samedi 27 septembre 2008

LE MYTHE DE LA TOLERANCE MUSULMANE EN ANDALOUSIE


Paradigme obligé en ces temps de crispations identitaires où le modèle multiculturel européen vacille sur ses certitudes, la présentation d’une Andalousie fantasmée où auraient cohabité harmonieusement musulmans, juifs et chrétiens, est une pure invention servant à justifier l’islamisation actuelle.

Il y a le mythe, et il y a les faits historiques. Si effectivement, eut lieu une véritable effervescence intellectuelle multiculturelle à Tolède et à Cordoue, l’occupation musulmane de l’Espagne fut émaillée perpétuellement d’exactions, de discriminations dues au statut de dhimmi des conquis, de pillages et de persécutions.

En 796 eut lieu une sévère répression de la révolte des autochtones dans la même ville, 20 000 familles prirent la route de l’exil. En 817 une révolte de convertis forcés à Cordoue provoqua l’ expulsion des habitants. En 850, le prêtre Perfectus est décapité publiquement pour blasphème, ayant voulu débattre des erreurs de l’islam et la même année, le marchand chrétien Johannes de Cordoue est torturé puis emprisonné pour avoir prononcé le nom de Mahomet pendant une vente. En 851, d’Abd el Rahman II de Cordoue promulgue un édit menaçant de mort tous les blasphémateurs envers l’islam et emprisonne tous les chefs de la communauté chrétienne de la cité. L’année d’après a lieu l’ épuration de l’administration de Cordoue de ses éléments chrétiens, ainsi que la destruction des églises datant d’après la conquête arabe. En 900 est prise une mesure radicale : l’interdiction pour les chrétiens de Cordoue de construire de nouvelles églises. En 976, après l’invasion almoravide le Calife Almanzor, organise au pied de la Sierra Nevada une véritable Inquisition officielle, la seconde depuis l’Inquisition judaïque, et expurge toute les bibliothèques du califal , sans en exclure la biblihothèque royale d’Al-Hakam II, essentiellement composée d’ouvrages accumulés par les wisigoths, qui seront brûlés par un gigantesque autodafé. L’histoire tranche avec le préjugé infondé de la tolérance du califat cordouan et de la richesse de son « incroyable bibliothèque royale, riche de 600 000 volumes », héritage en fait de la catholicité wisigothique. Al Mansur continu sur sa lancée obscurantiste, en 981 Zamora est pillée, en 985 c’est Barcelone, puis en 997 le calife détruit la ville de Saint Jacques de Compostelle .

En 1010 débute le massacre de centaines de juifs autour de Cordoue qui se prolongera trois ans. L’année 1066 est marquée par le massacre de milliers de juifs à Grenade. En 1102, la population chrétienne de Valence dut fuir vers l’Espagne du Nord récemment reconquise pour échapper aux persécutions. En 1125, les chrétiens de Grenade profitèrent de la retraite des troupes d’Alphonse d’Aragond rentrant chez elles après un raid en Andalousie, pour trouver refuge dans le nord chrétien. En 1146, ce fut un autre exode massif, celui des chrétiens de Séville, fuyant l’ invasion de l’Espagne par les Almohades, berbères islamisés extrémistes, provoquant expulsion des juifs ou conversions forcées. Les Almohades en 1184, imposent des signes distinctifs aux chrétiens et aux juifs en Espagne, et en 1270 a lieu la ségrégation généralisée des juifs en Andalousie. Hormis cela, oui, on peut trouver des périodes de calme relatifs qui permirent une cohabitation apaisée’à condition de se soumettre à la pax islamica.


source: http://www.cyber-partner.com/spip.php?article227

----------
Mythique Andalousie

Les relations entre musulmans et les autres gens du Livre (juifs et chrétiens) d'Al-Andalus relèvent davantage d'une cohabitation plus ou moins pacifique que d'un multiconfessionalisme assumé.

