mardi 20 janvier 2009

"La montée de l'islamisme radical en Europe est liée à l'abandon des Juifs et d'Israël"



Interview de Monsieur Eliézer Cherki par Sandra Hanna Elgrabli parue dans l'hebdomadaire Hamodia, édition française, No 58 du mercredi 14 janvier 2009. Une fois n'est pas coutume, Hamodia en français nous fait bénéficier ici d'un article de qualité dérogeant du caractère quelque peu insipide de ses colonnes et de ses bondieuseries habituelles. Encourageons donc la direction de Hamodia de poursuivre sur cette voie et félicitons-en Sandra Hanna Elgrabli. Quant aux propos et analyses de Monsieur Eliézer Cherki, nul n'est besoin de revenir sur leur pertinence et sur leur caractère toujours enrichissant et très instructif, et j'ajouterai, de prime importance.


Méir Ben-Hayoun

Orientaliste israélien, Eliézer Cherki analyse ici les tenants et les aboutissants de l'islam militant parti à la conquête de l'Europe. Ce faisant, il souligne la propre responsabilité de l'Occident, en particulier dans son rapport aux communautés juives locales et à l'Etat hébreu.

Question: Assiste-t-on à une réelle montée de l'islam intégriste militant en Europe?

Eliézer Cherki:
C'est une réaction tangible presque partout en Europe occidentale avec des accents différents en fonction des pays; en France, en Angleterre, en Allemagne, aux Pays-Bas, au Danemark, en Italie et en Espagne. Ces différences reposent sur la diversité des origines des immigrants islamistes. En Allemagne, ils viennent de Turquie, et en France d'Afrique du Nord…Cela tient également aux différentes façons de réagir de la société, des classes dirigeantes ou des médias de ces pays face au phénomène d'expansion de l'islamisme. En Italie, on relève ainsi un pôle de résistance plus fort qu'en Espagne par exemple.

Comment analysez-vous cette impressionnante expansion?


Le phénomène est avant tout de nature démographique et dû au changement historique massif des 30 dernières années en Europe. Ce qui a changé, c'est cette présence massive de Musulmans en Europe occidentale. Alfred Sauvy, le grand démographe, disait que la démographie c'est comme la "petite aiguille d'une montre": on ne la voit pas bouger, mais c'est celle qui compte….Ce facteur démographique est la base sur laquelle va se développer l'islamisme, accentué par le net déclin des taux de natalité des européens.

Quelle importance revêt cette dimension démographique aux yeux des islamistes?

Il faut faire ici une parenthèse et aborder le domaine de la théologie. L'islam ne connait pas la notion de "galout" – l'exil en hébreu. Le peuple d'Israël peut se trouver en exil sur une terre qui n'est pas la sienne, mais cette notion n'existe pas dans l'islam, car les Musulmans ont une notion "territoriale" universelle du monde!
A partir de là, la présence de Musulmans sur une terre non islamique ne peut s'expliquer, en terme de théologie islamiste, que dans une dimension de Djihad, c'est-à-dire de conquête….Lorsque les Musulmans sont minoritaires, le problème ne se pose pas: ils sont en situation "d'impossibilité de Djihad"; mais dès qu'ils parviennent à une réalité démographique tangible, le pays où ils se trouvent devient potentiellement une contrée islamique, et la tentation est grande chez les islamistes de transformer cette terre d'accueil en terre islamique!

Cette vague islamiste peut-elle s'inscrire dans une perspective plus large?


Elle est liée à l'expansion de l'islamisme radical dans le monde arabo-musulman car les évènements qui se déroulent en Europe n'en sont qu'un reflet. En fait, cette renaissance du Djihadisme est beaucoup moins nouvelle qu'elle n'y parait! Dans une perspective historique à long terme, l'arrêt de l'expansion militaire de l'islam fut une parenthèse assez courte. En effet, la dernière tentative de conquête de l'Occident par l'islam date de 1683 lors du siège de Vienne par les turcs ottomans, soit à peine plus de trois siècles.
Cette expansion ottomane militaire fulgurante était considérée par l'Empire turc lui-même comme un Djihad. Par la suite, l'échec de la conquête de Vienne, la décadence de l'Empire ottoman puis la montée de l'Europe coloniale donnèrent le sentiment que l'islam allait être complètement marginalisé, puis dominé par l'Occident, et qu'il avait achevé son rôle militaire sur la scène de l'histoire. C'était une illusion!
Aujourd'hui, on assiste à une nouvelle expansion. Le grand orientaliste anglais Bernard Lewis a relevé trois tentatives de conquête de l'Europe par les Musulmans: la première est la conquête arabe qui fut arrêtée à Poitiers en 732, la seconde est l'expansion ottomane qui échoua devant Vienne en 1683, et la troisième tout à fait contemporaine – a une dimension démographique et semble être la plus réussie des trois…

Cette expansion de l'islam est-elle confortée par d'autres facteurs?


