samedi 27 septembre 2008

Connaissance du pays : Jérusalem, ville trois fois sainte !


(1ère partie)
Loïc Le Méhauté



Jérusalem, ville trois fois sainte ! Est-ce un mythe ou une réalité, ou les deux à la fois ? Berceau du judaïsme et du christianisme, elle deviendra, au VIIe siècle de notre ère, la troisième ville sainte de l’islam, sous l’influence des Omeyyades de Damas.


Jérusalem dans la pensée et la conscience juives

Dans la Bible, Jérusalem est appelée indifféremment: Cité de David, Sion, Ariel, Cité de Dieu, Cité Fidèle, Ville Sainte, Ville du Grand Roi, Ville de l’Éternel, Ville de Justice, L’Éternel est ici... Elle attend un nom nouveau, que la bouche de l’Éternel déterminera (Is 62, 2).

Humainement parlant, Jérusalem n’avait aucun atout stratégique ou topographique pour devenir une capitale de renommée mondiale. Loin des grands axes routiers qui traversaient le pays de Canaan (voie de la Mer, voie Royale), perchée sur les hauteurs des monts de Judée (à environ 800m d’altitude), aux abords d’un désert et sans approvisionnement suffisant en eau, elle ne pouvait espérer un développement qui pût l’élever au rang des cités anciennes d’Égypte et de Mésopotamie. La tradition prétend que ni Alexandre le Grand, ni Bonaparte n’y firent une halte au cours de leurs campagnes militaires. En dépit de cette position géopolitique peu avantageuse, selon l’eschatologie juive et chrétienne, Jérusalem subsistera sur les hauteurs : "Jérusalem sera élevée et demeurera à sa place" (Za 14, 10) ; de plus, elle verra affluer en son sein les richesses des nations (Is 66, 12). Des prophètes eurent même la vision d’un fleuve coulant du sanctuaire (Ez 47, 1-12 ; Za 14, 8).

Jérusalem - en hébreu, Yerushalaïm -, synonyme de paix, porte encore les cicatrices et les meurtrissures infligées par ses nombreux envahisseurs et conquérants arrogants, qui disaient, dans la journée du carnage : "Rasez, rasez jusqu’à ses fondements" (Ps 137, 7). Elle fut plusieurs fois réduite en cendres au cours des conquêtes successives (plus de vingt) ! Cependant, le prophète Isaïe annonce la paix et la consolation :

"Car, ainsi parle l’Éternel : Voici que je dirigerai vers elle la paix comme un fleuve, et la gloire des nations comme un torrent débordant, et vous serez allaités, vous serez portés sur les bras [...]. Ainsi, moi je vous consolerai ; vous serez consolés à Jérusalem [...]" (Is 66, 12-14).

Il y a un avenir pour cette ville !

Dans l’histoire du peuple hébreu, de l’époque des patriarches à la première période israélite, immédiatement après la conquête de Canaan par Josué, Jérusalem n’est pas le principal centre cultuel. Les centres religieux des Hébreux étaient le mont Garizim, Béthel et Shilo. Jérusalem est mentionnée pour la première fois dans la Bible, sous le nom de Salem, dans le récit de la Genèse relatant la rencontre de Melchisédech et d’Abraham. L’épisode de la ligature d’Isaac est situé au mont Moriah, devenu sous Salomon, le mont du Temple (Gn 22. 2 ; 2 Ch 3, 1).

C’est à l’époque de David (1000 av. notre ère) que Jérusalem est entrée dans l’histoire des Israélites, dans leur conscience historique et religieuse. Cette conscience est formulée principalement dans le livre des Psaumes et les livres prophétiques. Que de fois elle fut dépeinte, par le psalmiste David, comme la ville de l’Éternel :

"Sion ma montagne sainte" (Ps 2, 6) ; "Oui, l’Éternel a choisi Sion, il l’a désirée pour son habitation : c’est mon lieu de repos pour toujours ; j’y habiterai, car je l’ai désirée [...]" (Ps 132, 13, 14).

C’est là, au Temple de Salomon, que les tribus montaient pour louer Dieu et célébrer les trois fêtes de pèlerinage (Pessah, la fête des Premiers fruits et la fête des Cabanes).

