dimanche 14 septembre 2008

"CHRETIENS EN TERRE SAINTE"


André Dufour nous présente sa recension du dernier ouvrage de Catherine Dupeyron consacré aux Chrétiens de Terre Sainte.

C’est d’abord avec des pincettes que j’ai ouvert ce livre édité par Albin Michel. D’abord à cause du titre. Je me méfie de ceux qui, n’osant pas clamer l’illégitimité d’Israël, qui vaudrait pourtant à l’auteur les faveurs du ban et de l’arrière ban du lobby pro-palestinien, mais craignant de se mettre à dos le camp israélien en appelant ce pays «Palestine», ressortent la vieille appellation chrétienne de Terre Sainte. Et puis il y a l’auteur : la journaliste Catherine Dupeyron, présentée en quatrième de couverture comme ancienne collaboratrice du quotidien Le Monde.

Ceux qui me lisent régulièrement connaissent la méfiance, pour ne pas dire l’aversion que m’inspire ce journal perverti par l’entrisme trotskiste. Je ne m’étendrai pas sur ce sujet, l’objet de ce papier étant la recension d’un livre et non le procès d’un journal qui en a déjà connu bien d’autres. De prime abord, ce genre de livre avait tout pour me déplaire.

Je m’attendais en effet à lire l’un de ces nombreux ouvrages sournoisement anti-israéliens dont les journalistes contaminés par leur collaboration avec le Monde, pour ne pas parler du Monde Diplomatique, se sont faits une spécialité. J’avoue que, du moins pour ce qui concerne Catherine Dupeyron, je me suis trompé et je me suis même régalé à la lecture de son bouquin. Comme quoi, nous devrions nous méfier de nos propres préjugés et des généralisations en particulier.

On croit tout connaître d’Israël ou de la Palestine, terre minuscule et divisée qui a le «privilège» de battre au moins deux records mondiaux : la dépression de la Mer Morte à près de 400 mètres au dessous du niveau da la mer et la plus forte densité par mètre carré de journalistes, reporters, moralisateurs, correspondants de presse, scrutateurs et autres dénonciateurs venus du monde entier, tous plus experts et compétents les uns que les autres. Avant de faire un pas dans ce pays, assurez-vous que vous ne marchez pas sur un journaliste. Le moindre pouce de terrain y est millimétré, «scanné», disséqué. Un incident, fut-il des plus anodins, est aussitôt, pour ne pas dire avant sa survenance, rapporté, amplifié, interprété, déconstruit, reconstitué au point que l’on peut se demander pourquoi les Juifs et les Arabes ont encore besoin de leurs propres journalistes.

Or, malgré cette surinformation qui vire à la désinformation, on oublie que dans cet Orient déjà compliqué, il y a, en dehors des Juifs et des Musulmans, une troisième composante que l’on a tendance à oublier, sauf quand elle est prise en otage par la «cause palestinienne». Il s’agit des Chrétiens, certes minoritaires (1,4% de la population sous autorité palestinienne, 2.1 % de la population d’Israël) mais dont le rôle, de par les puissances étrangères qui les «parrainent» reste important. Bah, dirions nous, dans la patrie de Descartes, les Trois Mousquetaires sont bien quatre, alors pourquoi, dans ce berceau de la foi monothéiste et de l’irrationnel qu’est la Terre Sainte, les deux composantes de la population ne seraient-elles pas trois ? Cela serait relativement simple dans cette région où tout est compliqué si Catherine Dupeyron, en nous contant par le menu ce Christianisme, ne nous faisait découvrir qu’il ne s’agit pas du Christianisme comme nous le connaissons en France où la laïcité républicaine aidant, la majorité catholique fait bon ménage avec la minorité protestante et les quelques églises orthodoxes, mais d’un foisonnement de christianismes de toutes obédiences et sous-obédiences qui, au mieux, s’ignorent mais plus généralement «s’entre détestent», se haïssent, s’entredéchirent au point d’en venir aux mains et aux poings.

Mais quel est donc l’objet «de tant de ressentiments» ? Les «Lieux Saints» qui font de cette région, que du temps de Jésus les Romains désignaient par Judae, Judée c’est à dire «pays des Juifs», la Terre Sainte des Chrétiens dont elle est le berceau.

