Nadav Shragaï
Un phénomène auquel on ne prête pas suffisamment d'attention, malgré les graves dangers qu'il recèle : tandis que le négationnisme antijudaïque prospère dans le monde arabe, le monde, en général, et le monde chrétien en particulier, se taisent. Se réveillera-t-on avant qu'il ne soit trop tard?
(Menahem Macina).
Titre complet : "Au commencement, il y avait Al-Aqsa. En définitive, Salomon avait construit un petit lieu de prière à Jérusalem". [1]
Traduction française de l’hébreu : Menahem Macina.
Texte original sur le site hébreu de Haaretz : "Bereshit hayah al Aqsa. Shlomo besakh hakol banah sham heder tefillah qatan"
[On ne saurait tirer tout le bénéfice de cet article sans lire, en parallèle, la dense et remarquable étude des sources, consacrée à ce sujet par le Dr Daniel Pipes, mise en ligne sur ce site, sous le titre "Les revendications des musulmans concernant Jérusalem". (Note de la Rédaction d'upjf.org)]
Une nouvelle recherche documente les dimensions du phénomène de déni systématique qu’opposent les clercs, les historiens et les politiciens musulmans, à l’existence du Temple. Certains d’entre eux affirment que la mosquée [Al-Aqsa] fut construite au temps d’Adam.
Il y a quelques années, paraissait, sur le site Web de la branche nord du Mouvement islamique, en Israël, un article de l’archéologue égyptien, Abed al-Rahim Rihan Barakat, directeur du département des Antiquités de la région de Dahab dans le Sinaï. Il y écrivait que "la légende du Temple juif est le plus grand forfait de falsification historique".Selon Barakat, David et Salomon avaient de petits lieux de prière qui n’avaient rien à voir avec un temple. Il n’est pas le seul de son opinion. Un historien saoudien, du nom de Mohammed Hassan Sharab, prétend qu’en fait, le temple de Salomon fut construit sur l’emplacement où se dresse aujourd’hui la Tour de David. Une fatwa, qui figure sur le site du Waqf [Fonds religieux islamique] de Jérusalem, estime que ni Salomon ni Hérode n’ont bâti le Temple, mais qu’ils ont seulement rénové un édifice antérieur qui existait déjà au temps du premier homme.
Couverture du livre de Mustafa
"Réfutation de la théorie du temple
et comment Jérusalem reviendra
dans le giron de l'Islam". [2]
Autre affirmation, émise par le mufti de Jérusalem, Ikrma Sabri : le Temple a déjà été bâti trois fois et, la troisième fois, il l’a été par Hérode. D’où il appert que le Troisième Temple a déjà été détruit et donc que les traditions juives concernant sa reconstruction future sont sans fondement. Selon une autre version musulmane, qui s’est imposée ces dernières années, le Temple des Juifs se trouvait tout bonnement au Yémen.
Le Dr Yitzhak Reiter, historien, qui publie, ces jours-ci, son ouvrage de recherche, intitulé "De Jérusalem à La Mecque et retour – L’unité musulmane autour de Jérusalem", compile, depuis des années, des milliers de publications, de décisions religieuses, de dires et de proclamations de dignitaires religieux, d’historiens, de personnalités et de politiciens arabes à propos de Jérusalem. Son livre trace, de manière très détaillée, le profil de la grande dénégation : celle de la relation juive à Jérusalem, au mont du Temple et au Temple lui-même, dénégation qui ne fait que s’intensifier depuis la Guerre des Six Jours. Le livre a été publié par les éditions de l’Institut de Jérusalem pour la recherche sur Israël, institution de recherches politiques, créé à l’initiative de Teddy Kolek, en 1978, et qui a publié, depuis lors, des centaines de travaux de recherche dans des domaines afférents à la ville et à son avenir. L’institut est financé en majeure partie par des dons, et ne dépend pas de l’establishment communal ou national. Il publie chaque année un annuaire statistique de Jérusalem, et a préparé l’alternance en vue du nouveau partage de Jérusalem et de ses environs entre Juifs et Palestiniens, avant la Conférence de Camp David, en 2000. Ses membres dirigent quelques travaux en collaboration avec des instituts palestiniens de recherche.
Le Mur musulman
De nombreux chapitres de l’étude de Reiter décrivent la progression parallèle de la sainteté de la mosquée Al-Aqsa et de Al-Quds ['La Sainte', c’est-à-dire Jérusalem]. C’est ainsi, par exemple, qu’ont été remises en vigueur, ces dernières années, des traditions musulmanes antiques, et que la mosquée Al-Aqsa, qui, selon la recherche moderne, a été construite il y a quelque 1 400 ans, est présentée comme remontant à la création du monde, au temps du premier homme, ou à l’époque d’Abraham. Par exemple, Abul Salam al-Abbadi, qui fut ministre des fonds [religieux] de Jordanie, a eu, dans le passé, recours à ces traditions. Le Mufti de l’Autorité Palestinienne, le cheikh Ikrma Sabri, s’y est également référé dans une décision religieuse émise il y a quelques années. Il y attribuait au premier homme la construction de la sainte mosquée de La Mecque et celle de l’enceinte d’Al-Aqsa, tandis qu’il attribuait à Abraham la restauration de la Kaaba, et à Salomon celle de la mosquée Al-Aqsa. De même, l’historien saoudien, Mohammed Hassan Sharab, prétend que la mosquée Al-Aqsa existait déjà avant l’époque de Jésus et celle de Moïse. Selon une autre tradition, citée par une partie des écrivains musulmans contemporains, la construction de Al-Aqsa est attribuée à Abraham. Cette tradition relate qu’Abraham construisit Al-Aqsa 40 ans après qu’il ait édifié la Kaaba avec son fils Ismaël.
