par Jean-Pierre Bensimon après l'agression de Rudi Haddad
La chronologie des évènements, telle qu'on peut la reconstituer à travers les informations de la presse, est particulièrement édifiante.
1) Dans un premier moment de cette journée tragique, un jeune juif, David, se fait frapper par des "gens de couleur" aux abords de la mairie du 19ème arrondissement. En s'enfuyant, il perd l'étoile de David qu'il portait autour du cou. C'est une première agression, la perte de l'étoile de David signant sans doute sa nature antisémite.
2) Quelques instants plus tard, le jeune David revient sur les lieux avec quatre amis pour tenter de retrouver son bijou. Ils sont donc cinq selon la version du Figaro. Le Monde donne un récit à sa sauce de l'évènement, en relatant les propos parfaitement invérifiables d'un quidam qui aurait été témoin de la scène. Le journaliste du "grand" quotidien rapporte que selon son témoin, les "juifs" seraient venus "à 30 ou 40 pour taper". Ils se seraient munis "de barres de fer et de couteaux". Le journaliste prend la précaution de mentionner que l'enquête n'a pas vérifié ce point, sans faire la même restriction pour les "30 ou 40". De nombreux récits visant à dédouaner les jeunes agresseurs sont ainsi monté à partir de témoignages, ci du commerçant, là du propriétaire d'un bar ou d'un consommateur, sans qu'il soit possible d'identifier les "témoins" ou de vérifier leurs allégations.
En tout cas une nouvelle agression intervient, gravissime cette fois. L'un des jeunes juifs, Kevin, est frappé dans le dos avec le plat de "quelque chose qui ressemble à une machette", et jeté à terre. Dans une rage folle, l'un des agresseurs tente de l'achever avec le tranchant du "quelque chose qui ressemble à une machette". En se protégeant avec son bras Kevin sera grièvement blessé et hospitalisé. Il y a donc cette fois tentative de meurtre, la caractérisation antisémite dépendant de celle de la première agression.
3) Le troisième épisode met dramatiquement en scène Rudi. Était-il seul ou pas, l'enquête ne l'a pas établi. Ce qui est sûr, c'est que Rudi, juif très observant, ne porte rien sur lui en ce jour de shabbat, ni portable, ni argent, ni papiers, mais une kippa très visible. Ce qui est sûr aussi, c'est qu'une bande d'une quinzaine de jeunes africains et maghrébins va faire subir à Rudi un lynchage en règle sur le trottoir, devant la porte du square Petit. Il sera frappé jusqu'à plus soif alors qu'il git au sol, inconscient. Un agresseur saute sur son corps à pieds joints tandis qu'un autre le frappe avec une béquille, occasionnant de multiples fractures à la tête. Il n'a rien sur lui, il porte une kippa, ses agresseurs ne peuvent ignorer qu'il est juif. On voit mal, en dehors de cette identité ethnoculturelle, ce qui peut expliquer la fureur meurtrière de ses lyncheurs.
En cet après-midi de fête de la musique, il y a donc eu deux tentatives de meurtre sur deux jeunes juifs à quelques heures d'intervalle. Ce sont des faits, et chacun sait que les faits sont têtus.
On peut contextualiser ces faits têtus. Depuis l'année 2000, les agressions antisémites se sont multipliées. Elles ont provoqué la migration des nombreuses familles des banlieues nord de Paris vers des quartiers comme le 19ème arrondissement où elles se sont regroupées. Les familles ont très souvent retiré leurs enfants des écoles publiques où ils sont quotidiennement harcelés, pour leur trouver un refuge dans des écoles religieuses. Les lieux communautaires et cultuels se sont soumis à des règles de sécurité très strictes, des synagogues s'entourant de murs élevés pour prévenir les attaques. C'est ainsi que le nombre d'agressions antisémites a pu baisser ces deux dernières années. Mais tous les ingrédients des attaques antisémites sont là, intacts. Et ils se sont parfois aggravés sous l'effet de l'importation du tsunami antisémite qui sévit dans les pays arabes, de l'importation du conflit israélo-palestinien, et du travail d'incitation à la haine antisémite permanent, poursuivi auprès des populations d'origine sub-saharienne par des gourous féroces comme Kémi Seba, avec une efficacité redoutable … C'est ce cocktail empoisonné qui a explosé ce 21 juin. Il donne aux Juifs de ces quartiers le sentiment tout à fait fondé d'être traqués.
La façon dont l'État et la "société civile" ont réagi à cet épisode est pleine d'enseignements. Les autorités ont exprimé leur "émotion" avec des formules convenues. Et puis, elles ont laissé filtrer des informations capitales : le jeune Rudi serait "connu des services de police". Pourquoi donc ? Est-il un passeur de drogue, a-t-il participé à un règlement de comptes? Pas du tout. Il a été impliqué dans des incidents qui auraient suivi une manifestation pour soutenir les soldats israéliens enlevés par le Hamas et le Hezbollah. Sans doute a-t-il commis le crime de participer au service de protection de cette manifestation, qui réclamait la libération du soldat Guilad Shalit, détenteur de la nationalité française comme Ingrid Betancourt. Ensuite, ces mêmes autorités ont évoqué la possibilité que Rudi n'ait pas été seul, pour asseoir la thèse d'une guerre de "bandes".