Au plan strictement religieux, toutes les obédiences s’entendent sur un point commun : la sainteté de ces lieux qui portent l’empreinte du parcours terrestre du Christ, tel que le rapporte l’Histoire Sainte, depuis sa naissance jusqu’à son supplice et sa résurrection. Ça fait beaucoup de lieux saints regroupés sur une aire pas plus vaste qu’un département français, de surcroît divisé entre l’Etat d’Israël et l’Autorité Palestinienne. Encore un record de sainte densité. Mais cette minuscule région est aussi un concentré de tous les antagonismes et haines qui opposent entre eux catholiques «latins», orthodoxes grecs et russes, éthiopiens, coptes, melkites et que sais-je encore qui se disputent la garde des lieux saints. Ça fait aussi beaucoup de haines entre églises, non sans interventions et ingérences constantes au cours de l’Histoire de quelques puissances intéressées, essentiellement France, Allemagne, Russie, Italie et of course le Vatican. Ce sont en fait les Ottomans, maîtres du pays jusqu’en 1917 qui, en 1757, ont instauré un «Statu quo» revu par le firman de 1852 qui réglemente jusqu’à nos jours le partage «topographique» de chaque lieu saint, plus singulièrement et de façon plus complexe pour ce qui est du Saint Sépulcre à Jérusalem et du lieu de la Nativité à Bethléem. Là il n’est pas question de gestion collégiale, les différentes «obédiences» refusant de s’asseoir à la même table, a fortiori lorsqu’il s’agit de la Sainte Table. Tout a été «loti» par l’autorité Ottomane et reste figé jusqu’à nos jours. Les «Grecs», c'est-à-dire les Orthodoxes, avantagés par le «Statu quo», ont la garde de telle partie de l’édifice, les «Latins», c'est-à-dire les Catholiques romains, telle autre partie, les Arméniens de tel accès au tombeau du Christ, et puis il y a les laissés pour compte ou ceux réduits à la portion congrue, tels les Coptes, les Ethiopiens, les Melkites d’obédience catholique mais de rite orthodoxe, et sans doute d’autres que ma mémoire n’a peut-être pas retenus. Alors il arrive que l’un de ces laissés pour compte squatte le toit du Saint Sépulcre. Ajoutons les divisions ethniques au sein même d’une même obédience chrétienne : arabes, russes, grecs. Dommage que Catherine Dupeyron n’oriente pas sa plume vers la dramaturgie. Elle nous gratifierait d’une comédie qui éclipserait Clochemerle et Don Camillo réunis. Mais il est vrai que ce qui ferait rire à Paris serait perçu de la même façon à Jérusalem ou à Bethléem.

Si dans l’Eglise et la grotte de la Nativité à Bethléem ou le Saint Sépulcre à Jérusalem, touristes et pèlerins peuvent circuler librement, non sans être tirés au passage par la manche par les quêteurs des diverses églises, gare au pope, au Franciscain, au prêtre arménien qui s’aventurerait sur les quelques mètres carrés alloués de façon permanente ou le temps d’une cérémonie, à la religion rivale, voire ennemie. J’en ai personnellement été témoin en 1968 à Bethléem et la description qu’en fait Catherine Dupeyron montre qu’en quarante ans les choses n’ont pas bougé. Le lieu que la tradition attribue à la Nativité est une grotte accessible en passant par l’église édifiée au dessus. L’église ne comporte aucun siège, sans doute pour que les «schismatiques» ou les «hérétiques» ne puissent s’y asseoir. Le chœur, richement décoré, fait partie du «lot» orthodoxe russe. Pour emprunter l’escalier qui mène à la grotte, le visiteur doit passer devant un pope orthodoxe qui lui tend la sébile. Pour éviter ce «péage» aux pèlerins catholiques et aux visiteurs, les Franciscains disposent de leur propre escalier qu’ils ont jadis fait creuser pour leur besoin. La grotte elle même est «lotie» : franciscains et orthodoxes qui s’y partagent l’espace s’y partagent aussi le temps. Tel laps de temps est réservé à une cérémonie catholique, tel autre à une cérémonie orthodoxe. Le pope ou le franciscain qui se tiendrait sur le seuil lors d’une cérémonie de «l’autre» religion se voit repoussé de façon musclée par les religieux de l’autre bord.

Et pour arranger les choses, une division ethnique règne dans chaque église. Nous y avons des Chrétiens arabes, grecs, russes, syriaques, catholiques latins, catholiques melkites, arméniens, éthiopiens, coptes priant et communiquant dans leurs langues respectives, y compris, depuis peu, en hébreu.

Mais quelle est l’attitude des Chrétiens envers Israël ? Et d’Israël envers les Chrétiens ? Il est certain qu’avec la création ou la résurrection de l’Etat d’Israël, les Juifs, toujours considérés comme des intrus, ont bouleversé les données ethniques, religieuses et politiques de la région et contrarié le projet du Vatican de faire du district de Jérusalem, incluant Bethléem, une entité sous contrôle international détachée aussi bien de l’Etat arabe que de l’Etat Juif. D’où le refus du Vatican, jusqu’au pontificat de Jean-Paul II, de reconnaître Israël, d’où aussi l’installation des ambassades étrangères non pas à Jérusalem, siège du gouvernement israélien, mais à Tel-Aviv.