Mais, du point de vue juif, les chapitres qui suscitent le plus d’intérêt sont ceux dans lesquels Reiter dévoile des centaines et des milliers de décisions, de publications et de sources révélant quelles proportions a atteintes, dans le monde musulman, le déni de la relation juive à Jérusalem et aux lieux saints. De nos jours, différentes sources islamiques s’efforcent de réfuter la conception juive de la centralité de Jérusalem dans le judaïsme, refusent de reconnaître l’existence du Temple de Jérusalem, prétendent que le Mur occidental n’est pas un reste authentique de la muraille extérieure de soutènement de l’esplanade du Temple, mais la muraille occidentale de l’esplanade de Al-Aqsa, un emplacement que les musulmans identifient aujourd’hui avec Al-Buraq, la bête de somme fabuleuse du prophète Mohammed, que l’on affirme avoir été attachée à la muraille par le prophète.
Reiter a repéré les textes islamiques consacrés à la dénégation de la relation juive à Jérusalem et aux lieux saints, à la foire arabe annuelle du livre, au Caire, et dans des librairies de communautés islamiques d’Europe, d’Amérique et d’Asie. Un grand nombre de textes sont également accessibles sur Internet à ceux qui lisent l’arabe. Ils pénètrent graduellement [dans les esprits] et se transforment en vérité pour un large public de par le monde.
La nouvelle littérature islamique qui polémique avec la littérature juive sur le thème de Jérusalem, formule trois allégations fondamentales :
1.
La présence juive à Jérusalem a été de courte durée (uniquement de 60 à 70 de notre ère), et elle ne justifie pas une souveraineté juive sur la Ville sainte.
2.
Le Temple n’a jamais existé, et le Temple de Salomon, qui n’est rien d’autre qu’une représentation islamique antique, était, tout au plus, un lieu personnel de prière.
3.
Le Mur occidental est un lieu saint musulman, dont la relation, qu’entretiennent avec lui les Juifs, n’a été inventée qu’aux XIXe et XXe siècles, à des fins politiques.
Déformation de rapport
De nombreux décisionnaires religieux musulmans accolent aujourd’hui au mot "al Hekhal" (le Temple) l’expression "Al Mazum", dont la signification littérale est "le soi-disant", ou "le prétendu", pour renforcer leur point de vue selon lequel il s’agit d’une invention juive qui n’a aucune base factuelle. Par exemple, Abed al-Tuwab Mustafa, membre du département des sciences politiques à l’Université du Caire et ancien présentateur du programme religieux à la télévision égyptienne, écrit dans son livre que la croyance des Juifs concernant le Temple n’est qu’une affirmation mensongère, et que la prétendue recherche des Juifs n’est pas une recherche scientifique, mais une simple espèce d’approximation hypothétique.
Selon l’analyse de Mustafa, le Temple était une construction de la dimension d’un appartement spacieux, et il a existé, en fait, beaucoup d’autres lieux de culte, appelés "temples". Il déforme le rapport de la Commission d’enquête britannique concernant le Mur occidental - qui fut constituée à la suite des émeutes de 1929 -, et dit à ses lecteurs que la Commission constata que les affirmations des Juifs, selon lesquelles le Mur occidental est l’un des murs du Temple de Salomon, ne sont pas exactes (le rapport de la Commission affirme le contraire). Mustafa se fonde, entre autres, sur la recherche de l’archéologue, Kathleen Kenyon, qui établit que la ville de Jébus se trouvait hors des murailles du Haram al-Sharif, en direction de la vallée du Cédron. En d’autres termes, s’il y avait là un Temple, il ne se trouvait pas à l’endroit où se dresse aujourd’hui la mosquée Al Aqsa. Ici aussi, il faut signaler que l’archéologue renommée, qui a procédé aux fouilles de la ville de David, sous le règne du souverain Hussein, n’a pas émis de doute, dans ses propos, sur l’existence du Temple.
