mardi 16 septembre 2008
LIRE ET RELIRE JULES ISAAC
Par Cyrano
pour Guysen International News
Jules Isaac (1877 – 1963) a été un grand historien, une figure de proue de l’enseignement public en France et un militant exemplaire de la lutte contre l’antisémitisme. C’est à ce triple titre que nous lui rendons hommage aujourd’hui, 45 ans après sa disparition. Souhaitons que son action auprès du Saint-Siège et l’essentiel de son œuvre soient connus des nouvelles générations. Parmi les champions de la lutte contre l’antisémitisme, Jules Isaac mérite d’avoir sa place en tête aux côtés de Théodore Herzl et d’Emile Zola*.
Les plus anciens d’entre nous se souviennent des manuels de la collection Hachette, les fameux « Isaac et Malet », qui nous enseignaient l’histoire de France. Après la mort d’ Albert Malet, premier auteur de ces ouvrages, le relais est pris par Jules Isaac. Le professeur Jules Isaac gravit les échelons de la fonction publique : il enseigne au lycée Louis -le-Grand puis au lycée Saint-Louis ; enfin il est nommé en 1936 inspecteur général de l’instruction publique et c’est ce poste qu’il occupe au début de la guerre de 39-45.
Jules Isaac pendant la guerre de 39-45 : Vichy et l’occupation nazie
Jules Isaac, né à Rennes en 1877 de parents Juifs alsaciens ayant opté pour la France après l’annexion de l’Alsace et de la Lorraine par la Prusse en 1971, est, comme tous les fonctionnaires juifs, victime des décrets antisémites promulgués en octobre 1940 par le gouvernement de Vichy : il est révoqué. A son sujet, Abel Bonnard** écrira en 1942 « Il est inadmissible que l’histoire de France soit enseignée aux jeunes Français par un Isaac ». Pendant l’occupation, sa femme, son fils et sa fille sont arrêtés. Son fils parvient à échapper à ses geôliers, tandis que son épouse et sa fille périront à Auschwitz. C’est au cours de ces terribles épreuves, que Jules Isaac écrit l’une de ses œuvres maîtresses « Jésus et Israël » (1), avec la dédicace « A ma femme, à ma fille martyres, tuées par les nazis d’Hitler, tuées simplement parce qu’elles s’appelaient Isaac. »
« Jésus et Israël »
Résumer en quelques phrases « Jésus et Israël », un volume de près de 600 pages, est une tâche impossible, mais nous essaierons d’en dégager quelques idées-forces :
- Les Chrétiens ont reçu du judaïsme la croyance en un Dieu unique ; et l’héritage du monothéisme devrait suffire à lui seul à un respect mutuel.
- Jésus était juif par sa naissance, comme toute sa famille. Il l’est demeuré jusqu’à sa mort ; il a toujours respecté la loi mosaïque.
- Jésus n’a donc jamais rejeté le judaïsme et il est faux de dire que le judaïsme l’a rejeté.
- Le supplice de la crucifixion, supplice traditionnellement romain, a été accompli par des soldats romains sur ordre du procurateur romain Ponce Pilate.
- Jules Isaac admet qu’un tribunal de notables juifs a pu livrer Jésus à des juges romains, mais il trouve inique d’en attribuer la responsabilité au peuple juif et à sa descendance. Il rappelle que Jeanne d’Arc a été condamnée pour sorcellerie par un tribunal d’ecclésiastiques français et remise aux Anglais pour être brûlée vive, mais qui songerait à attribuer ce crime au Peuple français ?
- Le refus de la majorité des Juifs de se convertir au christianisme est à l’origine de la colère des docteurs chrétiens et ces derniers ont établi une confusion entre le refus, réel, incontestable des Juifs d’accepter la foi chrétienne, et le martyre de Jésus prétendument attribué à l’ensemble du peuple juif. Ainsi est née une tradition qui a perduré : le mythe du Crime de déicide a engendré le mythe du Châtiment divin du peuple déicide, concept « rassurant et endormant les consciences chrétiennes », légitimant les persécutions du peuple juif.
Et Jules Isaac conclut par une phrase terrible, une condamnation sans équivoque de l’antisémitisme chrétien : « La responsabilité allemande (de la Shoah) n’est qu’une responsabilité dérivée, venue se greffer sur une tradition séculaire qui est une tradition chrétienne. »
Vérité historique et mythes théologiques
Vérité historique et mythes théologiques, tel est le sous-titre de « L’enseignement du mépris » (2), essai capital de l’historien, où il délivre un message fondamental mais insuffisamment connu.