Jérusalem et Sion qui sont synonymes, ont fini par désigner non seulement la ville, mais encore le peuple juif. "Fille de Sion" personnifie le peuple et tout le pays d’Israël. La ville, le pays et le peuple ont fusionné en une grande unité : Sion. Sion-Jérusalem, identifiée à la mère éplorée et en deuil, doit retrouver un jour la joie de ses fils réunis en son sein :

"Sion disait : L’Éternel m’a abandonnée, le Seigneur m’a oubliée ! Une femme oublie-t-elle son nourrisson ? [...] Moi je ne t’oublierai pas [...]. Tes fils accourent [...] Tous se rassemblent, ils viennent vers toi." (Is 49, 14-18).

Les prophètes la glorifient et la rejettent, tour à tour, et elle devient le sujet de leurs sarcasmes quand ils dénoncent la corruption et l’impiété qui y règnent :

"Quoi donc ! La cité fidèle est devenue une prostituée ! Elle était remplie de droiture, la justice y régnait, et maintenant ce sont des assassins [...]" (Is 1. 21-31).

D’autres pleurent sur ses ruines et sur le peuple exilé :

"Je voudrais surmonter mon tourment ; mon cœur souffre au-dedans de moi. Voici que les cris plaintifs de la fille de mon peuple viennent d’une terre lointaine : l’Éternel n’est-il plus à Sion ? [...]" (Jr 8, 18-23).


Dans la liturgie et la littérature juives, les sages et les rabbins l’exaltent, eux aussi. Une très ancienne référence talmudique à une Jérusalem céleste, place ces paroles dans la bouche de Dieu :

« Je n’entrerai pas dans la Jérusalem céleste avant d’être entré dans la Jérusalem terrestre » (Ta’anith 5b).

Un Midrash nous dit :

« Vous verrez aussi qu’il y a une Jérusalem d’en haut qui correspond à la Jérusalem d’en bas. Par amour de la Jérusalem terrestre, Dieu s’en est fait une en haut. »

On peut voir, dans ces textes, une idéalisation spirituelle et religieuse de la Ville sainte, de la Nouvelle Jérusalem, la Jérusalem céleste, le trône de l’Éternel :

"Ce ne sera plus le soleil qui te servira de lumière pendant le jour, ni la lune qui t’éclairera de sa lueur ; mais l’Éternel sera ta lumière pour toujours, ton Dieu sera ta splendeur." (Is 60, 19).

Le Talmud de Babylone nous rapporte que

« dix mesures de beauté ont été répandues sur le monde ; neuf ont été prises par Jérusalem et une par le reste du monde [...] » (Kidoushin 49b).


Le choix de Dieu concernant Jérusalem fut d’un prix lourd à payer : sarcasmes des envieux, reproches d’élitisme... La Bible ne dit-elle pas que Jérusalem est au centre des nations (Is 5, 5), le nombril du monde, se demande le Talmud.

« Le pays d’Israël est au centre du monde ; Jérusalem est au centre du pays d’Israël ; le Temple est au centre de Jérusalem. » (Kiddushin, Midrash Tanhuma).

Selon l’évêque français Arculfe (670 apr. J.-C.), elle est le centre de l’univers. Les cartographes l’ont placée au centre du monde ; c’est le cas de la carte dessinée, en 1581, par Heinrich Buenting.

Dans la prière des 18 Bénédictions (Amidah) les Juifs récitent :

« Dieu de miséricorde, reviens vers ta ville, vers Jérusalem, comme tu l’as promis ; reconstruis-la, de nos jours, et demeures-y. Qu’elle soit un monument éternel, et que le trône de David y soit bientôt rétabli ! Sois loué, Éternel, qui réédifiera Jérusalem ! [...]. Sois loué, Éternel, qui établira le séjour de ta gloire à Sion ! »

Á Pessah, les Juifs se congratulent en proclamant « L’an prochain à Jérusalem ! » Pour toutes les fêtes et commémorations juives, Jérusalem est mentionnée, et des prières montent vers Dieu pour qu’il la rétablisse et la rende glorieuse sur toute la terre.