Chercher à situer dans l'histoire d'Al-Andalus - l'Andalousie -, partie de la péninsule Ibérique sous domination musulmane, un moment particulier de convivencia, d'esprit ouvert à un « multiconfessionnalisme », relève du mythe. Plus exactement, il révèle ce que l'historien Geary dans La Mémoire et l'oubli à la fin du premier millénaire (Aubier, 1996) appelle une manipulation des « fantômes de la mémoire » créés par des générations d'« historiens » au service d'une cause qui touche leur propre époque. A ce titre, deux postures sont possibles : l'un d'elles peut être résumée par ces propos du grand arabisant Jacques Berque (Andalousies dans Les Arabes, Actes Sud, 1981) : « J'appelle à des Andalousies toujours recommencées, dont nous portons en nous à la fois les décombres amoncelés et l'inlassable espérance », conduisant à se dire : « Peu importait donc la réalité historique de l'Andalousie, pourvu qu'elle fournît la matière d'un projet d'avenir. »

L'autre posture est celle de l'historien « classique » qui tente de remettre en place les événements et les concepts dans leur chronologie, en répétant que la signification que l'on donne aujourd'hui au mot « tolérance » n'aurait aucun sens pour un clerc catalan ou asturien du Xe siècle ou castillan au XIIe siècle, ou bien pour un juriste de Cordoue à la même époque. Cette position est plus ardue, car elle demande des explications qui rendent moins réceptives des restitutions qui ne correspondent pas à ce que nos contemporains veulent entendre, comme le thème du paradis perdu, sorte de référence absolue qui rassure l'esprit en un temps d'un affrontement particulièrement fort, « sacro-sainte Andalousie, écrivait Jean Daniel, où, pendant une soixantaine d'années [avait] régné ce phénomène merveilleux et bouleversant qu'on a appelé l'esprit de Cordoue » (Le Nouvel Observateur, octobre 1994). Toutefois, ce procédé est plus utile à ceux qui veulent trouver des repères sérieux dans un passé qui apparaît comme le moment le plus intense de la confrontation entre islam et chrétienté, car il correspond à une réalité humaine possible. Si l'on adopte cette position, à la question : Al-Andalus, creuset multiconfessionnel ? la réponse est négative.

Les lettrés du Moyen Age sont gens de croyance et de droit. Ils nous ont laissé des écrits étayés par ces principes. Au contraire, la réalité du terrain est beaucoup plus difficile à saisir, par l'absence d'archives que ne compense pas l'abondance de la production littéraire. Sur le plan des principes, la réponse semble simple : le multiconfessionnalisme - islam, judaïsme, christianisme - n'existe que par défaut. Si l'on préfère, il est toléré faute de mieux et pour un temps limité, celui qui correspond à ce qui reste comme temps de vie terrestre avant l'échéance apocalyptique. La légitimité des conquérants arabes et musulmans repose sur le respect et la propagation de la charia, dont les souverains sont les garants. Seul l'islam est vérité, les autres religions, erreurs : le judaïsme et le christianisme sont des prophéties d'un même Dieu que celui de l'islam, dévoyées par leurs adeptes. Les paroles coraniques permettent à Mahomet de créer un cadre de cohabitation entre les musulmans et les « protégés » (dhimmî), qui donnent aux juifs, chrétiens et, un peu plus tard, zoroastriens, la possibilité de vivre avec les musulmans, mais selon des conditions qui les placent en situation d'infériorité dans une société soumise à la loi de l'islam par la conquête.

Donc, en principe, il n'est pas question d'une tolérance plaçant les confessions au même plan, mais d'un « arrangement » permettant de ménager les non-musulmans, très largement majoritaires dans les premiers temps de l'islam, à condition qu'ils reconnaissent la prééminence de la loi coranique. Il n'en va pas autrement en Al-Andalus : les juristes malikites, sous la conduite des émirs omeyyades de Cordoue, imposent ce cadre aux juifs et aux chrétiens.

Au-delà de la norme, saisir une réalité de cette cohabitation est beaucoup plus difficile. Dans l'ensemble, en Al-Andalus comme dans le reste du monde musulman, le gouvernement intervient le moins possible dans la vie des communautés. Seul le refus d'obéissance au pouvoir peut révéler leur existence ; les exemples s'avèrent finalement très rares. Au-delà, la situation des minorités évolue différemment. La communauté juive jouit d'une situation favorable, surtout par rapport à l'époque wisigothique ; le judaïsme vit un renouveau sous la bannière de l'islam, en particulier sur le plan des études religieuses et de la littérature sous toutes ses formes. En revanche, les mozarabes (chrétiens d'Espagne de langue arabe) subissent un déclin numérique progressif, plus marqué que dans les régions orientales ; mais l'absence de données chiffrées ouvre sur des postulats hypothétiques.

