mardi 13 janvier 2009

PAUL LANDAU : ” les dirigeants du Hamas n’ont nullement l’intention de négocier avec Israël



“Le Hamas ne se situe pas dans un horizon politique à court, ou moyen terme. Il se place dans une perspective eschatologique, de ce qu’il appelle le Jour dernier.”


PAUL LANDAU, SPECIALISTE DES MOUVEMENTS ISLAMISTES : ” les dirigeants du Hamas n’ont nullement l’intention de négocier avec Israël, ni même de reconnaître l’existence de l’Etat d’Israël en tant qu’entité souveraine. ”

Par Mati Ben-Avraham

Harakat al-muqâwama al-islâmiya, soit ” mouvement de résistance islamique”, en acronyme partiel ” Hamas”. Un acronyme qui renvoie au même mot en arabe, signifiant ardeur, zèle. Un chercheur du CNRS, François Burgat, alors en poste au Caire, m’a dit, voici 15 ans : ” La vocation première du Hamas est la prise du pouvoir. S’il s’est tourné vers la lutte armée contre Israël, sa deuxième priorité, c’est simplement parce que l’OLP n’a pas réussi, pour l’heure du moins, à créer un Etat. ” Un propos qui éclaire le comportement du Hamas vis-à-vis du Fatah et de ses dirigeants en général, et depuis 2006, en particulier.
Paul Landau est chercheur, écrivain. Il vient de publier, aux Editions du Rocher à Paris, ” Pour Allah, jusqu’à la mort”. Son précédent ouvrage, aux mêmes Editions, s’intitulait ” Le sabre et le Coran”.


Mati Ben-Avraham : Vous avez souvent lancé des mises en garde contre les analyses qui voient dans le Hamas un clone du Fatah, dont il ne différerait que par le port de la barbe et l’habit. Qu’il suffirait donc d’attendre que, coltiné à la gestion du quotidien, il mette de l’eau dans son vin – si cette métaphore est permise, pour devenir un voisin fréquentable. Qu’est-ce qui cloche ?

Paul Landau
: C’est le discours que l’on a entendu il y a trois ans, lorsque le Hamas avait remporté les élections. Je me souviens, en particulier, d’un titre dans l’un des grands quotidiens français : le Hamas, des armes aux urnes ! Il y avait là une volonté de croire, et de faire croire que le Hamas allait ranger ses armes et devenir un mouvement politique respectable, avec lequel Israël allait devoir négocier pour parvenir à un compromis. C’est une opinion qui a encore cours, même en Israël où des voix se sont élevées pour réclamer la fin des bombardements sur Gaza au motif que de toute façon, il va falloir négocier avec le Hamas. Alors, c’est un discours généreux, mais totalement illusoire car les dirigeants du Hamas n’ont nullement l’intention de négocier avec Israël, ni même de reconnaître l’existence de l’Etat d’Israël en tant qu’entité souveraine. Du point de vue de ce mouvement, il y a l’entité sioniste illégitime et il y a la terre de Palestine qui est une concession musulmane, non négociable. Il n’y a donc aucune possibilité de s’entendre. Aucun dirigeant du Hamas, on le voit encore aujourd’hui, n’envisage une quelconque entente avec Israël, sinon une trêve à durée limitée, comme celle que nous venons de vivre, que la partie musulmane peut rompre à son gré.

MBA : Vous dites que l’eschatologie tient une place essentielle dans l’économie religieuse, et politique, du Hamas…

Paul Landau : C’est vrai. C’est un aspect fondamental, mais très peu connu, chez nous. Le Hamas ne se situe pas dans un horizon politique à court, ou moyen terme. Il se place dans une perspective eschatologique, de ce qu’il appelle le Jour dernier. Dans la Charte du Hamas, qui rejoint l’idéologie des Frères musulmans en général, il est écrit, je cite de mémoire : ” Quand le Jour dernier viendra, alors notre combat contre les juifs s’achèvera dans la victoire, parce que Allah le veut.” Cette conviction est profondément ancrée dans l’idéologie du Hamas et dans la perception qu’il a du conflit. C’est pour cela d’ailleurs que les dirigeants et les miliciens du mouvement ont du mal à se déclarer vaincus. D’ailleurs le mot défaite n’existe pas dans le vocabulaire du Hamas, ni dans celui du Hezbollah. Il faut le savoir : dans leur idéologie, même s’ils encaissent des coups très durs, dans la perspective du Jour dernier, ils seront gagnants. C’est une conviction très très puissante, et qui explique leur jusqu’au-boutisme.

MBA : Avec 439 occurrences, le thème de la résurrection occupe la 2ème place, après Allah, dans le Coran. Cela peut-il expliquer l’absence de toute sensibilité chez les intégristes vis-à-vis de la vie, la leur et celle de leurs coreligionnaires?