Il faut citer les changements culturels qui affectent l'Occident lui-même. En effet, l'Europe est en train de perdre ses repères nationaux, culturels et religieux. Elle se trouve dans une situation d'extrême faiblesse idéologique face à un mouvement qui, lui, est extrêmement déterminé de ce point de vue!
Par ailleurs, l'islamisme se considère comme le représentant de la "force morale" face à ces pays "en décadence". Se prétendant porteur de valeurs "divines", l'islamisme a lancé un combat contre l'Europe "immorale"… De plus, la crise culturelle européenne s'accompagne d'un profond sentiment de culpabilité consécutif à son passé colonial: la voilà aux prises avec l'énorme difficulté – voire l'impossibilité – d'identifier ces anciens peuples colonisés comme étant, non plus des victimes, mais les nouveaux oppresseurs potentiels…

Existe-t-il des forces qui s'opposent à cette montée des islamistes en Europe?


Il y a d'abord de nombreuses consciences individuelles, de toutes origines, qui tentent d'alerter l'opinion sur les dangers que les dérives islamistes font peser sur la société. Mais ces individus sont de plus en plus marginalisés par les pouvoirs publics, les milieux intellectuels et les médias.
Certains Musulmans sont d'ailleurs parmi les plus lucides et les plus informés sur ces dangers, et ils mènent un combat très courageux… Mais ils sont trahis par ces pouvoirs qui préfèrent ultimement se concilier les bonnes grâces des milieux les plus radicaux!
Par ailleurs, les courants islamistes ont identifié les communautés juives comme étant les "poches de résistance" les plus réfractaires: elles sont perçues comme l'obstacle principal à l'expansion de l'islamisme en Europe. Une situation liée bien sûr à leur rapport à l'Etat d'Israël, qui est le modèle de résistance politique et spirituelle faisant face à l'expansion islamique, mais tout autant à leur hostilité à la nature et aux positions intellectuelles et morales des Juifs, souvent eux-mêmes originaires des pays arabes. Or ces Juifs ne peuvent adopter la même attitude victimaire vis-à-vis des Musulmans car ils ont été eux-mêmes victimes de l'oppression des Musulmans en terre d'Islam… Aujourd'hui, le monde musulman est "judenrein", dégagé de toute présence juive sur tout son territoire: un phénomène qui n'est pas un hasard de l'Histoire, ni dû à la simple expansion des Juifs vers l'Occident. Il faut reconnaître que la présence occidentale, si décriée aujourd'hui, a libéré les Juifs de l'oppression de l'islam et les a sortis de leur situation de dhimmis, leur offrant l'égalité des droits et la dignité de citoyen. En tant que collectivité, les Juifs sont désormais non seulement débarrassés du complexe d'infériorité morale vis-à-vis des Musulmans, mais plus encore viscéralement attachés aux valeurs démocratiques et aux traditions culturelles des pays qui les ont accueillis, notamment la France. Enfin, les Juifs ont leurs propres repères religieux fortement ancrés dans une tradition plusieurs fois millénaire que ne peut contester l'islam.

Pensez-vous que l'Europe abandonne Israël à son sort?


En choisissant la soumission à l'islam et en jetant Israël en pâture aux islamistes extrémistes, l'Europe a volontairement refusé de se joindre à ses alliés naturels dans le monde que sont les communautés juives et l'Etat hébreu. Cette attitude est non seulement motivée par des intérêts politiques et économiques évidents, mais elle s'explique également par un antisémitisme toujours profondément ancré dans l'espace mental européen. Pour toutes ces raisons, l'Europe a une attitude suicidaire: elle a décidé de trahir les Juifs et Israël en espérant que les Musulmans accepteront de leur faire grâce… Typique de la dhimmitude, cette attitude a été magistralement analysée par l'historienne Bat Yéor dans son livre "Eurabia".
Il existe une troisième dimension à prendre en compte: c'est un mélange de fascination, de séduction et de peur devant la barbarie – ce mélange impur qui demeure un vieux démon de l'Europe. Les Européens éprouvent une crainte grandissante face aux courants islamistes extrémistes, mais ils laissent se développer sur leur sol un antisémitisme violent – de cette violence qui a pour fonction d'intimider avant de se soumettre!
Il est vrai que les pays occidentaux ont lancé de vastes opérations sécuritaires en signe de réaction, mais à terme, pour préserver leurs propres valeurs et leur liberté, ils devront changer leur regard sur eux-mêmes, sur Israël et sur les Juifs. Dans le cas contraire, nous aboutissons à une victoire de l'islamisme radical dont l'avenir seul nous dira la forme qu'elle prendra: soumission totale, civilisation "mixte", partition géographique, ou tout autre modèle encore…