam Hussein a
appelé à plusieurs reprises « la criminelle entité sioniste ». Nous devons
reconnaître qu’a surgi une culture de haine devenue une fin en soi, plutôt
qu’une forme de politique par d’autres moyens.
Israël, « abstraction diabolique »
Dans la configuration arabe actuelle, Israël n’est pas seulement un autre
visage du racisme ou du nazisme européen, il est en fait « doublement
nazi 1 ». Pour cet autre moraliste politique de renom qu’est le président
syrien Assad, Israël s’avère « plus raciste que les nazis ». Fiamma Nirenstein
a crûment résumé la situation réelle de la façon suivante :
Israël s’est transformé en rien moins qu’une abstraction diabolique, pas
du tout en un pays, mais en une force malfaisante incarnant tous les
attributs négatifs possibles – agresseur, usurpateur, pécheur, occupant,
corrupteur, infidèle, assassin, barbare […]. Le sentiment primaire produit
par ces caricatures est bien rendu par le dernier tube en vogue au Caire,
à Damas et dans le secteur est de Jérusalem, intitulé : « Je hais Israël 2 ».
Cette terrifiante image de l’État juif incarnation de la malfaisance
encourage naturellement l’idée que tous les Juifs d’Israël devraient être
anéantis. Sur un sol ainsi fécondé par la démonologie, le culte du martyre
prospère plus aisément et se dépouille de ses dernières inhibitions morales.
Les dignitaires intégristes musulmans jouent un rôle particulier dans ce
cycle diabolique d’incitation. En juin 2001, la télévision de l’Autorité
palestinienne a diffusé le sermon du cheikh Ibrahim Mahdi bénissant
« quiconque a mis une ceinture d’explosifs sur son corps ou sur ses fils
avant de se précipiter au milieu des Juifs 3 ». Il existe littéralement
plusieurs milliers de sermons de ce genre prêchant la violence contre les
Juifs. Tout aussi horrifiante est la façon dont les journalistes arabes et
1. Ibid., p. 54. L’expression « doublement nazi » est employée par un chroniqueur du
journal égyptien Al-Arabi en mai 2001.
2. Ibid.
3. Ibid., p. 55.
48 Revue d’histoire de la Shoah
palestiniens applaudissent de manière extatique les auteurs d’attentats
suicides qui causent la mort d’Israéliens innocents en même temps que la
leur. D’après les sondages d’opinion, ces terroristes bénéficient du soutien
moral de plus des trois quarts des Palestiniens. Le djihad contre Israël est
cependant considéré, par les islamistes en particulier, non seulement
comme une bataille militaro-politique pour l’inaliénable « sol sacré
musulman » (Waqf) de Palestine, mais également comme une lutte contre
une force bien plus puissante, qu’il s’agisse de l’Amérique ou du pouvoir
occulte des Juifs.
Pour le dirigeant du Hezbollah au Liban, l’ayatollah Fadlallah, l’État
d’Israël n’est que le bras militaire d’une conspiration juive bien plus
globale, le noyau de la domination économique et culturelle des Juifs ;
selon Fadlallah, il existe un « mouvement juif mondial qui s’emploie à
priver l’islam de ses positions de force actuelles » ; les Juifs souhaitent
contrôler le potentiel économique et les ressources du monde islamique,
l’affaiblir spirituellement sur la question de Jérusalem, et géographiquement
sur celle de la Palestine 1. Pour Fadlallah, il s’agit d’un combat pour
la culture même, bien plus que pour la terre palestinienne ou pour Jérusalem.
C’est là une vision manichéenne, apocalyptique du conflit. Comme
l’explique Martin Kramer, c’est « un point de vue présentant le musulman
et le Juif enfermés dans une confrontation totale qui se poursuivra jusqu’à
la soumission complète de l’une des parties par l’autre 2 ».
Aux yeux des islamistes, tout accord de paix avec Israël soumettrait fatalement
le monde musulman à une domination juive totale. Selon le porteparole
du Hamas Ghosheh, si l’on parvenait un jour à un compromis entre
Arabes et Israéliens, « Israël dominerait la région comme le Japon domine le
sud-est asiatique, et les Arabes deviendraient tous des employés des Juifs 3 ».