On sait que la destruction du Deuxième Temple de Jérusalem en 70 de notre ère est survenue trente cinq ans après la crucifixion de Jésus. La destruction de ce lieu sacré a été, selon les écrits chrétiens, l’expression de la colère divine vis-à-vis du peuple juif. Assertion absurde, tout aussi absurde que d’affirmer que la catastrophe de Pompéi (79 après J.-C.) est liée à l’incendie du Temple par les soldats romains neuf ans auparavant. Et l’on pourrait multiplier les exemples de ces « raisonnements » fondés sur la seule chronologie.
Mais il y a pire encore, note Jules Isaac : selon ces théologiens chrétiens et même selon certains universitaires mal informés, la Dispersion du Peuple juif, « totale et définitive après 70 » serait le deuxième volet de la punition divine. Affirmation sans fondement, car à cette date de nombreux Juifs, (la majorité affirme l’auteur) habitaient l’Irak et le pourtour méditerranéen. De plus après 70 les Hébreux étaient encore très présents en Judée, suffisamment puissants pour fomenter un deuxième révolte, la deuxième guerre des Juifs contre les Romains (132-135 de notre ère). Au cours de cette révolte de Bar Kochba, les légions romaines, initialement submergées, ont fini, après l’arrivée de renforts considérables, par venir à bout des rebelles.
Le dialogue de Jules Isaac avec l’Eglise catholique
Le bien-fondé des conceptions de Jules Isaac sur les racines de l’antisémitisme chrétien est aujourd’hui admis par les églises chrétiennes. Jules Isaac a établi avec les théologiens chrétiens un dialogue constructif qui a contribué aux réformes adoptées au cours de Vatican II (1962-1965). Ce concile œcuménique, décidé par Jean XXIII dès son élection au Saint-Siège en 1959, a pris des décisions majeures. Dans leur approche des relations avec le judaïsme, les théologiens ont repris presque mot pour mot certaines des conclusions de Jules Isaac citées plus haut***. De plus, grâce à Jules Isaac, la prière sur « les Juifs perfides et le peuple déicide » avait été amputée de ces paroles haineuses par Jean XXIII dés 1959, avant même la convocation du concile.
L’Enseignement de la haine est-il révolu ?
Mon ami Max B. qui a passé les premières années de sa vie en Pologne dans les années 30, m’a raconté qu’il lui arrivait d’être poursuivi à la sortie de l’école par ses camarades de classe : ces gamins l’injuriaient en l’accusant « d’avoir tué le fils de Dieu ». De tels faits ne peuvent plus se produire : la presque totalité des Juifs de ce pays sont partis en fumée entre 1941 et 1945 dans les camps d’extermination nazis ; en juillet 1946 trente sept survivants de la Shoah ont été massacrés et quatre vingt blessés, non par des Allemands, mais par la foule polonaise au cours du pogrom de Kielce.
Le discours de l’Eglise s’est-il modifié en Pologne depuis Vatican II ? L’opinion polonaise a-t-elle évolué ? L’antisémitisme « viscéral » des Polonais est-il toujours aussi vif ? Et l’on aimerait savoir aussi ce qu’il en est de l’anti-judaïsme des Chrétiens orientaux non soumis à l’autorité du Pape.
Sources
1 - Jules Isaac Jésus et Israël Ed. Fasquelle 1946 Réédité en 1959
2 - Jules Isaac L’enseignement du mépris Ed. Fasquelle 1962 Réédité en 1968 puis en 2004 par les éditions Grasset, suivi de « L’antisémitisme a-t-il des racines chrétiennes ? »
Notes
* Emile Zola a dénoncé dans l’article célèbre « J’accuse », publié par l’Aurore le 13 janvier 1898, les dessous antisémites de l’affaire Dreyfus, à savoir les machinations, les faux, les rapports mensongers à l’origine de l’accusation de trahison, l’effroyable erreur judiciaire reposant sur les « extraordinaires imaginations du commandant du Paty de Clam, du milieu clérical où il se trouvait, de la chasse aux " sales juifs ", qui déshonore notre époque .»
** Abel Bonnard, élu à l’Académie française en 1932, ministre de l’Education nationale du gouvernement de Vichy en 1942, a été un promoteur des échanges culturels franco-allemands et de la répression anti-juive.
***La déclaration Nostra Aetate stipule : « Ni les Juifs du temps de Jésus, ni les Juifs d’aujourd’hui, ne peuvent être jugés plus responsables de la mort de Jésus que les Chrétiens eux-mêmes. »