Une déformation semblable figure sur le site Internet du mouvement islamique du sud en Israël. Mohammed Halayka, se fie, en apparence, aux archéologues israéliens pour affirmer qu’il n’y a pas la moindre trace du Temple juif. Selon lui, les Juifs ont réalisé 65 fouilles archéologiques sur le mont du Temple, depuis 1967. Il cite l’archéologue Eilat Mazar, qui aurait dit : Nous n’avons pas trouvé de Temple, et nous ne savons pas du tout où il se trouve. Mais, dans son livre, justement, Mazar présente des découvertes qui corroborent les sources bibliques concernant le Temple, et elle signale que la raison pour laquelle il n’y a pas de découvertes de vestiges antiques de l’édifice du Temple tient au fait que l’on ne peut faire des fouilles sous l’esplanade de la colline du Temple, lieu où, selon les conjectures, y compris celles des archéologues, était situé le Temple.
Les hauts responsables du Waqf à Jérusalem affirment qu’il est impensable que des fouilles archéologiques soient autorisées dans un lieu saint, et signalent que toutes les fouilles autour du mont du Temple ne permettent pas d’établir l’existence du Temple juif, qui n’est rien d’autre qu’une légende. Ils font référence aux paroles du mufti de Jérusalem, le cheikh Ikrma Sabri, et à celles que prononça son prédécesseur dans ce poste, le défunt mufti, cheikh Saad-E-Din al-Almi, qui, l’un et l’autre, soulignèrent l’antériorité et la prééminence de l’islam par rapport au judaïsme à Jérusalem. Le cheikh Sabri a déjà dit, dans le passé, qu’il n’était "pas possible qu’Allah ait envoyé un lieu de prière aux musulmans et leur ait demandé de le préserver, alors qu’il appartient à une autre communauté religieuse".
Reiter lui-même rapporte qu’avant la publication de sa recherche, il présenta ses découvertes principales à un universitaire palestinien réputé, qui est l’un des signataires de l’initiative Ayalon-Nusseibeh. "Sa réaction fut que le propos rapporté, qu’il émane d’Arafat ou d’universitaires palestiniens, n’est pas accepté par le grand public. Il affirma que personne ne se laisse convaincre par les récits niant le fait que Jérusalem soit sacrée pour les Juifs, émis par Arafat et d’autres. Selon lui, la majorité des rédacteurs de ces textes sont des universitaires opportunistes qui veulent plaire à leurs dirigeants, et le grand public, particulièrement le public cultivé, ne les croit pas."
Reiter n’est pas d’accord avec son ami. Il estime que l’influence de ce vaste corpus de dénégations n’est pas négligeable, et signale que des politiciens et des journalistes de différents Etats arabes se servent d’une part considérable de ces messages pour en faire une partie de leur action politique ou de leurs écrits, et qu’ils en favorisent la diffusion.
Jusqu’en 1967, ils parlaient différemment
Durant des centaines d’années et jusqu’en 1967, l’histoire du Temple juif, les détails de sa construction, des traditions sur son existence, et même des précisions sur la destruction du Premier Temple par Nabuchodonosor, constituaient un motif enraciné et non sujet à la dénégation, dans toutes les composantes de la littérature arabo-musulmane. De surcroît, Reiter signale que des sources arabes classiques identifient le site où se dresse la mosquée Al-Aqsa avec celui où se trouvait le Temple de Salomon. Le géographe et historien hiérosolymite, Al-Muqadasi, et le savant décisionnaire iranien, Al-Mastufi, identifient, l’un et l’autre, la mosquée Al-Aqsa avec le Temple de Salomon. Dans la poésie de Jalaluddin Rumi (XIIIe siècle), la construction de la mosquée de Salomon est définie comme étant celle de "la mosquée Al-Aqsa". Le roc qui est à l’intérieur de l’enceinte est, en général, le critère arabe d’identification du Temple de Salomon et le cœur de l’enceinte de Al-Aqsa. Et Abu Bachar al-Wasti, qui fut prédicateur de la mosquée Al-Aqsa au début du XIe siècle, fournit, dans son livre à la louange de Jérusalem, une variété de traditions diverses qui exposent le passé juif du Temple.
Au XXe siècle même, l’historien palestinien, Araf al-Araf, écrivait (avant 1967) que l’emplacement du Haram al-Sharif est celui du mont Moriah, mentionné dans le Livre de la Genèse, où se trouvait l’aire d’Ornan, le Jébusite, que David acheta pour y édifier le Temple, et que Salomon construisit le Temple en l’an 1007 avant notre ère. Et il ajoutait que les vestiges des édifices qui se trouvent sous la mosquée Al-Aqsa dataient du temps de Salomon. Mais toutes ces choses ont été écrites à l’époque où la Vieille Ville de Jérusalem faisait partie du royaume de Jordanie, et c’est à peine si elles bénéficient d’un écho tant dans les livres arabes d’histoire écrits depuis 1967, que dans le discours [arabe] contemporain.
Nadav Shragaï
© Haaretz
Notes du traducteur
[1] Nadav Shragaï a déjà traité de cette question dans un précédent article du même journal, en date du 11 mai 2004, intitulé "A campaign of denial to disinherit the Jews".
[2] Ce cliché est extrait du livre du Dr Reiter : "De Jérusalem à La Mecque et retour".