Le spectre d’une « domination juive » qui est sous-jacent à l’antisémitisme
islamique contemporain s’intègre dans une vision globale d’une conspiration
juive mondiale. C’est un point de vue qui n’a cessé de se renforcer
depuis la cuisante défaite arabe infligée par Israël en 1967. Cette humiliation
ne fut pas seulement un coup porté à la fierté, au machisme et à l’ambition
nationale des Arabes ; elle refléta également pour de nombreux musulmans
une crise de l’islam, d’une société léthargique et arriérée et d’une culture
vaincue par un ennemi puissant, moderne, doté d’une technologie de pointe et
1. Martin Kramer, « The Salience of Islamic Fundamentalism », Institute of Jewish
Affairs, n° 2, octobre 1995, p. 5-6.
2. Ibid., p. 6.
3. Ibid., p. 8.
L’antisémitisme musulman : un danger très actuel 49
hautement déterminé. Le nationalisme laïque panarabe et le socialisme arabe
qui avaient prévalu jusque-là furent en partie discrédités. En lieu et place,
apparut une nouvelle tendance pour laquelle l’islam était engagé dans un
combat décisif pour la civilisation 1. Israël fut alors frappé d’anathème, en tant
que partie intégrante d’un Occident puissant et dominant. En un écho d’une
rhétorique néo-marxiste, les « envahisseurs sionistes » furent perçus comme
des colonisateurs blancs menaçant l’identité culturelle de l’islam même.
Peu après la défaite arabe de juin 1967, les intégristes les plus
convaincus exacerbèrent et affûtèrent l’image traditionnelle du sionisme et
des Juifs pour en faire quelque chose de si ignoble et de si pervers qu’ils ne
pouvaient mériter qu’une éradication totale 2. Pour être précis, l’antisémitisme
musulman arabe de la fin des années 1960 était déjà génocidaire dans
ses implications. Quasiment tous les théologiens arabes réunis au Caire en
1968 présentèrent les Juifs comme des « ennemis de Dieu » et des
« ennemis de l’humanité » ; comme une racaille criminelle et non comme
un peuple ; leur État fut considéré comme le summum illégitime de caractéristiques
censées être immuables et à jamais dépravées. Comme le
montraient amplement leurs livres saints, « le mal, la méchanceté, la violation
des serments et le culte de l’argent » étaient chez les Juifs « des
qualités intrinsèques » devenues horriblement visibles lors de leur
conquête de la Palestine 3. Dans le droit fil de ce courant de pensée islamique
traditionnel, le 25 avril 1972, le Président égyptien Sadate qualifia
les Juifs de « nation de menteurs et de traîtres, ourdisseurs de complots, un
peuple né pour des actes de trahison » qui serait bientôt « condamné à
l’humiliation et au malheur », conformément aux prophéties du Coran 4.
Abdul Halim Mahmoud, le directeur de l’Académie de recherche islamique,
fut encore plus explicite dans un ouvrage important publié en 1974,
un an après la guerre de Kippour :
Allah ordonne aux musulmans de combattre les amis de Satan où qu’ils se
trouvent. Parmi les amis de Satan – en fait, parmi les principaux amis de
Satan à notre époque – se trouvent les Juifs 5.
1. Voir Fouad Ajami, The Arab Predicament: Arab Political Thought and Practice since
1967, Cambridge University Press, 1984, p. 50-76.
2. D. F. Green, Arab Theologians on Jews and Israel, 3e édition, Genève, Éditions
l’Avenir, 1976, p. 9.
3. Kamal Ahamd Own, « The Jews Are the Enemies of Human Life », ibid., p. 19-24.
4. Ibid., p. 91.
5. Ibid., p. 95. Abdul Halim Mahmoud, Al-Jihad wa al-Nasr (Guerre sainte et victoire),
Le Caire, 1974, p. 148-150.
50 Revue d’histoire de la Shoah
Depuis la guerre de 1973, en dépit des vingt années de paix avec
l’Égypte, au moins deux générations de musulmans ont été systématiquement
éduquées à haïr les démons juifs et israéliens. Il est donc devenu
courant de voir les dirigeants israéliens représentés comme des monstres
dans les caricatures arabes, que ce soit l’ancien Premier ministre Ehud
Barak affublé d’insignes nazis, les mains dégoulinant de sang, ou Ariel
Sharon se relevant d’un cercueil décoré d’une croix gammée. La populaire
chaîne de télévision Al-Jazira déverse ce type d’incitations incendiaires
dans des millions de foyers arabes 1, montrant à maintes reprises les images
d’un Israël démoniaque qui répand délibérément drogue, vices et prostitution
dans le monde arabe, gazant les Palestiniens et empoisonnant intentionnellement
leur nourriture et leur eau. C’est une nation criminelle
dirigée par un ogre cannibale assoiffé de sang qui dévore chaque matin des
enfants palestiniens au petit déjeuner.
