mercredi 17 septembre 2008

ETRE ZOROASTRIEN AUJOURD'HUI EN IRAN



Par Célia CHAUFFOUR à Yazd



Le zoroastrisme est vieux de plus de 2.000 ans. Apparue sous l’Iran préislamique, la religion du feu a perduré à travers les empires, guerres et révolution islamique. A Yazd, au centre du pays, dans la région natale du président sortant Khatami, la jeune génération de zoroastriens est toujours aussi fervente, mais elle est branchée sur le satellite et surfe sur Internet haut débit. Portrait d’une jeunesse acquise à Zoroastre {ou Zarathoustra} et aux nouvelles technologies.



Derrière son écran plat, elle « tchate » avec une habilité déconcertante. En anglais ou en farsi, peu importe. Homa, 22 ans, étudiante en anglais et employée dans un des cybercafés de la ville, jongle parfaitement avec les deux langues. Elle pourrait aussi bien « tchater » en trois langues. Car, sous le voile et le tenue islamique, se cache une zoroastrienne – une des 3 à 4.000 adeptes du zoroastrisme que compte la ville de Yazd, à 800 km à l’est de Téhéran.

En famille et entre amis, Homa ne parle qu’en zoroastrien. Le farsi restant cantonné à la vie publique, sur les bancs de l’université et dans son cybercafé.

Une fois chez elle, Homa répète un geste devenu rituel. Il ne s’agit pas ici de religion, mais de féminité retrouvée : troquer au plus vite le tissu noir qui l’enveloppe contre un jean et un débardeur de couleur. Cheveux défaits et sourire affiché, Homa affiche son véritable visage.
Elle arbore fièrement un pendentif jusque-là camouflé sous les plis de son tchador. Il s’agit du symbole zoroastrien, le Fravahar, composé d’un vieil homme et d’ailes d’oiseaux à trois rangées de plumes correspondant à la triple doctrine du zoroastrisme : parler, penser, agir avec bienveillance. Dévote ? Homa est surtout éduquée et acquise aux préceptes d’une religion qui lui permet d’échapper au carcan islamique. Elle est aussi la seule de sa famille à savoir lire l’Avesta, « bible » zoroastrienne écrite en langue dindabire.

Cinq jours de plaisir et d’épicurisme

Chaque année, au printemps, les zoroastriens célèbrent leur nouvel an, équivalent du nowruz musulman. Venus de tout l’Iran, parfois des Etats-Unis ou d’Inde, ils se retrouvent à une dizaine de kilomètres de Yazd, pour cinq jours de festivité, d’incantations, de repas bien arrosés et de danse. En plein désert, entre le Dasht-e Kavir et le Dasht-e Lut, le mot d’ordre est le bien-être. « Notre prophète Zoroastre nous a dit d’être heureux et d’oublier les sentiments négatifs », affirme Shirin, la cinquantaine, institutrice à la retraite.

Né environ 1.000 ans avant J.-C., Zoroastre a transformé l’adoration indo-iranienne du mazdéisme en une religion monothéiste centrée autour d’un seul et unique dieu, Ahura Mazda. Le zoroastrisme est une des premières religions à honorer un dieu invisible et tout-puissant. Sous le règne des Sassanides, le zoroastrisme fut même érigé en religion d’Etat.

Retour aux festivités, au milieu du désert. A mille lieux des règles islamiques en rigueur, la fête du pandje est aussi l’occasion unique pour les femmes de retirer le voile en public. Pour cause – et les militaires y veillent-, les musulmans y sont interdits.

D’autres fêtes ponctuent le calendrier zoroastrien. « Chaque jour du mois porte un nom différent. Quand le nom du mois et celui du jour correspondent, nous ne le célèbrons qu’en privé. Car nous sommes soumis aux lois islamiques et notre unique jour férié est le vendredi, comme les Iraniens musulmans », commente Shirin. Le vendredi est donc également jour de prière pour les Zoroastriens. A Yazd, ils se rendent au temple du feu Ateshkadash, construit au centre-ville en 1934 sur un terrain appartenant ? l’Association des Zoroastriens perses d’Inde. Chaque vendredi, hommes et femmes y nourrissent le culte ancestral de la flamme éternelle.