C'est ainsi que Rudi, la victime, est devenu suspect, qu'il a été ravalé au rang de ses lyncheurs. Rudi a été sali. Remarquable renversement qui a permis aux autorités publiques de répandre une version politiquement correcte du drame, reprise avec ferveur par la presse : l'affaire "Rudi", c'est une affaire de "tensions communautaires", entre "jeunes" communautarisés, entre bandes ethniques. On ne savait pas que les "bandes" de jeunes juifs mettaient le feu aux écoles, aux bibliothèques et aux gymnases. On ne savait pas qu'elles brûlaient rituellement des voitures. On ne savait pas qu'elles agressaient les pompiers, ni qu'elles tiraient à l'occasion sur la police. On ne savait pas qu'elles vivaient du trafic de drogue ou qu'elles constituaient 80% de la population carcérale. On croyait que les Juifs formaient une population assimilée par la République depuis au moins deux siècles, qu'ils lui avaient donné des écrivains, des philosophes, des médecins, des ingénieurs et des savants, qu'ils participaient de façon particulièrement éminente à la prospérité du pays, à son rayonnement scientifique et culturel.
"On est dans des affrontements sur un territoire petit, entre bandes communautaires. On ne sait pas qui a commencé" dit le procureur Jean-Claude Marin. Voila de forte paroles de l'institution judiciaire, voila qui la rehausse. Mais, monsieur le procureur, souvenons-nous, les fait sont têtus. Il y a eu des tentatives de meurtre dans des conditions épouvantables et ce sont deux jeunes juifs qui en ont été victimes, et personne d'autre. Prenez garde de renvoyer dos à dos les lyncheurs et ceux qui ont échappé de justesse à la mort. Et n'inventez pas d'obscurs concepts comme celui "d'antisémitisme par incidence" qui ne signifie strictement rien : on pourrait croire que constater l'antisémitisme cru vous écorcherait les lèvres.
Les libelles du Monde "Fait divers Bandes communautaires", ou du Figaro "Règlement de comptes entre bandes du quartier" ont vraiment de quoi soulever le cœur, sans parler de véritables incitations à la haine antisémite véhiculées entre autres par Agora Vox via Yahoo (voir par exemple le papier particulièrement infect d'un certain Olivier Bonnet).
Les politiques ont bien sûr rivalisé pour mettre un signe égal entre victimes juives et assassins en puissance. Le maire d'arrondissement socialiste Roger Madec a osé dire "il y a une tension intercommunautaire très forte" quand ce sont les Juifs qui sont harcelés. L'élu UMP Jean-Jacques Giannesini n'a pas fait mieux : "le problème de fond est le trafic de drogue et les voyous". Le pompon revient à Jean-Christophe Cambadélis, appelant à "mettre fin au racisme antijuif, antibeur ou antinoir". Les réactions les plus authentiques ou les moins insincères ont été celles du CFCM qui a su trouver des paroles justes, et particulièrement celle de l'imam de Drancy, Hassan Chalghoumi, qui a très chaleureusement soutenu la famille de Rudi.
La nuit précédant les agressions antisémites, une bande de 300 "jeunes" attaquait sur le Champ de Mars les lycéens qui fêtaient la fin des épreuves du baccalauréat, frappant, dérobant les portables et les MP3, pillant des commerces. Selon le directeur de la police urbaine de proximité, les voyous provenaient pour la plupart des départements de la périphérie parisienne. "Ces jeunes avaient le visage dissimulé avec des foulards et des capuches". Des bandes, des Juifs ?
Nos politiques jouent la carte de l'apaisement avec une fraction raciste et vindicative, sans doute minoritaire, de l'immigration arabo-musulmane. Et ils le font aux dépens des Français juifs. Il faudrait qu'ils se souviennent que celui qui baisse la tête recevra l'injonction de l'incliner toujours plus bas. Il faudrait qu'ils se souviennent des paroles de Julien Freund, le très grand philosophe politique, qui disait : "Du moment que nous ne voulons pas d'ennemis, nous n'en n'auront pas, raisonnez-vous. Or c'est l'ennemi qui vous désigne. Et s'il veut que vous soyez son ennemi, vous pourrez lui faire les plus belles protestations d'amitié. Du moment qu'il veut que vous soyez l'ennemi vous l'êtes….[la paix] n'est pas n'importe quelle reconnaissance, mais la reconnaissance de l'ennemi". Il y a en France une petite minorité identifiée qui hait la République et qui rêve d'en découdre avec la nation et ses valeurs. On ne l'apaisera pas en lui sacrifiant les Français juifs.
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