Négationnisme et appropriation des symboles nazis
Ces dernières années, les antisémites arabes et musulmans ont adopté
les symboles et expressions de l’antisémitisme tout en en « islamisant » le
lexique. La négation de la Shoah constitue un exemple particulièrement
significatif de thème où l’antisémitisme arabe s’est avéré quasiment identique
aux récentes formes néonazies, racistes et « antisionistes » de la
judéophobie occidentale. Il est en fait devenu, ces dernières années, une
pièce maîtresse de l’antisémitisme arabe et musulman 2. Le monde arabe se
montre de plus en plus disposé à croire que le « mensonge d’Auschwitz »,
le « canular » de leur propre extermination est une invention délibérée des
Juifs qui fait partie d’un plan véritablement diabolique destiné à établir une
domination mondiale. Dans ce scénario plus que machiavélique, l’archétype
satanique du Juif conspirateur – auteur et bénéficiaire du plus grand
« mythe » du XXe siècle – atteint une nouvelle et macabre apothéose.
Il est clair qu’un des aspects qui séduisent les Arabes dans le négationnisme
est le fait qu’il sape radicalement les fondements moraux de l’État
d’Israël. En fait, les premiers signes de révisionnisme de la Shoah au
Moyen-Orient étaient déjà apparus dans les années 1980. En 1983,
1. Voir Arieh Stav, Ha-Shalom. Caricatura aravit (Paix : la caricature arabe), Tel-Aviv/
New York, Gefen, 1996, p. 111-234. Fouad Ajami, « What the Arab World Is Watching »,
New York Times Magazine, 18 novembre 2001, décrit le régime antiaméricain antisioniste
proposé par Al-Jazira.
2. Eliahou Salpeter, « Anti-Semitism among the Arabs », Haaretz, 9 février 2000.
L’antisémitisme musulman : un danger très actuel 51
Mahmoud Abbas (plus connu aujourd’hui sous le nom d’Abou Mazen), qui
devint par la suite le principal architecte des accords d’Oslo, écrivit un livre
niant la Shoah – L’Autre Face : les relations secrètes entre le nazisme et le
mouvement sioniste. Il y suggérait que le nombre de victimes juives de la
Shoah était « même inférieur à un million » 1. Dans les années 1980, un
ancien officier de l’armée marocaine, Ahmed Rami, commença également,
depuis Stockholm où il fonda Radio islam, une campagne bien plus vigoureuse
et violemment antisémite niant la Shoah. Sous couvert
d’« antisionisme » et de défense de la cause palestinienne, Rami appelait
de ses voeux « un nouvel Hitler » qui rallierait l’Occident et l’islam contre
le cancer de « la puissance juive » et débarrasserait la Palestine du joug
mensonger du « talmudisme » et de l’industrie de l’Holocauste 2.
En Iran également, au début des années 1980, une forme embryonnaire
de négationnisme existait déjà, coexistant avec des caricatures du « Juif
talmudique » dignes du Stürmer, avec une diffusion obsessionnelle du
mythe développé dans les Protocoles et avec des appels répétés à extirper
le cancer sioniste de la planète 3. Le négationnisme était l’étape finale
logique pour l’extrémisme militant de style khomeyniste qui diabolise
totalement le sionisme, ne voyant en lui qu’une insidieuse et malfaisante
réincarnation au XXe siècle de « l’esprit du judaïsme subversif et fourbe » 4.
Dans ce contexte historique, il n’est guère surprenant d’entendre
l’actuel dirigeant iranien, l’ayatollah Ali Khamenei, déclarer :
1. Voir Holocaust Denial in the Middle East, p. 5-6. Abou Mazen n’a jamais publiquement
désavoué son livre niant la Shoah, en dépit d’une requête en ce sens adressée par le centre Simon
Wiesenthal à Los Angeles. Il a déclaré au quotidien israélien Maariv qu’il avait écrit ce livre à
une époque où l’OLP « était en guerre contre Israël ». Après Oslo, a-t-il affirmé, il n’aurait plus
fait de telles remarques. Mais maintenant que le processus d’Oslo est mort, cela signifie-t-il qu’il
pourrait à nouveau considérer le négationnisme comme politiquement opportun ?