Paul Landau : Absolument. Dans cette vision du monde – qui ne nous est pas tout à fait étrangère à la tradition juive qui développe une eschatologie propre, mais où la vie est sanctifiée et c’est une différence énorme – mais dans la vision salafiste, ce qui importe c’est de gagner l’au-delà et la Charte du Hamas le dit clairement : notre seule voie c’est le Jihad, et il faut mourir dans les sentiers d’Allah. L’invocation du martyr joue un rôle fondamental dans la stratégie du Hamas. Les attentats suicides relèvent de cette logique. Et on le voit dans la manière dont cette guerre est menée, qui n’hésite pas à placer les civils en première ligne. Il y a là un mépris manifeste de la vie humaine, en tant que valeur. C’est ce qui fausse d’ailleurs le regard des occidentaux qui, comparant le nombre des morts côté palestinien et côté israélien, jugent disproportionnée la réplique israélienne. Alors que la raison est ailleurs, dans la perception de la vie.

MBA : J’entends bien, mais comment expliquer la passivité de la population, qui n’est pas toute acquise au Hamas, loin s’en faut. Alors certes, la sourate IV, verset 59 enjoint, je cite : ” O vous qui croyez! Obéissez à Dieu, obéissez à l’envoyé de Dieu et à ceux parmi vous qui détiennent le pouvoir.” Mais tout-de-même!

Paul Landau
: La question est complexe. C’est vrai qu’il n’y a pas dans l’Islam une tradition démocratique, ni même une tradition de libre arbitre. Ce sont là des concepts occidentaux qui n’ont aucune prise dans l’Islam classique. Il y a aussi ce sens du fatalisme, l’idée qu’il faut se soumettre à Dieu, c’est le sens du mot “islam”. Et bien entendu se soumettre au pouvoir politique. Maintenant, il faut tempérer cette réflexion. C’est quand même la population qui a amené le Hamas au pouvoir. Est-ce que cela veut dire qu’aujourd’hui, elle accepte le jusqu’au-boutisme de ce mouvement, non! Sans doute pas ! Même si ce n’est pas démontré avec certitude. Pour ma part, je pense cependant qu’il est impossible d’exonérer totalement la population civile de la bande de Gaza de la responsabilité quant à la tragédie qu’elle vit en ce moment.

MBA : Le Hamas est un mouvement fondamentaliste, intégriste, mais sunnite. Or, le voici pratiquement au service d’une idéologie autre, chiite. Alliance circonstancielle?

Paul Landau
: Là encore, j’y vois des schémas un peu trop simplistes quant à notre vision des choses. Evidemment qu’il y a des oppositions entre Islam sunnite et islam chiite. Mais il y a aussi beaucoup de choses qui les rapprochent. De ce point de vue, la guerre aujourd’hui contre le Hamas est le second versant de la guerre menée il y a deux ans contre le Hezbollah. C’est le même ennemi, même si l’un est chiite et l’autre sunnite. C’est la même idéologie à de nombreux égards. Et ce n’est pas non plus le fait du hasard s’ils ont le même patron, qui est l’Iran. Du point de vue des dirigeants du Hamas, ils n’ont aucun problème, au plan théologique, à accepter l’assistance de l’Iran. Non seulement son argent, ses armes, mais aussi ses directives. Ce qui montre bien que l’opposition entre l’Islam chiite et l’Islam sunnite n’est pas la clé pour comprendre les problèmes de l’Islam contemporain. A mon sens, cela brouille plutôt les choses qu’il ne les éclaire.

MBA
: Peut-on parler, par contre, d’un réel clivage entre musulmans pragmatiques et extrémismes?

Paul Landau
: Oui et nous avons là une preuve que les divergences ne sont plus entre vision chiite et vision sunnite, l’une extrême, l’autre modérée. Le vrai clivage est entre les pays musulmans qui prônent la guerre à outrance avec Israël et les pays entre guillemets modérés qui se rangent dans le camp occidental. Ce qui ne veut pas dire qu’ils sont des amis d’Israël, mais qui, du moins dans cette guerre-ci, n’éprouvent pas beaucoup de chagrin à voir un mouvement islamiste radical encaisser des coups très durs.

MBA : Un dernier point. Pensez-vous possible l’émergence d’une politique affranchie de la religion ? Non une sortie de la croyance, mais de la religion en tant qu’infrastructure, comme dictant les actes de l’individu au quotidien ?

Paul Landau : Je ne dirai pas que la possibilité n’existe pas. Il y a quelques signes, mais très minimes d’une telle évolution, au sein des populations musulmanes en Occident. Mais il existe un mouvement inverse, à savoir une emprise de plus en plus sensible des Frères musulmans sur ces mêmes communautés musulmanes. Il y a donc confrontation. Et de ce point de vue, je crois que l’Europe et l’Occident en général sont l’un des principaux champs de bataille où se joue l’avenir de l’Islam. L’idéologie des Frères musulmans est totalisante. Pour eux, l’Islam a pour vocation de régir tous les aspects du vivant. La Charte du Hamas ne dit pas autre chose. Ce qui explique que ce mouvement ne réagit pas comme un parti politique classique. Pour lui, l’Islam est l’alpha et l’oméga de sa vision du monde. Alors, une véritable réforme de l’Islam peut-elle surgir des communautés implantées en Occident ? Rien de moins sûr pour le moment, mais ce qui ne veut pas dire qu’une évolution, à long terme, est impossible.—