L’auteur, qui ne se prétend pas historienne, n’en éclaire pas moins, avec bonheur, notre lecture en nous donnant tout au long de son récit et dans un langage simple des références et rappels historiques des plus pertinents. C’est ainsi qu’elle nous rappelle que des Chrétiens de rite orthodoxe, combinant l’antisémitisme congénital de leurs églises grecques et russes avec le marxisme doctrinairement hostile au sionisme, ont crée le FPLP d’orientation communiste, puis le FDLP qui en est la scission, dans le cadre desquels ils ont initié ou activement participé aux actions terroristes contre Israël et sa population. L’OLP de Yasser Arafat, passé maître en matière de communication et de propagande, comptait, et compte encore, des Chrétiens tels qu’Ibrahim Souss ou Leila Shahid dans son équipe dirigeante, surtout pour ses besoins d’image séduisante dans ses relations avec le monde Occidental, tout en utilisant ses musulmans bon teint pour rassurer les Etats arabes et musulmans qui sont ses appuis naturels. Les Chrétiens sont-ils payés en retour ?

Mais comme le constatait déjà en son temps Chateaubriand, les Chrétiens de «Terre Sainte», jadis majoritaires, sont devenus minoritaires depuis la conquête musulmane, suivie d’un peuplement arabe qui les ont réduits au statut de dhimmis, et adoptent un profil bas devant les musulmans. De nos jours encore et malgré leur proclamation d’arabité, ou justement à cause de cela, ils sont dans une situation inconfortable lorsqu’ils sont victimes de vexations ou d’actes de violence de la part de leurs «compatriotes» musulmans qui comprennent mal que l’on puisse être arabe sans être musulman. Ils ne peuvent réagir sans être suspectés de faire le jeu d’Israël. Alors, plus que leurs compatriotes musulmans, les jeunes générations émigrent et le nombre de Chrétiens décroît en nombre et en pourcentage dans l’entité palestinienne alors qu’il croît en nombre et en pourcentage en Israël où ils jouissent des bienfaits d’un Etat de droit, d’un régime démocratique, d’une liberté absolue de conscience et de pratique religieuse ainsi que d’avantages sociaux, choses inconnues en terre d’islam. Car si l’Autorité Palestinienne se sert des Chrétiens arabes pour sa propagande tournée vers l’Occident et l’Amérique, elle ne respecte pas pour autant le caractère sacré des lieux saints chrétiens comme on l’a vu à Bethléem lors du siège par l’armée Israélienne de l’Eglise de la Nativité dans laquelle des combattants palestiniens poursuivis pour actes de terrorisme se sont retranchés. Israël, mal renseigné, espérait que poussés par la famine, les Palestiniens ne tarderaient pas à se rendre. Or, Yasser Arafat qui avait tout combiné, avait envoyé bien avant le déclanchement des combats des quantités énormes de nourriture de sorte que, les Israéliens ne pouvant se permettre de donner l’assaut à un lieu vénéré des Chrétiens, le siège ne pouvait que s’éterniser. C’est ainsi que les Israéliens durent se résoudre à laisser sortir les Palestiniens sans les capturer. Ce fut certes une manoeuvre politiquement habile de Yasser Arafat dont il a tiré un bénéfice politique même si ses hommes ont profané et souillé un lieu saint chrétien. Les Chrétiens ne pouvant se permettre de dénoncer la profanation de leur lieu saint, la propagande anti-israélienne pouvait suivre son cours.

En regard de ce qui se passe en «Palestine», la situation des Chrétiens d’Israël est toute autre. Alors que les Catholiques d’Israël dépassaient en hostilité, antisémitisme traditionnel aidant, la ligne hostile au sionisme ou pour le moins réservée du Vatican, les choses ont bien changé depuis Vatican II et surtout sous l’influence du Pape Jean-Paul II. Certes il y a encore un décalage entre les prises de position du pape Jean-Paul II et les Chrétiens du Proche-Orient qui traînent des pieds, tant par la difficulté qu’ils ont de se dégager de leur mode de pensée que pour des raisons d’opportunisme dans leurs relations avec les Musulmans. Néanmoins les relations des Chrétiens israéliens avec la société israélienne et avec son gouvernement qui, n’en déplaise à ses ennemis, n’a rien d’une théocratie, semblent s’orienter au beau fixe, comme on le constate chez les Chrétiens de Nazareth, au point que l’on pourrait bientôt, en tous cas pour ce qui concerne le catholicisme, envisager la création d’une «Eglise d’Israël». Si les Chrétiens risquent de disparaître des pays musulmans, tel n’est pas le cas en Israël où le Christianisme, qui y renaît, connaît une mutation qui doit l’intégrer harmonieusement dans la société israélienne.

Il y a encore beaucoup de choses peu connues à apprendre du livre de Catherine Dupeyron. Alors plutôt que de courir le risque de trahir la pensée de l’auteur et d’allonger mon compte rendu de lecture déjà long, mieux vaut lire sans tarder «Chrétiens en Terre sainte».


© André Dufour pour LibertyVox