2. Voir Per Ahlmark, « Reflections on Combating Anti-Semitism », in Yaffa Zilbershats,
The Rising Tide of Anti-Semitism, Ramat Gan, Université Bar Ilan (s.d.), p. 59-66. M.
Ahlmark, cofondateur du Comité suédois contre l’antisémitisme, a décrit les déclarations de
Rami niant la Shoah comme une « campagne antijuive la plus perverse organisée en Europe
depuis le Troisième Reich ». Rami a été poursuivi en justice à trois occasions devant des
tribunaux suédois. Il a été de nouveau condamné à une amende en octobre 2000.
3. Voir Imam, mars et mai 1984, une publication de l’ambassade d’Iran à Londres. Sur la
malveillance de l’ayatollah Khomeiny envers Israël, voir également The Imam Against
Zionism, ministère de la Supervision islamique, République islamique d’Iran, 1983. Également
Emmanuel Sivan, « Islamic Fundamentalism, Antisemitism and Anti-Zionism », in
Wistrich, Anti-Zionism and Antisemitism, p. 74-84.
4. Olivier Carré, L’Utopie islamique dans l’Orient arabe, Paris, 1991, p. 195-201. Robert
S. Wistrich, « The Antisemitic Ideology in the Contemporary Islamic Word », in Zilbershats,
Rising Tide, p. 67-74.
52 Revue d’histoire de la Shoah
Il est prouvé que les sionistes ont entretenu d’étroites relations avec les
nazis allemands et exagéré les statistiques sur les meurtres de Juifs. Il est
prouvé qu’un grand nombre de hooligans et de voyous non juifs d’Europe
orientale furent contraints d’émigrer en Palestine en tant que Juifs […]
pour introduire au coeur du monde islamique un État anti-musulman, sous
couleur de soutenir les victimes du racisme 1.
Pour ne pas être en reste, le mufti de Jérusalem, le cheikh Ikrima Sabri,
déclara au New York Times en mars 2000 :
Nous estimons que le chiffre de six millions est exagéré. Les Juifs
exploitent cette question de différentes manières, également pour exercer
un chantage financier sur les Allemands […]. L’Holocauste protège
Israël 2.
Ces dernières années, d’autres Palestiniens ont émis des propos diffamatoires
sur la Shoah. Hassan al-Agha, un professeur de l’Université islamique
de Gaza, a déclaré en 1997, lors d’un programme culturel diffusé par
la télévision de l’Autorité palestinienne :
Les Juifs la considèrent [la Shoah] comme une activité lucrative, de sorte
qu’ils gonflent tout le temps le nombre de victimes. Dans dix ans, je ne sais
pas quel chiffre ils atteindront […]. Comme vous le savez, en matière
d’économie et d’investissements, les Juifs ont acquis une grande
expérience depuis l’époque du Marchand de Venise 3.
Un an plus tard, dans le journal palestinien Al-Hayat al-Jadida, Seif Ali
al-Jarwan évoqua lui aussi l’ombre de Shylock, représentant « l’image des
Juifs avides, fourbes, malfaisants et méprisés » qui ont fait subir à l’opinion
publique américaine et européenne un lavage de cerveau au sujet de l’existence
de la Shoah.
Ils ont concocté d’horribles histoires de chambres à gaz qu’Hitler,
affirmaient-ils, utilisait pour les brûler vifs. La presse regorgeait de photos
1. Jerusalem Post, 25 avril 2001. Un an plus tôt, le journal iranien conservateur, le
Tehran Times, avait insisté dans un éditorial sur le fait que l’Holocauste était « l’une des
plus grandes supercheries du XXe siècle ». Cette affirmation avait suscité une plainte de la
part de la députée britannique Louise Ellman auprès de l’ambassadeur iranien à Londres.
Agence France-Presse, 14 mai 2000.
2. New York Times, 26 mars 2000. Sabri ajouta : « Ce n’est certainement pas notre faute
si Hitler haïssait les Juifs. N’étaient-ils pas haïs à peu près partout ? »
3. Cité in Holocaust Denial in the Middle East, p. 12.
L’antisémitisme musulman : un danger très actuel 53
de Juifs abattus […] ou poussés dans des chambres à gaz […]. En vérité,
cette persécution était une invention malveillante des Juifs 1.