Si Homa reconnaît avoir des amies musulmanes, car « comment faire autrement dès lors que l’on fréquente l’université », elle précise aussi que la mixité entre les deux confessions bute sur les interdits réciproques. « Si je dois me marier, je le ferai avec un zoroastrien, de même qu’un musulman ne peut prendre pour femme qu’une musulmane ».
Reste que l’identité confessionnelle ne l’emporte pas sur le sentiment national. Ici pas de communitarisme exacerbé : « Nous nous sentons aussi iraniens que zoroastriens. Le zoroastrisme n’est qu’une religion. En aucun cas une citoyenneté », sourit Homa.

Une minorité tolérée, mais mal intégrée

Les quelque 20 à 40.000 zoroastriens d’Iran sont représentés au Majlis, le Parlement iranien, par le député Kuros Niknom, originaire de Yazd. La communauté zoroastrienne de Yazd dispose de plusieurs maternelles confessionnelles et d’une école réservée aux jeunes zoroastriens de 7 à 11 ans. L’accès aux médias, notamment au mensuel zoroastrien Persian, est toléré. Concernant l’audiovisuel, inutile de compter sur une chaîne minoritaire confessionnelle dans un pays où les médias audiovisuels sont sous verrou. Reste le satellite. Officiellement interdit, il est réceptionné dans la plupart des foyers d’Iran.

La constitution de la république islamique reconnaît les droits de la minorité zoroastrienne, comme la liberté de culte, tout en la soumettant à des principes intangibles, tel le droit pénal islamique ou le service militaire obligatoire de deux ans pour les jeunes adultes.

Désireuse d’ailleurs, et surtout d’Occident, une partie de la jeunesse zoroastrienne est candidate au départ. « Beaucoup de jeunes âgés de 18 à 25 ans décident de fuir l’Iran conservateur et les conditions de vie difficiles. Ils émigrent en général aux Etats-Unis pour y étudier ou y chercher un travail », reconnaît Eshqan, 20 ans, étudiant en ingénierie mécanique à l’université de Yazd, l’une des plus renommées d’Iran.
Bien que de citoyenneté iranienne et en possession d’un passeport estampillé République islamique d’Iran, les jeunes zoroastriens obtiennent sans difficulté un visa américain.

« Le quotidien ici est trop pesant. Heureusement que ma religion m’autorise à boire et à danser si je le souhaite », se défend Eshqan. Et le risque d’acheter de l’alcool dans un régime à poigne ayant fait de l’interdiction de boire un de ses chevaux de bataille ? « Non, il est très facile d’acheter de l’alcool ici. Que ce soit de la bière, de la vodka ou du whisky, il suffit d’aller voir un des multiples revendeurs en sous-main. Pour le vin, nous le fabriquons nous-mêmes, à l’instar de beaucoup de familles musulmanes en possession d’une petite vigne », répond-il. Il arrive par mésaventure que la police surprenne un jeune venu se fournir en alcool ou encore en état d’ébriété. « Mais il ne s’agira que d’un mauvais quart d’heure », assure Eshqan, tête brûlée décidée à prendre du bon temps sous un des régimes islamiques les plus durs de la planète.

Le tableau n’est pas aussi rose. Il porte plusieurs ombres, comme la discrimination ? l’accès au marché du travail. Nadia, 24 ans, est diplômée en sciences économiques. Parce que son nom de famille porte l’empreinte de sa religion, elle est chômage depuis deux ans. Il est vrai que le marché du travail iranien est déjà saturé, mais sa confession et son sexe ne l’aident pas.
Certains corps de métier sont mêmes littéralement fermés, comme la boulangerie-pâtisserie ou encore l’enseignement. « Sous le dernier Shah d’Iran, nous avions accès ? toutes ces professions ; mais après la révolution islamique, la situation a foncièrement changé », témoigne Shirin.

Aujourd’hui, en cette fin de mandat du président sortant Khatami, les droits de la minorité zoroastrienne retrouvent un second souffle. A Yazd, certains zoroastriens ont pu obtenir une chair d’enseignement.
Mais l’avenir inquiète. « Si Rafsandjani obtient la présidence, il faut s’attendre à un durcissement du régime pour nous, comme pour les chiites », accuse Eshqan. « Voter ? Oui, j’irai peut-être aux urnes. Mais, mon vote sera vain. Il se noiera dans celui de la majorité musulmane. J’appartiens ? une minorité sans poids sur la scène politique nationale. » Eshqan pourfend une classe politique sans intérêt, « de droite ou de gauche, c’est du pareil au même ».