Ni l'attitude des autorités, ni la pression fiscale, plus forte sur les dhimmî, ni les événements frontaliers n'expliquent véritablement une situation qui touche l'ensemble des communautés chrétiennes en Islam. Pour Al-Andalus, une thèse récente de Cyrille Aillet sur les mozarabes permet de constater que le déclin qualitatif est postérieur au Xe siècle alors qu'on le faisait commencer un siècle plus tôt. En effet, l'arabisation des lettrés chrétiens les a assimilés à la culture musulmane et la perte du latin n'est pas forcément le résultat d'un déclin culturel ; l'adoption de l'arabe est plutôt un signe de dynamisme, d'adaptation comme en Orient à l'évolution culturelle, permettant une diffusion plus ample de leurs écrits, liturgiques en particulier. C'est au XIe siècle, que les premiers signes de déclin, marqué par une production littéraire plus faible, sont nettement visibles.

Qu'est-ce qui explique ce déclin ? Il tient probablement à une pression sociale de plus en plus forte de la population au fur et à mesure qu'augmente la proportion des musulmans ; la proximité de la frontière joue également : dès la fin du IXe siècle, une émigration des élites, cléricales surtout, renforce le mozarabisme dans le nord, mais affaiblit l'encadrement d'Al-Andalus. La guerre sur les frontières, surtout lorsque le rapport des forces s'inverse en faveur des Etats chrétiens, accentue le scepticisme. A ce moment, on note des déclarations qui marquent une crispation des milieux des hommes de loi. A partir du deuxième quart du XIIe siècle, avec la pression des chrétiens du nord, la situation des mozarabes se dégrade nettement : une expédition du roi Alphonse Ier d'Aragon en 1124, impliquant des communautés mozarabes, provoque une réaction légaliste des juges qui condamnent plusieurs d'entre elles à l'exil au Maroc. La proclamation de la fin de la protection des dhimmî, en 1160 dans l'ensemble de l'Empire almohade (Al-Andalus-Maghreb), accusés d'avoir soutenu les ennemis chrétiens, finit de faire disparaître un mozarabisme déjà moribond, et le geste relève plutôt du symbole.

Ce seraient donc les circonstances qui auraient influencé l'évolution des communautés religieuses minoritaires en Islam et plus particulièrement en Al-Andalus. Leurs élites, lettrés, savants, font partie de l'entourage princier et défendent leurs intérêts. Les chrétiens, devenus minoritaires et moins présents au sommet de la société, sont ballottés au gré des relations entre Etats, d'autant plus à proximité des frontières. La diminution de leur nombre et l'éloignement des chrétiens de la cour, surtout à partir du XIIe siècle, sont probablement des raisons fortes de leur marginalisation.

Si la conversion forcée n'existe pas, ils sont « minoritaires » dès la conquête arabe, selon la loi établie à partir des débuts de l'Islam, même lorsqu'ils sont plus nombreux, car les Etats médiévaux se légitiment au nom d'une religion universaliste et eschatologique, où seuls ceux qui sont dans la voie droite peuvent accéder au salut. Il n'y a donc pas multiconfessionnalisme, mais cohabitation temporaire. Après, l'attitude des autorités et des populations varie selon les circonstances : la période d'expansion en Méditerranée conduit les autorités islamiques, qui ont besoin des protégés, à une attitude de recul par rapport à des règles de différenciation qui apparaissent surtout au XIe siècle et au-delà : port vestimentaire distinctif, défense de toute marque ostentatoire, etc. Cette évolution est également le fruit d'une autre mutation : l'Islam s'inspire des modèles politiques et culturels antiques durant les premiers siècles. Avec la domination numérique et intellectuelle de l'islam, les références externes disparaissent peu à peu de la mémoire collective car ils n'ont plus de sens et l'islam, remarquablement servi par des générations de penseurs, se suffit à lui-même. Cette unité de référence est renforcée par une faible attirance pour les courants extérieurs, suspects d'innovation, donc d'hérésie. En revanche, si la « tolérance » n'est pas un concept médiéval, il est vrai que le statut de « protégés » est une nouveauté par rapport au christianisme qui, du coup, s'en inspirera, par exemple après la prise de Tolède en 1085, pour faire cohabiter les religions, avec le même esprit, loin de notre « tolérance multiconfessionnelle ».

source: C