Invariablement, les antisémites arabes considèrent l’histoire de la
Shoah comme un complot sioniste visant à « abuser le monde 2 ». Selon le
journal égyptien Al-Akhbar, « l’objectif était d’inciter les Juifs à émigrer en
Israël, d’exercer un chantage sur les Allemands pour obtenir des fonds, et
d’obtenir un soutien mondial en faveur des Juifs 3 ».
Dans ces milieux, l’État juif n’existe et ne prospère qu’à la faveur du
« mensonge de l’Holocauste ». C’est le « ciment qui maintient l’union des
Juifs » selon un écrivain et homme politique libanais, Isaam Naaman 4.
D’autres, comme Mahmoud al-Khatib dans le journal jordanien Al-Arab
al-Yom, invoquent davantage les « révisionnistes » occidentaux qui allèguent
à tort qu’il n’existe « aucune preuve » de la Shoah, excepté « les
témoignages contradictoires de quelques “rescapés juifs” ». Selon al-
Khatib, Hitler aurait massacré tout au plus 300 000 Juifs et il les aurait tués
non parce qu’ils étaient Juifs, « mais parce qu’ils avaient trahi
l’Allemagne 5 ».
Un exemple particulièrement sinistre de ce genre populaire est l’article
du rédacteur en chef de Tishrin, le principal quotidien syrien, qui, il y a
deux ans, accusait les sionistes d’exagérer cyniquement l’Holocauste pour
le porter à des « proportions astronomiques » et de s’en servir « pour
tromper l’opinion publique internationale, susciter sa sympathie et la faire
chanter ». Israël et les organisations juives, écrivait-il, encouragent « leur
version déformée de l’histoire » pour soutirer toujours plus de fonds de
l’Allemagne et d’autres États européens à titre de restitution, mais ils utili-
1. « Jewish Control of the World Media », Al-Hayat al-Jadida, 2 juillet 1998 (traduit en
anglais dans MEMRI, premier numéro spécial). Dans le même journal palestinien, un des
termes à trouver dans les mots croisés du 18 février 1999 était le nom du « centre juif perpétuant
l’Holocauste et ses mensonges. » La réponse correcte était Yad Vashem, le mémorial
israélien officiel de la Shoah à Jérusalem.
2. « Their Holocaust and Our Cemetery », dans le journal jordanien Al-Arab al-Yom,
4 juillet 1998.
3. « The Holocaust, Netanyahu and Me », Al-Akhbar, 25 septembre 1998.
4. Al-Quds al-Arabi, 22 avril 1998, traduit en anglais par Antisemitism Monitoring
Forum.
5. Al-Arab al-Yom, 27 avril 1998, traduit en anglais par Antisemitism Monitoring Forum
sur le site www.antisemitism.org.il. Comme c’est souvent le cas avec la littérature négationniste,
cet article abonde en confusions et en ignorances, affirmant triomphalement que
jamais six millions de Juifs ne vécurent en Allemagne avant la guerre, comme si la
« Solution finale » concernait principalement les Juifs allemands, et comme si les nazis
n’avaient pas conquis le continent européen.
54 Revue d’histoire de la Shoah
sent aussi l’Holocauste « comme une épée suspendue au-dessus des têtes
de tous ceux qui s’opposent au sionisme 1 ». Les sionistes cependant ont
été saisis de peur devant les questions soulevées sur l’Holocauste par des
auteurs tels que Robert Faurisson, David Irving, Arthur Batz et autres
« révisionnistes » qui ont marqué l’opinion publique et les médias. Selon
les Syriens, l’effort des sionistes pour pétrifier la mémoire, la logique et la
discussion humaines est voué à l’échec :
Israël, qui se présente comme l’héritier des victimes de l’Holocauste, a
commis et commet toujours des crimes bien plus terribles que ceux commis
par les nazis. Les nazis n’ont pas expulsé une nation tout entière ni enterré
vivants des habitants et des prisonniers comme l’ont fait les sionistes 2.