Yéhouda Halévi, l’éminent médecin et poète juif de l’âge d’or de l’Espagne musulmane, exprima l’ardent désir du retour du peuple juif sur sa terre. Dans son fameux poème, Sion Ha-Lo Tishali [Sion, ne demandes-tu pas..], il pleure le veuvage de Jérusalem :

« Sion ! Ne demanderas-tu pas si tes captifs vivent en paix ; ceux qui désirent ta sécurité, les rescapés de ton peuple [...] ? »

Ce chantre de Jérusalem écrivit dans une complainte : « Mon cœur est en Orient, bien que je vive en Occident. » (voir le chant du mois : Ode à Sion)

Foulée aux pieds des nations, comme l’avait prédit Jésus (Lc 21, 24), qui, en la contemplant, pleura sur elle, car elle n’avait pas reconnu le temps de sa visitation, la ville qui rejeta les prophètes qui lui furent envoyés, est cependant restée l’objet de la compassion de Dieu :

"Car celui qui t’a faite est ton époux : L’Éternel des armées est son nom et ton rédempteur est le Saint d’Israël. [...] Mais avec un amour éternel, j’aurai compassion de toi, dit ton rédempteur, l’Éternel." (Is 54, 5-8)

Les poètes et les artistes l’interprètent, à leur tour, l’appelant ville d’or, de cuivre et de lumière [allusion à la chanson de N. Shemer, Yerushalaim shel zahav. NDLR d’upjf.org]. Leurs métaphores, empreintes de lyrisme, exaltent et idéalisent la cité de Dieu, cité tant de fois ravagée. Jérusalem, grâce à ses constructions en pierres calcaires (conformément à l’ancienne loi britannique), devient or au soleil, argent au clair de lune.

« Celui qui n’a pas vu Jérusalem dans sa splendeur n’a pas vu une belle cité » (Sukka 51b).

Elle est, comme le gouvernement israélien aime à le proclamer :

« Entière et unifiée, capitale d’Israël. » (Loi fondamentale de Jérusalem, 1980).

Que de fois ses enfants ne tentèrent-ils pas de la reconstruire en attendant la venue du Messie libérateur ! Cette ville deviendra

"une coupe d’étourdissement pour tous les peuples d’alentour [...] Une pierre lourde à soulever pour tous les peuples ; tous ceux qui la soulèveront seront gravement meurtris ; et toutes les nations de la terre s’assembleront contre elle." (Za 12, 2, 3).

Cependant, malgré ses infidélités, l’Éternel ne l’a pas rejetée pour toujours : "Ton créateur est ton époux" (Is 54. 5). Un cri sort de la bouche et du cœur du psalmiste, reflétant la compassion de Dieu pour sa Ville : "Si je t’oublie Jérusalem..." (Ps 137, 5). Ce cri n’est-il pas repris par le fiancé aux cours de la cérémonie du mariage ? Les prophètes, sous l’inspiration du Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, nous révèlent que l’Éternel n’a pas oublié Jérusalem :

"Voici, je t’ai gravée sur mes mains ; tes murs sont continuellement devant mes yeux." (Is 49, 16).


Le mouvement moderne du retour des Juifs sur la terre de leurs ancêtres, déclenché à la fin du XIXe siècle, bien que mouvement non religieux, tire son nom de Sion. Le sionisme est une idéologie qui traduit l’aspiration des Juifs du monde entier pour leur patrie historique, Eretz Israel et son ancienne capitale, Jérusalem-Sion. L’hymne national israélien est un reflet de cette aspiration bimillénaire :

« Aussi longtemps qu’en nos cœurs, vibrera l’âme juive, et tournée vers l’Orient, elle aspirera à Sion, notre espoir n’est pas vain, espérance bimillénaire, d’être un peuple libre sur notre terre, le pays de Sion et Jérusalem [...] » (la Hatikva, L’Espérance)

En 1967, le chant Yerushalaim shel Zahav (Jérusalem, ville d’or), composé par Naomi Shemer, remporte le premier prix du Festival de la chanson d’Israël. Le 27 avril dernier, il est proposé comme le meilleur chant des soixante premières années de l’État d’Israël :

« Jérusalem d’or, de bronze et de lumière, pour toutes tes chansons, ne suis-je pas un violon ? Si je t’oublie Jérusalem... toi qui es toute d’or... »

Symbolique ! Non ?

Pour les Juifs du monde entier, Jérusalem est leur identité et ils sont Jérusalem. Leur histoire reste ancrée dans un lieu géographique réel : Eretz Israel, avec Jérusalem pour capitale ! Si le symbole de l’État d’Israël est l’Étoile de David, celui de Jérusalem est le Lion de la tribu de Juda.

Dans la deuxième partie de cet exposé nous aborderons la pensée chrétienne et son attitude ambivalente sur la Cité sainte, ainsi que la relation du monde musulman envers Jérusalem, qu’ils nomment Al-Quds, la Sainte.



Loïc Le Méhauté



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