Mais le « révisionniste » européen le plus fréquemment cité à titre de
référence par les négationnistes arabes de la Shoah est l’intellectuel français
(autrefois communsite et aujourd’hui converti à l’islam) Roger
Garaudy. En fait, le procès et la condamnation de Garaudy en France en
1998 pour négationnisme ont fait de lui un héros dans une grande partie du
Moyen-Orient 3. Dans un sermon radiodiffusé à Téhéran, l’ancien président
iranien, Ali Akbar Hachémi Rafsandjani, qui comptait parmi ses
admirateurs, se déclara pleinement convaincu qu’« Hitler n’avait tué que
20 000 Juifs et non six millions », ajoutant que le « crime de Garaudy
réside dans le doute qu’il jette sur la propagande sioniste 4 ». Rafsandjani
est ce dignitaire religieux « modéré » qui, en 2001 encore, proclamait en
Iran, le « Jour de Jérusalem », qu’« une seule bombe atomique anéantirait
Israël sans laisser de traces », alors que le monde islamique subirait des
dommages de représailles nucléaires israéliennes, mais ne serait pas
détruit 5. Le cas iranien constitue un exemple d’israélophobie et de terrorisme
génocidaire inspiré par le culte du djihad (profondément antisémite
1. Muhammad Kheir al-Wadi, « The Plague of the Third Millenium », Tishrin, 31 janvier
2000.
2. Ibid.
3. Al-Ahram, 14 mars 1998, défendait Garaudy en arguant, entre autres, qu’il n’y avait
« aucune trace des chambres à gaz » censées avoir existé en Allemagne. En fait, en Allemagne
même, il n’y eut pas de chambres à gaz, tous les camps de la mort étant situés en
Pologne. NDLR : sur l’accueil de la pensée de Garaudy dans les médias arabes, voir dans
ce numéro les deux articles de Goetz Norbruch.
4. Holocaust Denial in the Middle East, op. cit., p. 8-9.
5. La presse mondiale se fit largement l’écho de ces remarques, formulées lors des prières
du vendredi à l’Université de Téhéran, le 15 décembre 2001 : « La création de l’État
d’Israël est le pire événement de l’histoire. Les Juifs qui vivent en Israël devront émigrer
une fois de plus. » Voir Ehrlich, Incitement and Propaganda, op. cit., p. 38.
L’antisémitisme musulman : un danger très actuel 55
dans ses fondements) qui prône impitoyablement l’éradication de « la
tumeur appelée Israël ». Il est tout à fait caractéristique de cet état d’esprit
fanatique que la Shoah très réelle infligée aux Juifs par les nazis soit niée
avec tant d’acharnement par ceux qui souhaiteraient la rééditer 1.
L’affaire Garaudy, suscitée par la parution en 1995 de son livre Les
Mythes fondateurs de l’Israël moderne (qui prétend que les Juifs ont
inventé la Shoah à des fins politiques et financières), est révélatrice en ce
qu’elle montre la vitalité du nouvel antisémitisme négationniste dans les
mondes arabe et musulman. Les traductions en arabe du livre de Garaudy
sont devenues des best-sellers dans de nombreux pays du Moyen-Orient,
bien qu’en France même, l’auteur ait été inculpé pour incitation à la haine
raciale 2. De nombreux Arabes exerçant des professions libérales ont offert
leurs services pour aider Garaudy. Sept membres du barreau de Beyrouth
se sont portés volontaires pour défendre l’écrivain français en France
même, et l’ordre des avocats en Égypte a dépêché une équipe de juristes à
Paris pour le soutenir. Des messages de solidarité et des contributions
financières (notamment un don généreux de la femme du dirigeant des
Émirats arabes unis) ont afflué au journal arabe du Golfe qui avait publié
un appel en sa faveur 3. Cependant, l’idéologie qui cimente cet épanchement
de solidarité en faveur de Garaudy est un antisémitisme du type des
Protocoles qui considère comme une évidence que la Shoah fut réellement
une invention sioniste. D’où la réaction extrêmement favorable à la thèse
de Garaudy de tant de journaux et magazines arabes, de dignitaires religieux
comme le cheikh Mohammed al-Tantawi, d’hommes politiques
comme Rafiq Hariri et d’intellectuels comme Muhammad Hassanine
Haikal 4.
1. Ce n’est pas un hasard si les négationnistes européens comme l’ingénieur autrichien
Wolfgang Fröhlich et le Suisse Jürgen Graf sont bien accueillis en Iran où ils résident. Voir
Holocaust Denial in the Middle East, op. cit., p. 7-8.
2. Roger Garaudy, Les Mythes fondateurs de la politique israélienne, Paris, 1995. Autrefois
catholique, puis communiste, Garaudy s’est converti à l’islam en 1982 et a épousé une
Palestinienne née à Jérusalem. Sur la réaction en France, voir Pierre-André Taguieff,
« L’abbé Pierre et Roger Garaudy : négationnisme, antijudaïsme, antisionisme », Esprit,
n° 8-9, 1996, p. 215. Voir également Valérie Igounet, Histoire du négationnisme en France,
Paris, Seuil, 2000, p. 472-483.
3. Pour un résumé utile, voir Esther Webman, « Rethinking the Holocaust : An Open
Debate in the Arab World », in Anti-Semitism Worldwide 1998-1999, Tel-Aviv, Institut
Stephen Roth pour l’étude de l’antisémitisme et du racisme, Université de Tel-Aviv, 1999.
Elle souligne que quelques voix arabes critiques se sont élevées pour demander la reconnaissance
de la Shoah comme un crime extraordinaire contre l’humanité. Voir aussi Rainer
Zimmer-Winkel, Die Araber und die Shoah, Trier, Aphorisma, 2000, p. 9-33.
4. Voir l’article de Mouna Naïm dans Le Monde, 1er mars 1998.
56 Revue d’histoire de la Shoah
Si Garaudy trouva un terrain aussi favorable parmi les Arabes, c’est
parce que, durant plusieurs décennies, des légendes pernicieuses sur la
collaboration entre nazis et sionistes, l’amalgame du sionisme au
nazisme et la croyance que les Juifs ont manipulé la Shoah pour justifier
la création d’Israël étaient devenus axiomatiques 1. Depuis longtemps,
les auteurs arabes évoquent une politique israélienne « génocidaire »,
comparent Auschwitz à des « camps sionistes en Palestine », assimilent
l’incursion israélienne au Liban en 1982 au blitzkrieg allemand et répètent
que le sionisme et le nazisme puisent à des origines idéologiques
identiques 2. Les écrivains arabes ont souvent prétendu que d’importants
intérêts financiers juifs se cachaient derrière le « mensonge de
l’Holocauste » ; ou que les pressions politiques exercées par le lobby
sioniste international avaient imposé par la force la commémoration de
cet événement (purement fictif) à un public victime d’un lavage de
cerveau. Ainsi, pour l’opinion publique du Moyen-Orient, les arguments
de Garaudy ne présentent en eux-mêmes aucune révélation. Ils constituent
plutôt une confirmation d’images arabes préexistantes concernant
les Juifs et les sionistes tout-puissants et « criminels ». Ces monstres
avaient conspiré pour inventer un Holocauste nazi qui n’avait jamais
existé, alors qu’eux-mêmes se livraient à des « crimes génocidaires »
contre les Palestiniens.
Il n’est pas moins révélateur que chez les Palestiniens, des intellectuels,
dignitaires religieux et législateurs aient montré une telle réticence à intégrer
dans les programmes d’enseignement les aspects de la Shoah, craignant
que cela ne conforte les revendications sionistes sur la Palestine 3. Un
dirigeant du Hamas, Hatem Abdel-Qader, a expliqué dans un récent débat
interne organisé avec des Palestiniens qu’un tel enseignement présenterait
« un grand danger pour la formation d’une conscience palestinienne » ;
elle menacerait directement les rêves politiques et les aspirations religieuses
palestiniennes, comme la promesse faite par Allah que la Palestine
tout entière est une possession sacrée pour les Arabes. D’autres intellectuels
palestiniens ont invoqués de prétendus « doutes » émis par des
penseurs européens et sur la scène internationale quant à la « véracité » de
1. Voir dans ce numéro Goetz Nordbruch, « La négation de la Shoah dans les pays arabes ».
2. Ibid., p. 11. L’auteur allemand cite un certain nombre de sources arabes. Il mentionne
également le journal Al-Hayat, publié à Londres, qui demande le 15 janvier 1998 une reconnaissance
« de l’autre Holocauste commis par Israël contre le monde arabe ». Cette
demande fut formulée par le rédacteur en chef, le plus sérieusement du monde, comme
condition préalable à la reconnaissance de la Shoah par les Arabes.
3. MEMRI n° 188, 20 février 2001